06 avril 1984 : trois 'putschistes' racontent

Plusieurs militaires avaient été arrêtés

Thu, 6 Apr 2023 Source: Oeil du Sahel du 06-4-2023

Haman Merkzaya, inspecteur de police 2e grade était élève gardien de la paix au moment de son arrestation. Zourmba Nihi Ousmaïla lui était, gendarme-major au moment des faits. Niresitike Dorson, gendarme-major lui l’était également le 7 avril 1984 au moment de son arrestation. 0riginaires du MayoLouti et aujourd’hui à la retraite, ils ont plusieurs points communs. Ils ont tous écopé de 10 ans d’emprisonnement ferme et ont été libérés le 1er avril 1991 après avoir purgé 7 ans de prison. Ils attendent également tous d’être appelés un jour pour percevoir leurs indemnités conformément à la loi d’amnistie de 1991.



Que faisiez-vous avant le coup d’Etat du 6 avril et comment s’est déroulée cette journée pour vous?


Haman Merkazaya. Les événements du 6 avril 1984 sont intervenus alors que j’étais élève-gardien de la paix. J’avais réussi au concours de recrutement à la police quelques mois plus tôt et j’étais à Yaoundé dans le cadre du parachèvement de la formation. Dans la journée du 5 avril 1984, j’ai été programmé pour faire partie des policiers qui devaient être de garde au parquet général de Yaoundé. J’ai donc passé toute la journée du 5 et toute la nuit du 5 au 6 avril au palais de justice. Nous étions une équipe de 4 personnes. Cette nuit, aux environs de minuit, nous avons entendu des violents coups de feu en direction de l’ancien palais présidentiel qui jouxte le palais de justice de Yaoundé. Les coups de feu étaient orientés vers une pièce où étaient alors détenus le capitaine Salatou et ses deux compagnons qui avaient été condamnés plus tôt dans une affaire de tentative de coup d’Etat. Nous avons compris qu’il se passait quelque chose de grave au vu de l’intensité des coups de feu, mais personne de nous ne savait avec précision ce qui se passait. Moins de 30 minutes plus tard, les coups de feu ont cessé et on n’a plus rien entendu jusqu’au matin. À 6h, quand j’ai été relevé, j’ai pris un bus pour mon domicile à Obili-Melen. Juste à la descente, des militaires qui avaient envahi le secteur m’ont demandé de me rendre directement au camp militaire d’Obili sans aucune explication. Après plusieurs heures passées dans le camp de la Garde républicaine, je tombe sur un de mes frères gendarme qui m’informe qu’il doit y avoir eu coup d’Etat dans la nuit, mais lui-même n’avait pas plus de précision. Après de longues heures d’attente, nous avons été transférés au Mindef, à la Sémil, où je vais passer un mois en compagnie d’autres détenus avant d’être conduit à la prison de Kondengui.

Zourmba Nihi Ousmaïla. Au moment des faits, je suis gendarme-major en service à la Garde républicaine. J’ai pris la garde au palais de l’unité le 5 avril, laquelle devait se terminer le 6 avril en matinée. Je travaillais sous les ordres du feu capitaine Abali. Nous étions une équipe de 6 hommes postés à l’entrée du palais qui se trouve du côté d’Etoudi et j’étais le seul gendarme-major dans le groupe. A l’époque, dans la gendarmerie, il n’y avait pas beaucoup de hauts gradés et gendarmesmajor, je faisais déjà office de haut gradé. Notre garde a commencé le 5 avril à 13h. Mais aux environs de 19h, on nous apprend que le capitaine Abali sous qui nous travaillions pendant la garde a été relevé et remplacé au pied-levé par le lieutenant Garba sans aucune autre précision. Il y avait une consigne stricte qui stipulait qu’aucun homme en tenue, quel que soit son grade, ne pouvait débarquer au palais dans la nuit sans emprunter l’entrée principale. Sans avoir vu le lieutenant Garba arriver pour relever le capitaine Abali, nous le surprenons en train de faire des tours dans le palais. Jusque-là, on se posait toujours la question de savoir ce que le capitaine Abali avait bien pu faire ou s’il avait été subitement victime d’un malaise. Je me suis rendu au poste de police du palais pour en avoir le cœur net. Le commandant de peloton qui s’y trouvait m’a fait savoir qu’il était dans la même situation que moi. On s’est alors dit que nous allons continuer notre travail comme d’habitude. Mais par mesure de sécurité, comme je trouvais ce mouvement pas très clair, vers 1h du matin, j’ai décidé de faire fermer le tunnel qui conduisait vers la résidence du président de la République. Et je suis ressorti avec mes éléments dans la cour principale du palais. Quelques instants après, les armes ont commencé à tonner. On ne savait pas qui nous attaquait. Les coups de feu ont duré toute la nuit. Aux environs de 7h du matin, le capitaine Abali qui avait été remplacé sans explication la veille pendant la garde, a débarqué au palais et a été repoussé par les éléments de la Division de la sécurité présidentielle (DSP). Il a battu en retraite et a pris la fuite. C’est alors que les éléments de la DSP ont décidé de s’en prendre à nous. Devant cette nouvelle situation, nous avons décidé de déposer les armes. Nous sommes restés assis dans le palais pendant 24h sans relève et c’est après qu’on nous a conduit directement à Américanos, en détention.

Niresitike Dorson. Moi, j’étais gendarme en service à la Garde républicaine. Dans la nuit du 5 au 6 avril 1984, j’étais de repos et je me trouvais au camp dans la chambre qui m’avait été affectée au Célibatoruim. Aux environs de minuit, des bruits incessants de bottes et des coups de feu ont commencé à se faire entendre. Certains éléments de garde ont accouru vers nos chambres en cognant fortement à nos portes en nous demandant quel type de militaire nous étions, comment pouvions-nous entendre des coups de feu et continuer à dormir. Nous nous sommes rendus au camp en tenue. A peine arrivés, on nous a donnés des armes et nous sommes restés dans la cour à attendre des ordres en vain jusqu’au matin. Tout ce qu’on nous a dit, c’est que le palais était attaqué et on ne savait par qui. Alors que nous étions toujours dans l’attente des ordres pour agir, un hélicoptère est venu larguer des bombes au camp, chacun a pris la poudre d’escampette avec son arme. Je me suis retrouvé du côté de Mvog-Betsi en compagnie d’un camarade. Il y avait un ratissage des militaires dans le coin et j’ai été pris avec mon arme et transféré immédiatement à l’Emia, puis au Quartier général où on a séjourné pendant deux semaines avant d’être transféré à Kondengui.



Comment s’est déroulé vos procès ?


Haman Merkazaya. Le mien s’est tenu au Camp de l’unité le 1er août 1984. Bien avant le procès, j’avais été auditionné en prison sans l’assistance d’un avocat. Pendant mon audition, j’avais tenté, en vain, de faire comprendre que je n’étais qu’un élève gardien de la paix et qu’une simple vérification de la maincourante du palais de justice pouvait prouver que je ne savais rien de cette affaire. Selon les informations en ma possession, c’est un camarade de ma promotion, une fois qu’il avait appris que j’avais été interpellé, qui s’était empressé de me charger. On n’a jamais pris le soin de vérifier mes déclarations. Mon interrogateur m’a juste demandé qui m’a amené à Obili au camp militaire ? « Est-ce Abali ? Abale Abale ou le commissaire Sadou ? ». Je lui ai signifié que je ne connaissais aucun de ces types et que je ne les avais jamais rencontrés. Il m’a ensuite demandé quel poste j’allais occuper si le coup d’Etat avait réussi ? Quand je lui ai rétorqué qu’avec mon grade d’élève gardien de la paix, luimême pense que je pouvais être quoi dans cette affaire, il a piqué une colère et l’interrogatoire s’est terminé-là. Lors du procès, j’étais assisté par un avocat commis d’office que je n’ai jamais rencontré. Le juge Ananga m’a posé la question suivante : Qui t’a anobli ? J’avoue que je n’ai rien compris à la question. On m’a demandé de me mettre de côté. Je voyais les autres qui passaient et déroulaient leur emploi du temps de la journée du 5 et du 6 avril 1984. La suite, ça a été le prononcé du verdict et j’ai écopé de 10 ans de prison ferme.

Zourmba Nihi Ousmaïla. Des geôles d’Américanos, j’avais été transféré à la prison de Kondengui. Mon procès a lieu entre le 10 et 14 mai 1984. Bien avant, des auditions avaient eu lieu en prison comme pour tous les autres. Lors de l’audience, la première question qu’on m’a posée était de savoir où je me trouvais dans la nuit du 5 au 6 avril 1984. J’ai répondu naturellement que j’étais au Palais de l’unité. Le juge m’a lancé un "C’est bon merci" avant de continuer en me demandant ce que je faisais là-bas. J’ai raconté tout ce que j’avais fait cette nuit et quand j’ai notamment évoqué le passage où j’indiquais avoir décidé de fermer le tunnel qui donnait accès à la résidence du chef de l’Etat, il s’est écrié : «c’était pour l’arrêter comme une souris !» parlant du président de la République. J’ai poursuivi en indiquant que j’agissais dans le cadre du respect des consignes et qu’au moment de fermer le tunnel, quand je me suis retrouvé devant la résidence du président de la République avant de regagner la cour principale du Palais, j’avais sur moi une arme et 120 munitions. Si j’étais dans le coup et que je voulais vraiment tuer le Président, à cet instant personne ne m’aurait empêché surtout qu’il se trouvait bien dans sa résidence à cet instant. Il a poursuivi en me demandant ce que je devais avoir si le coup d’Etat avait réussi. J’ai piqué une colère en pleine audience et ce sont mes camarades qui m’ont demandé de me calmer. C’est là que s’est achevé mon procès. J’ai été condamné à mort. Quand on a lu le verdict, j’ai crié à haute voix dans la salle d’audience : «Si j’ai envié Paul Biya, que Dieu me punisse». Nous sommes retournés en prison. Le même jour, au journal de 13h, le président de la République a décidé que nous qui avions été condamnés à mort, qu’on ne soit pas exécuté. Curieusement, on nous a ramenés devant la barre pour un nouveau verdict et ma peine a été ramenée à 10 ans d’emprisonnement ferme.

Niresitike Dorson. Le scénario est pratiquement le même pour moi. J’ai également écopé de 10 ans d’emprisonnement ferme au terme du procès. J’étais jugé au même moment que le gendarmemajor Zourmba Nihi. Après mon audition en prison, on s’est retrouvé au tribunal. Mon procès s’est résumé à quatre questions. Vous étiez-ou ? J’ai répondu au camp dans ma chambre. Tu es sorti après les coups de feu ? J’ai répondu oui. Pourquoi tu es sorti ? J’ai indiqué au juge qu’il s’agit d’un règlement militaire et que je devais me rendre au camp dès qu’il y a des coups de feu. Après, le procureur a requis 20 ans de prison pour moi et le juge m’a donné 10 ans ferme.

Source: Oeil du Sahel du 06-4-2023