Juste à la sortie de Grande-Synthe, à l'ouest de Dunkerque, se trouve le campement. Des dizaines de tentes chevauchent une voie ferrée et s'enroulent autour d'un canal, coincées entre une route principale et une zone industrielle.
Des gens sont venus du monde entier pour se retrouver ici, à la recherche d'un moyen de traverser la Manche et de commencer une nouvelle vie au Royaume-Uni.
Il y a toute une communauté de personnes dont la vie est liée à ces migrants à leur porte.
"Comment je me suis battue pour garder mon enfant" Eve-Marie Dubiez, une habitante de la région, fait partie de la demi-douzaine de bénévoles qui distribuent des sandwiches et du chocolat chaud le vendredi matin. Son groupe fournit le petit-déjeuner ici deux fois par semaine, armé également de ponchos de pluie, de chaussettes, et parfois de chaussures, quand ils peuvent les obtenir.
Elle est convaincue qu'il y aura une solution à la crise des migrants dans le nord de la France. "Mais ce sont eux qui paient le prix pour le moment", dit-elle en désignant d'un geste les personnes qui collectent la nourriture de ses collègues.
Eve-Marie a passé les 15 dernières années à travailler dans des camps comme ceux-ci. Elle dit que la police déplace régulièrement les gens, démolissant les camps ou poussant les gens plus loin le long de la côte. "Tout le monde veut se débarrasser d'eux d'une manière ou d'une autre", dit-elle.
"Les contrebandiers n'aident pas", ajoute-t-elle. "Ils ne sont pas la raison de ce désordre, mais ils en profitent".
Depuis des décennies, la région Nord-Pas-de-Calais, dans le nord-est de la France, accueille des milliers de personnes.
Certains à Calais considèrent les migrants comme étant au mieux une nuisance, au pire une menace. En 2016, des manifestants anti-islamiques ont affronté la police pour protester contre eux ; aujourd'hui, on peut trouver dans la ville des affiches du parti d'extrême droite de Marine Le Pen, le Rassemblement national, appelant à une "immigration zéro".
Mme Le Pen est l'un des nombreux députés de son parti élus dans cette région. L'immigration s'annonce d'ores et déjà comme un enjeu majeur de l'élection présidentielle française de 2022, beaucoup réclamant un renforcement des contrôles.
Michel Barnier, l'ancien négociateur de l'UE pour le Brexit, se présente pour le parti de droite Les Républicains et a juré de réprimer l'immigration.
Mais loin de la politique, les visages humains de cette crise se retrouvent partout dans cette ville et ses environs.
Ali Omar (ce n'est pas son vrai nom) est à Calais depuis trois mois. Il dit avoir fui le Soudan après que la milice Janjaweed, désormais connue sous le nom de Forces de soutien rapide, a tenté de le tuer.
"Pour moi, c'est une question de langue", dit-il quand on lui demande pourquoi il veut venir au Royaume-Uni. "Je fais face à beaucoup de difficultés pour m'intégrer aux gens ici".
Mais même après la mort de 27 personnes dans la Manche la semaine dernière, Ali Omar reste imperturbable. "Je vais continuer à essayer d'aller au Royaume-Uni", insiste-t-il.
Cette attitude montre la nécessité d'un changement, estime Marguerite Combes. Cette jeune femme de 22 ans est la coordinatrice à Calais d'Utopia 56, une association française créée en 2016 pour apporter un soutien juridique et pratique aux migrants.
Son groupe reçoit régulièrement des appels de personnes qui traversent la Manche, cherchant de l'aide à partir de n'importe quel numéro qu'ils ont, alors que leurs bateaux peu solides coulent. L'organisation organise également des concessions funéraires et des funérailles pour ceux qui meurent en route, ainsi que le rapatriement des corps pour les familles endeuillées.
Marguerite se souvient d'un groupe de cinq personnes qui, il y a trois semaines, a tenté la traversée en kayak. Seuls deux d'entre eux sont rentrés en France vivants, le troisième gisant mort au fond de leur petite embarcation.
"Ils ont passé quelque chose comme 27 heures sur le bateau", dit-elle. Le corps d'un quatrième membre a été retrouvé plus tard sur une plage près de Wissant, à l'ouest de Calais.
"Nous l'avons enterré mercredi matin. C'était une très grosse histoire, aussi pour les personnes qui sont restées en vie parce qu'elles ont vu trois de leurs amis mourir." Quelques heures plus tard, on apprenait le décès de 27 autres personnes.
Elle me dit que si elle pouvait dire une chose au gouvernement britannique, c'est que tout ce que fait le resserrement des frontières est d'encourager les gens à "prendre plus de risques".
"Les seuls qui n'arriveront pas au Royaume-Uni sont ceux qui meurent dans la Manche", dit-elle.
Marguerite critique également les autorités françaises. Si elle rejette les suggestions selon lesquelles la France n'en fait pas assez pour tenter d'arrêter les traversées - qualifiant les efforts de la police d'"énormes" - elle soutient que les autorités devraient construire des abris, distribuer de la nourriture et donner aux gens la chance de vivre. "Accueillir les gens avec dignité dans l'UE", dit-elle. "Pas seulement un accueil administratif, pas seulement leur donner des papiers, mais leur donner des cours de langue, leur donner un endroit [et une chance] d'aller à l'école, de travailler, d'avoir un permis de conduire."
Ludovic partage sa frustration vis-à-vis du gouvernement. "Ils appliquent la même solution depuis 30 ans maintenant, et la solution ne change rien", dit-il.
Cet homme de 38 ans pense que beaucoup de personnes qui tentent aujourd'hui de rejoindre le Royaume-Uni n'avaient pas prévu de le faire lorsqu'elles sont arrivées en Europe, mais qu'après avoir dormi dans la rue pendant des années, elles ont décidé que le Royaume-Uni était la seule solution.
"L'Europe ne les accepte pas, ne leur offre pas une vraie vie avec la possibilité d'avoir un bon emploi et de louer un appartement", dit-il. Pour lui, il ne s'agit pas d'un débat abstrait - il faut des mesures pratiques pour empêcher les gens de faire la dangereuse traversée en mer, qui se poursuit même pendant les mois d'hiver plus risqués.
"Il ne s'agit pas de savoir ce que vous pensez de la situation des migrants", dit-il. "Les gens sont ici maintenant. Nous ne pouvons pas laisser les gens mourir."