C’est presqu’un brûlot que les Etats-Unis viennent de produire sur le Cameroun. Sur les 41 pages du rapport 2014 sur la situation des droits de l’homme au Cameroun, publié par le département d’Etat américain (équivalent du ministère des Relations extérieures ici), très peu de points positifs sont mis au compte du pays que dirige Paul Biya depuis 1982. Et le président en prend lui-même pour son grade au début de ce rapport rédigé en anglais.
«Le Cameroun est une République dominée par une présidence forte.» «Dans la pratique, le président détient le pouvoir pour contrôler la législation», observent les auteurs du rapport. Si la Constitution de janvier 1996 parle de trois pouvoirs au Cameroun (exécutif, législatif et judiciaire), principe régulièrement défendu par certains ministres, le département d’Etat indique pour sa part que l’Exécutif prime sur tous les autres. «Le président Biya et les membres du RDPC, cependant, contrôlent les aspects clés du processus politique y compris le judiciaire», peut-on relever à un autre endroit du rapport.
Le département d’Etat américain décrit un pouvoir présidentiel très «fort». «Le président nomme tous les ministres y compris le Premier ministre, et nomme également les gouverneurs de chacune des 10 régions du Cameroun, qui représentent en général les intérêts du RDPC. Le président a le pouvoir de nommer d’importants membres des 58 structures administratives régionales. Le gouvernement paie les salaires (surtout) des chefs traditionnels ce qui crée un système de patronage», relève le département d’Etat.
Les Américains regrettent par ailleurs que les 286 groupes ethniques du Cameroun ne soient pas proportionnellement représentés dans l’administration et d’autres instances du pays. «Les membres du groupe ethnique Beti/Bulu du Sud, dont est originaire le président, occupent des postes clés et sont disproportionnellement représentés dans le gouvernement, les entreprises publiques, et le RDPC, parti au pouvoir», lit-on dans le rapport.
De manière générale, en dehors de ces questions politiques suscitées qui ne sont pas l’objet du rapport, le département d’Etat américain dénonce: Les conditions de détentions des prisonniers, la mauvaise qualité de la nourriture à eux servis, le racket organisé par les gardiens de prison; le travail des enfants; les arrestations et détentions arbitraires; le prolongement des détentions provisoires dans les affaires judiciaires; le harcèlement des journalistes; la restriction de la liberté d’expression pour la presse; les entraves à la liberté de mouvement; le niveau de corruption dans le pays; la discrimination contre les homosexuels; les abus commis par les forces de défense et de sécurité, parfois sous le sceau de la lutte contre Boko Haram, pour l’essentiel. En le parcourant, on constate que le rapport est basé sur les articles de médias, les rapports des ONG et des institutions gouvernementales.
Dans le détail de certaines critiques formulées contre le Cameroun
Sur le point des arrestations et détentions arbitraires, les Américains notent l’arrestation le 09 août 2014 à Douala de Aboubakar Sidiki et le 26 août 2014 de Abdoulaye Harissou, notaire arrêté à Maroua. Les deux personnalités ont été transférées à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui le 26 septembre, et inculpées en octobre pour divers chefs d’accusation, dont celui d’«hostilité contre la patrie et révolution».
Le rapport dénonce aussi les délais qui ne sont pas respectés en ce qui concerne la détention provisoire, fixée à 18 mois au maximum au Cameroun. Il s’appuie notamment sur le cas de Henri Engoulou, l’ancien ministre délégué aux Finances, en charge du budget, décédé à Yaoundé le 08 mai 2014, d’une fièvre typhoïde après plus de quatre ans d’incarcération en attendant son procès.
«Il n’y a pas de statistiques disponibles sur le nombre de prisonniers politiques» au Cameroun, mentionne le rapport au chapitre consacré aux détenus et prisonniers politiques. Ces personnes sont incarcérées «sous haute sécurité», souvent au Secrétariat d’Etat à la Défense, décrivent les auteurs du rapport. Le département d’Etat cite ainsi le nom de Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, condamné en 2012 à 25 ans d’emprisonnement pour des faits liés à un détournement de deniers publics. Comment on peut le relever dans le rapport, M. Marafa est considéré par les Américains comme un prisonnier politique en vertu du fait que le gouvernement aurait refusé à plusieurs ONG au courant de l’année de lui rendre visite.
L’autre nom cité par le rapport c’est celui de Michel Thierry Atangana, Franco-camerounais libéré en février 2014, grâce à un décret présidentiel de remise de peine, après 17 années passées en prison. «Des défenseurs des droits de l’homme ont considéré que l’arrestation et la condamnation de Michel Thierry Atangana étaient politiquement motivées», écrivent les auteurs du rapport.
Sur les disparitions, le département d’Etat indique qu’il n’y a pas véritablement de disparitions observées pour des raisons politiques à l’exception du capitaine Guerandi Goulongo Mbara, un ancien putschiste dont «l’enlèvement» par les services de renseignement a été signalé par le magazine Jeune Afrique en date du 15 septembre 2014. RFI a annoncé qu’il a été exécuté en janvier 2013, mais le gouvernement n’a pas répondu à ces allégations à la fin de l’année 2014, relève le rapport.
Libertés civiles D’après le constat du département d’Etat américain, les officiels du gouvernement refusent un accès à la liberté d’expression pour des personnes souvent opposées aux points de vue du gouvernement ou qui critiquent régulièrement les politiques publiques. Les interdictions de manifestations publiques et autres meetings sont les points illustrés dans le rapport.
En ce qui concerne la liberté de la presse, les Américains relèvent que les journalistes font régulièrement l’objet de pression. Ils évoquent l’inculpation de Rodrigue Tongue, ancien journaliste au quotidien Le Messager; Felix Ebole Bola, de Mutations; et l’enseignant Baba Wame, inculpés pour «non dénonciation» par le tribunal militaire en octobre 2014.
Le rapport souligne également que les médias publics et privés ne bénéficient pas d’un même traitement pour la couverture d’événements officiels. Les événements organisés à la présidence, dans les services du Premier ministre et les voyages présidentiels sont réservés à une poignée de médias alors que le ministère de la Communication se targue de l’existence de plus de 650 journaux et 200 radios dans le pays.
La corruption est un «problème» Travail des enfants, sous-représentation des femmes en politique, protection des minorités ethniques, etc. le rapport examine un panorama de questions que lesquelles le gouvernement devrait mettre plus d’attention.
La département d’Etat relève l’entrave à la liberté de mouvement avec les contrôles à répétition des forces de sécurité, qui en profitent régulièrement pour extorquer des fonds aux voyageurs sur certains axes.
Le rapport fait aussi mention de cas de viols dans les camps de réfugiés, dénoncés par des ONG, mais malheureusement impunis.
Malgré un environnement hostile, le rapport relève que de nombreuses ONG continuent de lutter pour la défense des droits des minorités sexuelles (lesbiennes, gays), non reconnus cependant par le code pénal camerounais.
Quelques points positifs sont accordés au gouvernement camerounais, notamment la protection que le pays accorde aux réfugiés; et la liberté de communication en ligne. Aucune censure n’est signalée. Le taux de pénétration d’Internet se situait, selon les données obtenues par le département d’Etat américain, à 5,7% en 2014.
Mais le Cameroun a encore maille à se départir d’un problème sérieux au quotidien: la corruption. «La corruption est présente à tous les niveaux du gouvernement» écrit le département d’Etat, c’est même un mal «sérieux», souligne-t-il. En dépit de ce qui est marqué dans la Constitution, Le département d’Etat regrette que le président n’ait pas encore signé le décret exigeant aux officiels de déclarer leurs biens.