Poursuivi aussi bien au Cameroun qu’en Côte d’Ivoire par son ancien patron et compatriote, un homme d’affaires de nationalité indienne est acculé dans un emprisonnement qui ne dit pas son nom, par le fait d’une procédure d’extradition initiée par les autorités judiciaires abidjanaises.
C’est un justiciable singulier qui séjourne depuis le 27 octobre dernier dans la chambre de sécurité du Commissariat de sécurité publique du quartier Bastos, à Yaoundé. M. Raj Gopal Talreja, homme d’affaires de nationalité indienne résident au Cameroun, puisqu’il s’agit de lui, ne sait pas combien de temps il restera encore en cellule. C’est ce que tous les juristes impliqués dans la gestion de son cas s’accordent à dire. Le procureur de la République a choisi de le maintenir en garde à vue plutôt que de le placer en détention préventive à la prison centrale de Kondengui compte tenu des spécificités de son affaire. Mais cette situation n’est pas moins préoccupante.
Raj Gopal Talreja a en effet été interpellé par la police il y a une douzaine de jours (au moment de la mise sous presse de cet article) dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt international émis depuis le 1er juin 2021 par le juge d’instruction du 7e cabinet du Tribunal de première instance d’Abidjan, M. Baha Guindy Roméo. Ce mandat d’arrêt fait suite à une procédure judiciaire engagée contre cet Indien en Côte d’Ivoire. En froid depuis quelques mois avec son ancien patron, le milliardaire M. Avinash Hingoramni, ce dernier l’accuse de « détournement » et « abus de confiance » pour une valeur de 62 millions de francs. Le problème, c’est que M. Raj Gopal Talreja, qui dit que lesdites poursuites sont abusives, est déjà opposé à son ancien patron dans plusieurs fronts judiciaires au Cameroun dans lesquels il lui réclame aussi le paiement de sommes d’argent plus importantes.
Abus de confiance aggravé
En fait, M. Avinash Hingoramni est le promoteur de l’agence de voyage « Rêve Voyages » et de l’entreprise d’habillement « Sammys Creations », compagnies qui ont des filiales dans nombre d’autres pays d’Afrique centrale (Gabon, Congo, Côte d’Ivoire, Burkina-Faso, Cameroun, etc.). Et M. Raj Gopal Talreja a longtemps été le représentant des entreprises de M. Avinash Hingoramni, notamment en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Congo Brazzaville, lorsqu’il a décidé de voler de ses propres ailes en février 2021, en s’installant au Cameroun avec son épouse et ses deux enfants, puis en créant avec un autre associé une entreprise de location d’engins et de construction (notamment) plus connue sous le sigle Sdic. Depuis, les deux hommes se donnent coup pour coup.
Au Cameroun déjà, le milliardaire indien a engagé des poursuites contre son ancien collaborateur à qui il réclame une dette supposée de 14 millions de francs. M. Raj Gopal Talreja avait d’ailleurs été inculpé d’abus de confiance aggravé. La procédure judiciaire ainsi engagée est à la phase de l’instruction. Et ce dernier est sous le coup d’une mesure de surveillance judiciaire, bénéficiant d’une liberté sous caution, pour avoir verser la somme de 2,5 millions de francs. Par ailleurs, M. Avinash Hingoramni poursuit M. Raj Gopal Talreja et M. Emile Fidieck, éditeur du journal économique Eco-Matin pour diffamation (lire Kalara N°401), toujours à Yaoundé.
Toutes ces procédures sont en cours, ce qui complique en principe l’extradition de M. Raj Gopal Talreja vers la Côte d’Ivoire, telle qu’elle est souhaitée par la justice de ce pays. En effet, l’article 646 du Code de procédure pénale en vigueur au Cameroun stipule que « l’étranger en cours de poursuites ou d’exécution d’une peine au Cameroun ne peut être extradé pour comparaître devant les tribunaux de l’État requérant qu’après l’intervention d’une décision de fond ou l’exécution des peines privatises de liberté ».
En fait, M. Avinash Hingoramni, qui a très mauvaise presse auprès d’un grand nombre d’Indiens basés au Cameroun, fait l’objet de la part de son ancien collaborateur, M. Raj Gopal Talreja, de plusieurs assignations devant la justice camerounaise. Il lui est reproché dans l’une des procédures introduites le 10 septembre 2021 d’avoir monté un faux contrat de travail prétendument daté de 2011 au nom de M. Raj Gopal Talreja, avec la complicité active de Me Jean Mana, notaire à Yaoundé, dans le but présumé de nuire aux intérêts de son compatriote. Le milliardaire indien répond aussi d’une assignation en « reddition des comptes », introduite par son même adversaire, qui lui réclame le paiement d’une dette de près de 6 millions de francs. Et ce n’est pas tout ?
Décret présidentiel
Si M. Raj Gopal Talreja a déjà pris connaissance du mandat d’arrêt décerné contre sa personne au lendemain de son arrestation, comme le prévoit la loi, il est loin de savoir quand il recouvra sa liberté d’aller et de venir, comme il le souhaite, au Cameroun. Selon les informations glanées par Kalara, la procédure d’extradition qui concerne cet Indien, est au point mort. La faute aux autorités judiciaires abidjanaises, qui n’ont pas encore adressé à leurs homologues, la demande formelle d’extradition, pour relancer le processus, à travers un examen minutieux de la situation.
En effet, selon la procédure pénale camerounaise, la décision d’extradition ou non appartient au président de la République : « Le président de la République peut, par décret, ordonner l’extradition, aux gouvernementaux qui lui en font la demande, de tout étranger trouvé sur le territoire national, objet d’une poursuite pénale ou d’une condamnation à une peine privative de liberté dans l’Etat requérant. » Or, le décret du chef de l’État, pour la circonstance, n’intervient qu’après émission en sa direction et par la Cour d’appel réunie en chambre de conseil (à huis-clos), d’un avis découlant de l’examen du dossier formel de la demande d’extradition au regard des autres données obtenues par la juridiction suite à ses autres investigations.
Une source judiciaire autorisée, rencontrée par Kalara, estime « qu’il faudra environ 45 jours depuis l’exécution du mandat d’arrêt international, c’est-à-dire l’arrestation de l’Indien, pour que la Cour d’appel soit en mesure de statuer, donc d’émettre l’avis attendu par le président de la République pour décider, bien que cet avis ne soit pas contraignant pour le président de la République ». Ce délai probable, qui dépasse le maximum du délai de garde à vue judiciaire au Cameroun pour les procédures ordinaires, serait en grande partie dû au fait que la demande formelle d’extradition doit être transmise au Cameroun par voie diplomatique. Il ne reste donc plus qu’une décision extraordinaire de la Cour d’appel du Centre en l’occurrence, pour que la phase d’arrestation de M. Raj Gopal Talreja, ne s’assimile pas déjà à un long emprisonnement, en attendant un éventuel jugement.