Le contrôle des installations électriques intérieures est une évaluation de ces installations par rapport aux risques d’électrocution et des départs de feu (incendies). Pour les installations neuves, il s’agit de s’assurer qu’elles sont réalisées conformément à la norme en vigueur. Quant aux installations existantes, il s’agit d’apprécier leur niveau de sécurité actuelle. C’est un contrôle de sécurité à minima.
Vous avez organisé il y a quelques jours dans la capitale économique, un événement autour du contrôle de conformité des installations électriques intérieures. De quoi était-il question exactement ?
Je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’opportunité que vous m’offrez ainsi de revenir sur cet événement. Il me semble aussi important de souligner d’emblée que c’est la première fois que le Cameroun abrite une réunion du Groupe de Travail Afrique de la Fédération Internationale pour la Sécurité des Usagers de l’Electricité (FISUEL) ; puisqu’il s’agit bien de cela. Je me dois aussi de préciser que cette rencontre a été co-organisée par TECHNOLOGIE ZENTRUM SARL (TECHNOZ), dont je suis le Directeur Général et l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL), qui sont à ce jour les deux (2) seuls membres de la FISUEL au Cameroun.
Pourquoi la FISUEL ? Quel est l’objectif visé ?
La FISUEL est une association internationale qui regroupe à ce jour une cinquantaine de membres de par le monde entier. Les membres sont des structures opérant dans la vérification et le contrôle des installations électriques intérieures, ou qui souhaitant contribuer à la sécurité des usagers de l’électricité.
L’un des objectifs majeurs de la FISUEL est de favoriser les contacts et les échanges d’expériences entre les pays, dans le but d’accroître les niveaux de sécurité des installations électriques.
Elle est organisée en groupes de travail par continent (Afrique, Asie, Amériques, Europe).
Le Groupe de Travail Afrique (GTA) comprend à ce jour 08 membres : CONTRELEC au Bénin, ARSEL et TECHNOZ au Cameroun, PROQUELEC au Sénégal, CONSUELEC au Gabon, FENELEC au Maroc, LBTP en Côte-d’Ivoire, et SIEIN au Niger.
La rencontre de Douala a été ainsi un grand moment d’échanges et de partage d’expériences, de procédés et de référentiels, sur la pratique du contrôle de conformité des installations électriques intérieures dans les pays où il est déjà effectif.
Quand vous parlez du contrôle de conformité des installations électriques intérieures, de quoi s’agit-il exactement ?
Je vous remercie pour cette question qui me permet de clarifier le thème central de cette rencontre et d’en préciser également les enjeux. Pour faire simple, je dirai qu’on entend par installations électriques intérieures, toutes celles qui sont situées en aval du point de livraison du Distributeur d’énergie électrique. Ce point de livraison marque la limite de responsabilité entre le Distributeur et l’usager. Dans le cadre de cette rencontre, il s’agit du contrôle des installations électriques basse tension des habitations. Il faut donc bien comprendre que la qualité des installations électriques intérieures incombe au propriétaire.
Le contrôle des installations électriques intérieures est une évaluation de ces installations par rapport aux risques d’électrocution et des départs de feu (incendies). Pour les installations neuves, il s’agit de s’assurer qu’elles sont réalisées conformément à la norme en vigueur. Quant aux installations existantes, il s’agit d’apprécier leur niveau de sécurité actuelle. C’est un contrôle de sécurité à minima.
On a pu noter qu’il existe des dispositions légales pour le contrôle des installations électriques intérieures. Mais sur le terrain, rien n’est fait concrètement. A votre avis, qu’est-ce qui coince ?
Votre constat traduit bien le paradoxe de notre pays. Le Cameroun dispose en effet d’un cadre législatif et normatif en la matière. La loi n° 2011/022 du 14 Décembre 2011 institue en son article 75 le contrôle obligatoire des installations électriques intérieures avant mise sous tension, et des matériels électriques avant usage. Depuis Juin 2012, un Arrêté conjoint MINMIDT et MINEE rend d’application obligatoire la Norme NC 244 C 15100/2011-08 sur les installations électriques à basse tension.
De façon simple, selon cette loi, quand vous construisez votre maison par exemple, avant que ENEO ne vous alimente, vous devez présenter une attestation de conformité de vos installations électriques intérieures. Cette attestation devrait constituer une pièce de votre dossier de demande de branchement à ENEO.
D’autre part, il existe au Ministère de l’Eau et de l’Energie un Service du contrôle des installations électriques intérieures dont l’une des missions est ‘’l’élaboration et la mise en œuvre de la réglementation relative aux installations électriques intérieures, en liaison avec les administrations et les organismes concernés, et le suivi de la qualité du matériel destiné aux installations électriques intérieures’’.
Malgré tout ce dispositif, les textes d’application sont toujours attendus. On peut simplement constater une fois de plus pour le déplorer, l’inertie des pouvoirs publics. Pendant ce temps, des incendies sont régulièrement signalés dans les marchés, les habitations, les bureaux, les ministères, les usines, etc.… avec des conséquences socio-économiques évaluées à des milliards de francs cfa, et des pertes en vies humaines. Ironie du sort, le jour même du lancement de nos travaux, un incendie ravageait un magasin d’informatique à Akwa-Douala !
Il nous revient justement que plusieurs cas d’incendies enregistrés au Cameroun sont d’origine électrique. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Bien que notre environnement ne nous permette pas d’avoir des statistiques justes, je peux néanmoins déclarer sans ambages que 85% des incendies enregistrés sur le territoire national sont d’origine électrique. Ce chiffre a même été revu à la hausse par un responsable du corps national des sapeurs pompiers qui participait à nos travaux.
Vous me demandez comment cela s’explique ? Eh bien, on peut brièvement évoquer plusieurs facteurs, notamment l’explosion démographique, qui a comme conséquence une prolifération d’habitations anarchiques ; la pauvreté ambiante ; la qualité de la formation des techniciens. Le faux matériel extrêmement dangereux inonde le marché (environ 60% du matériel électrique sur le marché est de mauvaise qualité).
A ce propos, la représentante de la Direction Générale des Douanes, présente à nos travaux, nous a révélé que la Douane Camerounaise n’a aucune possibilité pour contrôler la qualité du matériel électrique qui entre sur le territoire national. Son évaluation se limite à un contrôle documentaire et quantitatif.
Vous venez d’évoquer la présence à vos travaux du corps national des sapeurs-pompiers et de la Direction Générale des Douanes. Alors, quelle appréciation faites-vous de la participation des secteurs public et privé à cette rencontre ?
Je relevais tantôt que cet événement a été co-organisé avec l’ARSEL. Je salue la présence des délégations étrangères en provenance de certains pays membres du Groupe de Travail Afrique (Bénin, Côte-d’Ivoire, Sénégal). Je me réjouis de la forte implication de ENEO à cette rencontre. Et en cela je voudrais profiter de cette occasion pour adresser mes vifs remerciements à son Directeur Général, Monsieur Joël NANA KONTCHOU, pour ce précieux soutien. J’apprécie la participation active des opérateurs économiques, experts, fabricants et associations de consommateurs du secteur de l’électricité dont les contributions scientifiques et la qualité des échanges ont révélé une grande convergence de vues et des préoccupations communes. Je ne saurai passer sous silence les échanges francs et ouverts avec la Douane sur ses activités et les actions à mener conjointement pour plus de sécurité électrique ; ainsi que le corps national des sapeurs pompiers pour sa contribution.
Toutefois, je tiens à souligner l’absence des autorités administratives et municipales. Certaines administrations centrales, dont les participations avaient pourtant été annoncées et confirmées, ont brillé également par leurs absences. Ces absences des institutionnels viennent ainsi discréditer le discours officiel sur le partenariat public/privé. Je trouve cela bien regrettable d’autant plus qu’il s’agit d’une question d’intérêt public, d’une question de sécurité des personnes et des biens.
On peut aussi noter en passant l’absence de l’Ordre National des Ingénieurs du Génie Electrique (ONIGE), alors qu’il avait aussi été invité. Mon vœu personnel c’est qu’il faut que cet Ordre sorte de la profonde léthargie dans laquelle il se trouve plongé aujourd’hui, et apporte sa contribution à l’émergence de notre pays.
Vous qui êtes membre de la FISUEL, un organisme international, pouvez-vous nous parler de l’expérience des autres pays d’Afrique et même d’ailleurs ?
J’ai déclaré plus haut que l’un des objectifs de la FISUEL est de favoriser les contacts et échanges d’expériences entre les pays, dans le but d’accroître les niveaux de sécurité des installations électriques, et promouvoir la sécurité électrique au niveau international. Il s’agit d’aider chaque membre à faire avancer, plus vite, plus juste, la sécurité électrique dans son pays en fonction de son histoire, de sa culture, de son économie, de sa législation et de ses usages. Les rencontres comme celle de Douala participent de cet objectif.
En Côte-d’Ivoire par exemple, le contrôle obligatoire est effectif depuis bientôt 20 ans. Bien plus, la structure en charge du contrôle s’occupe aussi de la vérification et de la validation des factures de consommation d’électricité et d’eau dans les services publics, avant paiement par le Trésor Public. Ce volet de ses activités a permis à l’Etat de Côte-d’Ivoire de réaliser plusieurs milliards de francs cfa d’économies. Face à la volonté exprimée notre Président de la République de réduire les dépenses publiques, comment ne pas envisager la mise en place d’un tel système au Cameroun ?
Au Bénin, le contrôle a commencé en 1998 ; et à ce jour, il couvre l’étendue du territoire national.
Pour le Sénégal, bien que le contrôle ne soit pas d’application obligatoire car ils attendent encore une loi, il y a eu un gros effort de sensibilisation des populations et de formation des techniciens à tel point qu’aujourd’hui la population a intégré ce principe de sécurité.
Le Japon, qui assure la présidence de la FISUEL en ce moment est le pays où les installations électriques intérieures sont les plus saines. En effet, en dehors du contrôle obligatoire avant première mise en service, il est instauré un contrôle périodique tous les cinq ans.
Au Brésil, il y a seulement quelques années, l’état des installations électriques dans les bidonvilles (afueras) était catastrophique. Mais les pouvoirs publics, y compris le Distributeur, les collectivités territoriales décentralisées et d’autres acteurs, ont pris des mesures adaptées pour assainir ces installations.
Comme vous le voyez, la problématique des installations électriques intérieures est une question mondiale. Il revient à chaque pays d’avoir son approche de solution. C’est ce que nous avons voulu faire partager ici.
Il ressort de vos propos un double souci de formation des techniciens et de sensibilisation des populations. Est-ce que ce sont des préalables ?
Ces deux aspects que vous énoncez sont très importants dans le processus. En tant que chef d’entreprise, je côtoie beaucoup de jeunes diplômés de tous les niveaux, du CAP à Ingénieur. Je peux vous confirmer que le niveau de formation pratique de ces jeunes est très bas.
On observe aujourd’hui une prolifération d’institutions de formation dont le seul objectif est de délivrer des parchemins, au détriment de la qualité même de la formation.
Par exemple, comment comprendre qu’un jeune titulaire d’un BAC F3, n’ait pas pu avoir plus de 50 heures de pratique durant tout son cycle secondaire ? Il est inacceptable que des diplômes techniques soient délivrés sans aucune formation pratique conséquente !
Sur le plan de la sensibilisation, il est question d’éduquer les utilisateurs eux-mêmes sur les risques d’une mauvaise utilisation de l’électricité. Bien que ce soit moins cher, c’est parfois par ignorance qu’ils choisissent d’acheter du matériel de mauvaise qualité. La vulgarisation de la norme est un autre volet très important. En effet, la plupart des techniciens ne sont même pas informés sur l’existence de cette norme. A court terme, une vulgarisation s’impose, tout au moins cette partie de la norme qui concerne le contrôle à minima.
Peut-on avoir plus de précisions sur cette formation qui s’est tenue en marge de la rencontre ?
Conscients du fait qu’il faudrait disposer d’un capital humain approprié pour soutenir le processus de contrôle des installations électriques intérieures, certaines structures membres du Groupe de Travail Afrique ont signé une convention de partenariat avec l’Association PROMOTELEC en France. Ladite convention vise le renforcement des capacités du personnel technique de ces structures dans le domaine du contrôle des installations électriques intérieures. Au titre de l’année 2015, la première session de formation a eu lieu en France du 20 au 24 Juillet, sur le thème ‘’Diagnostic et mise en sécurité des installations électriques des bâtiments d’habitation existants’’. La formation qui s’est tenue ici à Douala représente le 2ème module. La participation a été élargie à d’autres organisations et entreprises locales qui ont manifesté leur intérêt. Il s’agissait d’une formation de formateurs en matière de contrôle des installations électriques intérieures basse tension.
On a remarqué que cette formation a été ponctuée par des ateliers pratiques sur le terrain.
En effet, il nous a semblé normal de faire en sorte que les participants Camerounais et étrangers puissent toucher du doigt les réalités du terrain. C’est ainsi que nous avons visité tour à tour les installations électriques du marché central, du marché des femmes, du marché Mboppi, du GICAM et de certains domiciles privés.
Dans la majorité des sites visités, le constat est alarmant : les installations électriques sont dans un état de vétusté avancé, les normes d’installation ne sont respectées nulle part, et surtout l’utilisation du matériel de mauvaise qualité est très présente. Sans rentrer dans beaucoup de considérations techniques, je voudrais simplement signaler que les marchés visités sont de véritables poudrières.
Dans tous ces marchés, il serait opportun de réaliser dans un bref délai un audit devant déboucher sur l’établissement d’un schéma électrique, qui permettrait l’identification de tous les circuits.
A l’issue des travaux, quelles solutions avez-vous préconisé pour mettre fin à l’anarchie qui règne dans ce secteur au Cameroun ? Avez-vous formulé des recommandations ?
Pour emprunter un peu au langage médical, un diagnostic a été posé et une ordonnance a évidemment été dressée. Les participants se sont notamment engagés à prendre des mesures nécessaires pour la mise en place d’un observatoire du secteur électrique au Cameroun. D’autre part, il faudrait inciter les pouvoirs publiques à conditionner la délivrance du permis de bâtir à l’existence dans la demande du requérant d’un dossier électrique complet. Des actions de sensibilisation des consommateurs et de formation des techniciens doivent également être menées.
Au niveau du Distributeur ENEO, il faudrait accélérer la normalisation des panneaux de comptage. Il faudrait vérifier de façon régulière la présence d’un disjoncteur de panneau en bon état de fonctionnement et procéder à son remplacement immédiat en cas de défaillance. Il faudrait aussi, au raccordement, vérifier l’existence d’une prise de terre, car celle-ci conditionne un bon fonctionnement du disjoncteur.
Avec la Direction Générale des Douanes, il a été envisagé à court terme le renforcement des capacités du personnel des Douanes dans l’identification du matériel électrique de mauvaise qualité. (cette formation pourrait être dispensée par un groupe d’experts nationaux, éventuellement associés aux fabricants de matériels électriques représentés sur le territoire national). Une refonte du Tarif Douanier pour y introduire une codification et des libellés plus précis concernant les matériels électriques été évoquée
A l’endroit de l’ANOR, il est recommandé à court terme, d’assurer une meilleure diffusion et vulgarisation des normes. A moyen terme, il a été suggéré de prendre des dispositions nécessaires pour qu’une attestation de conformité soit établie et exigée à l’entrée du matériel électrique, comme c’est le cas pour d’autres matériels ou produits comme le fer à béton, le ciment, les farines, les huiles végétales, le lait, etc…
A l’endroit de l’ARSEL, il est apparu l’impérieuse nécessité de la relecture du Règlement de service pour le mettre en adéquation avec la norme.
Un dernier mot peut-être pour clore cet entretien ?
Aujourd’hui on sait exactement ce qu’il faut faire. L’heure est à l’action. Les pouvoirs publics devraient très rapidement rendre effectif le contrôle obligatoire des installations électriques intérieures. Nous, acteurs du secteur privé sommes prêts et disponibles pour les accompagner dans ce processus. J’ai personnellement participé depuis plusieurs années à divers comités et commissions ad-hoc au MINEE ou à l’ANOR autour de cette problématique.
Et déjà en 2008 s’est tenu au Palais des Congrès de Yaoundé, un forum international sur le contrôle des installations électriques à l’issue duquel de fortes recommandations avaient été émises. Nous espérons nos recommandations de Douala vont aider à faire avancer les choses. C’est notre vœu le plus cher.
Je peux confirmer qu’au Cameroun, il y a de la ressource suffisante pour mener à bien ce projet. Il faudrait simplement faire confiance et bien encadrer cette expertise locale. A l’exemple du Brésil, on pense qu’avec l’implication de tous, on peut résoudre très rapidement le problème. Nous devons donc agir tous ensemble pour la sécurité des installations électriques intérieures au Cameroun !