06 Avril 1984 : le jour où tout a changé au Cameroun

Paul Biya avait échappé à un coup d'Etat

Thu, 6 Apr 2023 Source: Julio César Dongmo

06 Avril 1984- 06 Avril 2023, Il y a 39 ans, notre pays vivait une tentative de coup d’État. Ce jour-là, un groupe d’officiers et de sous-officiers de la gendarmerie, plus précisément de la Garde républicaine, avait tenté sous l’impulsion de leur Commandant, le Colonel Ibrahim Saleh, d’éjecter le Président Biya de son fauteuil présidentiel. Dans leur discours de justification, ils lui reprochaient de mettre en œuvre « une politique criminelle contre l’unité nationale », de compromettre la prospérité économique et de ternir la réputation du pays à l’international. Une contre offensive des militaires, « trop prompte et trop bien organisée » si l’on en croit Jean Fochivé alors Chef du service de renseignements , a permis de déjouer leur projet.

Je soutiens ici que même si rien n’a bougé ce jour, tout a changé. Rien n’a bougé parce que le pouvoir n’a pas été déposé. Aussi, malgré sa volonté de se démarquer de son prédécesseur, la gouvernance du Président Biya ne s’est pas totalement écartée de certaines pratiques et actions inhérentes au magistère de celui-ci. Il avait d’ailleurs lui-même pris l’engagement dans son discours de prestation de serment le 06 novembre 1982, de « suivre son exemple [et] ses pas ». Toutefois, si rien n’a changé d’un point de vue structurel, la conception du pouvoir par l’homme a totalement changé. Avant d’élaborer sur les éléments de fait qui ont conduit à cette interprétation, il est judicieux de faire une brève description chronologiquement détaillée des évènements .

Formés en pelotons, les putschistes sont partis du camp de la Garde présidentielle situé à Obili (Yaoundé) dans la nuit du 05 au 06 avril 1984. Dans des véhicules blindés et équipés d’autos-mitrailleuses et de canons bitubes anti-aériens, leur objectif était non seulement de maitriser et de tenir en respect plusieurs responsables de l’appareil sécuritaire, de prendre le contrôle de plusieurs sites stratégiques de la capitale en l’occurrence le palais présidentiel, l’aéroport de Yaoundé, le siège de la radio nationale et le centre de télécommunication de Zamengoué. Ils ont attaqué les résidences du Chef d’état-major de l’armée (le Général de division Pierre Semengue), du Commandant délégué de la place militaire de Yaoundé (le Lieutenant-Colonel Benoit Asso’o Emane), et du Ministre d’État en charge des Forces armées (Gilbert Andze Tsoungui). Ils ont arrêté le Directeur de la sécurité présidentielle (le Colonel René Claude Meka), le Commandant Adjoint de la Garde républicaine (le Colonel Doualla Massango), le Délégué général à la sureté nationale (Martin Mbarga Nguele) et le Président du Tribunal militaire de Yaoundé (le Lieutenant-colonel Onesiphore Ananga). Ils ont réussi à prendre le contrôle de l’aéroport, de la radio nationale et du centre de télécommunication de Zammegoué ; ont échoué à s’emparer de la présidence malgré des attaques à l’arme lourde.

En surnombre et mieux organisées d’un point de vue stratégique et tactique, les militaires loyalistes ont grâce à leur riposte, repris la situation en main. Dans deux discours à la Nation ténus le lendemain 07 avril et le mardi 10 avril, le Président Biya leur a rendu un vibrant hommage et a annoncé une victoire complète, acquise et irréversible, fruit de leur « combat [mené] avec méthode et détermination » au nom de la préservation des institutions et de la légalité républicaines. Le putsch manqué, a-t-il ajouté, est l’initiative d’une « minorité d’ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province ou de Camerounais de telle ou telle religion ».

Ce point de vue n’était visiblement pas celui du Chef d’état-major des Armées (le Général de division Pierre Semengue) et du Ministre d’État chargé des Forces armées (Gilbert Andze Tsoungui). « Les mutins étaient tous du Nord » (a affirmé le premier), et ont été « financés » par les hommes d’affaires du Nord (a renchéri le second) lors d’une conférence de presse à Yaoundé le 14 mars 1984. Il n’en est rien, a rétorqué plus tard le seul survivant des instigateurs de ce putsch manqué, feu Capitaine Guérandi Mbara. Le groupe de putschistes, a-t-il affirmé comme le Président Biya, était constitué de sous-officiers et d’officiers originaires de toutes les régions du Cameroun. Selon le bilan officiel rendu public le 12 avril 1984, il y’a eu 70 morts parmi lesquels 4 civils et 8 soldats loyalistes, 52 blessés, 265 gendarmes disparus et 1053 arrestations. D’autres sources ont contesté le nombre de morts. Il y aurait eu environ 1000 morts parmi lesquels de nombreux officiers et sous-officiers Peuls et Kirdis du Nord .

Le procès des mutins s’est ouvert à huis clos le vendredi 27 avril 1984 au Tribunal militaire de Yaoundé. Peu avant, l’enquête préliminaire avait sorti des sales draps 617 des 1053 personnes arrêtées. Dans son jugement définitif rendu le 16 mai 1984, le tribunal a condamné 46 personnes à mort, 02 personnes à la réclusion à perpétuité, et 183 autres à des peines d’emprisonnement ferme allant de 02 à 20 ans. Il a relaxé 183 personnes, et a renvoyé 22 cas pour complément d’information.

Comme évoqué, la gestion biyaïste de cette conjoncture critique est illustrative d’un changement de sa conception du pouvoir : ces événements ont induit un durcissement de sa politique. Ils ont nourri et entretiennent une intransigeance face à toute dynamique susceptible de sonner le glas du pouvoir qu’il incarne. Pour s’en rendre compte, il faut se rappeler un autre événement survenu avant le putsch manqué du 06 avril 1984 : le complot contre sa personne et les institutions qu’il a lui-même révélé aux Camerounais le 22 août 1983. Étaient mis en cause : son prédécesseur Ahmadou Ahidjo (instigateur présumé du complot), l’Aide de camp de ce dernier (le Capitaine Salatou Adamou) et son intendant (le Commandant Ibrahim Oumarou). Inculpés entre autres pour subversion et conspiration d’assassinat, ils ont été condamnés à mort par le tribunal militaire de Yaoundé présidé par le Lieutenant-Colonel Onesiphore Ananga. Alors qu’il avait appelé dans sa sortie du 22 août 1983 à des « sanctions appropriées à leurs activités criminelles conformément à la loi », il a commué le 14 mars 1984 au nom de l’intérêt supérieur de l’État et du droit à la vie, leur peine de mort en peine de détention à vie.

La même magnanimité n’a pas été manifestée en marge des événements du 06 avril. Le lendemain du jugement, il a loué dans une adresse à la Nation par voie de radio, un « châtiment à la mesure du crime commis contre la Nation ». Il avait ainsi scellé le sort des condamnés à mort ; et ils ont été exécutés si l’on en croit une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) aux environs de Mbalmayo. Les circonstances d’institutionnalisation de la compétition interpartisane au pays offre un autre exemple. C’est connu : il s’est résolu à autoriser la compétition électorale entre les partis politiques à la faveur d’une pression mise sur lui par l’opposition et la société civile à travers les « villes mortes ». Pourtant, peu de temps avant les événements du 06 avril 1984 et en dépit de la tension avec son prédécesseur, il avait à travers la loi n?83-26 du 29 novembre 1983 modifiant la loi n?73-10 du 07 décembre 1973, autorisé le pluralisme de candidatures à l’élection présidentielle. Suivant l’esprit de cette loi, le pluralisme pouvait découler de la désignation de candidats par plusieurs partis ou du choix de plusieurs candidats par un seul parti.

Pour conclure, une observation fine des événements du 06 avril et de la direction subséquente que le Président Biya a donnée à sa gouvernance, révèle aussi qu’il est un homme qui sait récompenser ceux qui lui sont fidèles, loyaux, dociles voire serviles ; et travaillent pour la pérennisation de son pouvoir. Si les mutins ont ciblé des personnalités telles Pierre Semengue, René Claude Méka, Benoit Asso’o Emane, Martin Mbarga Nguele, etc., c’est probablement parce qu’elles étaient les cautions de survie du pouvoir.

Le Général Semengue est demeuré Chef d’état-major des Armées jusqu’au 25 septembre 2001. Il a été remplacé par le Général de corps d’Armées René Claude Méka, alors Commandant de la première région militaire, celle qui couvre le Quartier général à Yaoundé. Promu Général de division, M. Benoit Asso’o Emane l’avait remplacé. Pour avoir mené la traque impitoyable des putschistes, il avait déjà été promu Colonel en juin 1984 en guise de récompense. La même logique a été appliquée pour ceux qui ont assuré la sécurité du Président pendant le putsch. Le capitaine Ivo Desancio Yenwo qui l’avait conduit dans un bunker, avec l’appui du Marechal-des-logis Étienne Holong, a été nommé Directeur adjoint de la sécurité présidentielle cinq jours après le putsch manqué, le 11 avril 1984. Il est depuis 2004, Directeur de la sécurité présidentielle, et a été promu Général de brigade en 2005.

Source: Julio César Dongmo