La ville, frappée par des attentats depuis 2015, accueille les Jeux universitaires. Un moyen pour les autorités de montrer que le calme est revenu.
A la nuit tombée, Le Boucan Bar ne désemplit pas. L’établissement est un remarquable indicateur du moral de Maroua, capitale de la région camerounaise de l’Extrême-Nord. Ses tables poisseuses ont supporté les moments de joie de cette cité commerçante à la lisière du Sahel, puis elles ont tremblé en juillet 2015 lorsqu’une jeune fille s’est approchée et a activé sa ceinture d’explosifs. Le quartier Pont vert, festif et populaire, s’est alors refermé.
Tout comme Maiduguri, sa grande sœur nigériane à 200 km au nord-ouest, Maroua a basculé dans la guerre, avec la peur et l’asphyxie économique qui l’accompagnent. D’autres attentats ont suivi. Le marché central fut visé par les combattants d’Abubakar Shekau, chef du groupe djihadiste Boko Haram, coutumier de cette ville qu’il fréquentait autrefois. Un couvre-feu fut décrété, de même que l’interdiction de circuler à moto, moyen de transport prisé par les terroristes mais qui fait aussi vivre des milliers de jeunes taxis et contrebandiers d’essence.
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« On a vécu la peur au ventre, dans la psychose. Mais on a résisté. Religieux de toutes obédiences, notables, responsables politiques, habitants, chacun à sa manière a combattu Boko Haram, déclare Hamadou Hamidou, le maire de Maroua. Malgré quelques attaques sporadiques, Boko Haram a été anéanti par nos forces armées mais la ville est encore traumatisée. »
« On fait du sport et on oublie les problèmes »
Aujourd’hui, de la terrasse bondée du Boucan Bar qui surplombe une piste de terre, on peut à nouveau voir déambuler les vendeurs de bière artisanale et d’autres liqueurs bachiques, les bons vivants, les travailleurs et les survivants. Il a fallu du temps pour que cette taverne retrouve de l’animation, le temps pour Maroua de soigner ses angoisses, de sortir de la psychose. Le couvre-feu, officiellement toujours en vigueur, ne l’est plus dans la pratique. Les motos ont repris leurs droits sur les routes ombragées par les acacias, tandis que la frontière avec le Nigeria est officieusement rouverte. Chrétiens (majoritaires) et musulmans ne prient plus dans la peur. Les commerces ouvrent tard et on danse à nouveau à Maroua, pas seulement la nuit à la lumière des néons multicolores des bars du centre-ville.
Sur le campus sablonneux de l’université, en ce jeudi matin de l’Ascension, des centaines de jeunes gens gambillent autour de colosses qui s’affrontent. Dans une arène de sable se déroulent des combats de lutte, rythmés par les percussions des étudiants de Bamenda et de Buéa. Ils sont venus de l’Ouest anglophone, théâtre de l’autre guerre du Cameroun à laquelle ne veut pas penser cette grappe de futurs diplômés, sous un soleil de plomb. « On fait du sport, la fête, et on oublie les problèmes », lâche Michael, en pidgin (« créole » d’Afrique de l’Ouest anglophone). Des milliers d’étudiants de tout le pays se retrouvent depuis le 4 mai pour la 21e édition des Jeux universitaires, la première à se dérouler à Maroua.
Des stars de la musique ont fait le show. Ministres et autres responsables politiques ou sécuritaires sont venus de Yaoundé. Alors que l’élection présidentielle doit se tenir en octobre, le gouvernement camerounais entend ainsi démontrer que la paix est rétablie dans cette région, longtemps délaissée par le pouvoir central bien qu’acquise au parti présidentiel. Ces jeux universitaires servent aussi à consolider le message politique du président Paul Biya – 85 ans dont trente-cinq passés à la tête de l’Etat – sur la victoire contre Boko Haram. Considérablement affaibli au Cameroun, qu’il ne peut plus utiliser comme base de repli, le groupe y est incapable d’affronter les forces armées.
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Depuis le mois de mars, Maroua et ses environs connaissent un « calme relatif », marqué par une réduction drastique des incursions de djihadistes dans les villages, se réjouit une source sécuritaire. Mais la capitale de la région la plus pauvre du Cameroun, et la plus sensible au changement climatique, doit désormais faire face aux crises humanitaire et économique provoquées par cette sale guerre, gérer les plus de 100 000 déplacés internes, les tensions communautaires, sur fond de villages vidés et de champs abandonnés.
En attendant, Maroua savoure. Ses hôtels affichent à nouveau complet et la ville se prend à rêver du retour des touristes étrangers. Fin décembre 2017, près de 30 000 habitants ont assisté au festival culturel Yelwata (« réjouissance populaire » en langue fulfulde). L’événement, inconcevable un an plus tôt, a servi de préparatifs aux jeux universitaires. Le déploiement de militaires et d’agents de renseignement est aujourd’hui considérable pour sécuriser cette grande fête qu’une tentative d’attentat-suicide déjouée n’a pas suffi à gâcher. Comme il y a trois ans, la bombe humaine était un enfant.