39 ans de règne: l'horizon brouillé de Paul Biya amorçé

Paul Biya, le président camerounais

Fri, 5 Nov 2021 Source: Mutations

Pratiquement à mi-parcours de son 7e mandat, Paul Biya est encore loin de pouvoir tenir ses promesses.

Ce 06 novembre 2021 marque deux événements au Cameroun. D’une part, cette date rappelle l’accession à la magistrature suprême du président Paul Biya en 1982. Tout ou presque a déjà été dit et écrit sur le contexte du passage de témoin entre le président Ahidjo et son dauphin constitutionnel. Dans une quasi-unanimité, les nostalgiques de cette époque rappellent que c’était un grand moment d’espoir. Espoir pour le changement de système, espoir pour l’avènement de la démocratie, espoir pour l’expression des libertés, espoir pour la modernité et le progrès économiques, etc. À chaque occasion, acteurs politiques, analystes, chercheurs, journalistes, etc., ont assidûment évalué le bilan du régime du « Renouveau ». En 2021, soit 39 ans plus tard, le 06 novembre coïncide, d’autre part, avec la troisième année du septennat dit des « Grandes opportunités », entamé à l’issue de la présidentielle de 2018.

À mi-parcours de son 7e mandat, Paul Biya, 88 ans, a pris un certain nombre d’engagements de son investiture au palais de Verre de l’Assemblée nationale le 06 nombre 2018, ceci, aux plans, économique, politique, social… En soutenant dans son discours de circonstance devant les corps constitués de la République que « le septennat qui vient de s’achever ne s’est pas écoulé comme un long fleuve tranquille », le président élu, à bien y regarder, se parlait à lui-même, parce que comptable dudit septennat amorcé en 2011. Donc, que la situation économique soit reluisante ou pas, il continue juste ce qu’il a commencé depuis 1982. D’ailleurs lui-même l’a si bien rappelé pendant la cérémonie : « (…) il va de soi que nous allons poursuivre nos réformes structurelles afin de renforcer notre équilibre budgétaire et de conforter la soutenabilité de notre dette.

Des finances saines sont en effet la condition de l’attractivité d’une économie et, donc, de son aptitude à accueillir les investissements. » Mais sur ce point, la situation économique actuelle du Cameroun n’est pas des plus exemplaires. Le train de vie de l’État est toujours aussi élevé. Le gouvernement est toujours aussi pléthorique avec plus d’une soixantaine de membres et assimilés qui continuent de s’engraisser à leurs postes, chacun biberonné en cela par la fameuse formule consacrée de l’article 2 des décrets de nomination : « les intéressés auront droit aux avantages de toute natures prévus par la réglementation en vigueur ».

Covidgate

La gestion des fonds publics demeure opaque au regard, par exemple, des récents scandales financiers liés d’une part, à la construction des infrastructures devant abrité la Coupe d’Afrique des nations l’an prochain. Le plus curieux ici demeure le complexe sportif d’Olembé entamé en 2009. « Cette infrastructure sportive coûterait donc finalement à l’État du Cameroun la bagatelle de 187 milliards (soit au-delà des 163 milliards initialement prévus, ndlr) de Fcfa », selon le site Investir au Cameroun (du 06 septembre 2021) qui a exploité « des documents de la Caisse autonome d’amortissement (CAA).

D’autre part à l’utilisation des 222,4 milliards Fcfa dont 180 milliards représentant le fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales. Ce que la presse a baptisé « Covidgate ». À ce sujet, le premier rapport d’étape de la Chambre administrative de la Cour suprême a relevé d’innombrables irrégularités. Plus tard, en juillet dernier, le ministre des Finances (MINFI), Louis Paul Motaze, a lui aussi commis un rapport, lequel mentionnait un gap de plus de 40 milliards Fcfa à justifier par le ministre de la Santé public.

Chose que Manaouda Malachie, a contesté avançant plutôt l’enveloppe de 34,5 milliards Fcfa au titre des avances de trésorerie. Par la suite, s’est ouverte une série d’audition de certains gestionnaires de la fortune publique, y compris le MINFI. Mais jusqu’ici, l’affaire est restée sans suite, tout comme le rapport final de la Chambre des comptes de la Cour suprême. Mis à part cette gabegie, il y a que la question de la dette. D’après le document de conjoncture mensuelle de la CAA, l’encours de la dette du Cameroun est évalué au 30 septembre 2021 à « 11 109 milliards Fcfa ».

Le chef de l’État a également jugé « opportun de (…) développer les secteurs de notre économie qui pourront réduire sensiblement nos importations de biens et services. Cette politique présentera l’avantage de nous permettre de rééquilibrer notre balance commerciale chroniquement déficitaire ». Dans sa note sur le commerce extérieur rendue publique en septembre dernier, l’Institut national de la statistique révèle qu’au premier semestre 2021, estime à 1 080 milliards pour 3,8 millions de tonnes de marchandises les recettes d'exportations du Cameroun contre 918,4 milliards en 2020 à la même période. À contrario, le pays demeure encore fortement dépendant de l’extérieur la valeur des importations est passée de 1406 milliards en 2020 à 1824 milliards en 2021.

Projets mort-nés

Avec des produits d’exportation très peu diversifiés et des moyens de production archaïques, comment le Cameroun compte-t-il « réaliser [sa] révolution agricole » et « conforter [son] statut de grenier de l’Afrique Centrale » ? Difficile d’être optimiste eu égard à la kyrielle de projets mort-nés, à l’instar de l’usine d'avocat de Mbouda, l’usine de manioc de Sangmélima, l’usine des tracteurs d'Ebolowa, l'usine d’abattage de poulet de Bafang, l’usine d'ananas de Njmbe financé, l’usine de riz de Galim, l’usine de pommes de Babadjou, l’usine des mangues de N’Gaoundéré, l’usine de poulet de Bomono… Au cours la cérémonie de prestation de serment, Paul Biya a semblé en revanche confiant quant au Plan directeur d’industrialisation dont « la réalisation sera une des tâches prioritaires du septennat ».

Autre ambition, « faire du Cameroun un grand producteur d’électricité dans notre continent ». En attendant la mise en service des ouvrages hydroélectriques, le territoire national demeure encore inégalement alimenté, malgré la dotation de 7 milliards pour l’exercice 2021 dans le Fonds de développement du secteur de l’électricité. Face aux députés le 28 juin 2021, le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, avait indiqué qu’il faut « 6000 milliards Fcfa » pour sortir tout le Cameroun de l’obscurité d’ici à l’horizon 2035.

Au plan institutionnel et politique, le processus de décentralisation s’avère encore poussif. La dotation budgétaire de 15% dévolue aux collectivités territoriales décentralisées arrive au compte-goutte, alors que tous les maillons (en l’occurrence les communes et les conseils régionaux) chargés d’impulser le développement local sont déjà opérationnels. Ce qui constitue un handicap pour le plein exercice de leurs compétences.

Transition générationnelle

À noter que démocratie est constamment écorchée du fait du musèlement de l’opposition. Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) en fait les frais depuis la présidentielle de 2018. Plus d’une centaine de ses militants sont encore incarcérés depuis septembre 2020 pour avoir tenté de marcher pour dénoncer la mal gouvernance et d’appeler au départ du pouvoir du président de la République.

Promouvoir le rôle des femmes dans notre société ; faciliter l’intégration sociale des jeunes ; lutter contre l’exclusion ; renforcer notre système de santé ; mettre en valeur une politique d’habitat social digne de ce nom ; l’organisation de la Can 2019 etc., sont quelques-unes des promesses de l’homme du 06 nombre. S’agissant en particulier des jeunes, Paul Biya a semblé pourtant avoir en cœur de favoriser la « transition générationnelle », comme annoncé dans son adresse à la jeunesse le 10 février 2021. En l’état actuel de nos institutions, aucune femme ne trône à la tête d’un exécutif régional. En outre, les jeunes ne sont que très peu représentés aux postes de décision. Au Parlement, les deux chambres sont respectivement occupées par Cavaye Yeguié Djibril (81ans) et Marcel Niat Njifenji (87ans). Au sein du gouvernement, Malachie Manaouda, est le plus jeune ministre à 47ans, suivi d’Achille Bassilekin III (ministre des Petites et Moyennes Entreprises de l’Économie Sociale et de l’Artisanat), 52ans.

Source: Mutations