Ils étaient venus nombreux pour accueillir Jean Pierre Amougou Bélinga à la sortie de prison. Mais ils ont été empêchés. D'ailleurs, leur Amougou n'a pas été libéré. Il reste en prison.
La foule qui a pris d’assaut l’entrée de la prison principale de Yaoundé-Kondengui le vendredi 1er décembre en début de soirée a été dispersée par la forte pluie qui a arrosé la cité capitale. Des deux côtés de la route qui dessert le célèbre pénitencier, des véhicules immatriculés « CA » (Corps administratif, ndlr) serpentent le passage. Derrière ces voitures, dans la pénombre, l’on peut apercevoir des hommes et femmes vêtus de survêtements. Il s’agit visiblement de proches de l’homme d’affaires, Jean Pierre Amougou Belinga et du directeur général de la recherche extérieure, Léopold Maxime Eko Eko, dont l’ordonnance de mise en liberté provisoire a fuité sur les réseaux sociaux dès le début de l’après-midi.
Toute la foule ici réunie fait le pied de grue devant la prison pour vivre la sortie annoncée des deux personnalités. La soirée s’annonce longue et haletante. Dans les coins sombres du secteur, des policiers et gendarmes ont investi les lieux. Difficile de les repérer en blousons noirs.
Débits de boissons et restaurants en face de la prison sont bondés de monde. Mais personne ne hausse le ton. L’on dévise à voix basse sur l’actualité du soir, question d’éviter de se faire remarquer. 19h. « Il est encore dedans avec ses trois épouses, sa fille géante et ses frères. J’ai également vu son collaborateur qui est attaché à lui tout le temps. Il a souvent une coiffure de jeunes», croit savoir une gérante de bar. Le collaborateur ainsi décrit ici semble être Bruno Bidjang, le directeur des medias du groupe l’Anecdote.
Pendant ce temps, un véhicule de marque Toyota pointe son capot avec le logo du groupe l’Anecdote. Au volant de l’engin à quatre roues : Philippe Bonney, le directeur de Vision 4. Bientôt 22h. L’on approche progressivement le milieu de la nuit. Mais personne ne veut lever le siège. « Je suis sûr qu’ils attendent que les gens partent pour les libérer. Il est déjà 22h. Cela ne servira plus à rien de rentrer. On va seulement attendre la fin de ce film », déclare un vendeur de médicaments. Lui, a l’habitude de fermer son réduit à 20h, souffle-t-il.
CONFUSION
De libération des deux prisonniers de luxe, il n’en sera rien. Pourtant, aux premières heures de la soirée du 1er décembre dernier, un document ordonnant la mise en liberté provisoire de Jean Pierre Amougou Belinga et Léopold Maxime Eko Eko ( la détention des deux hommes « n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité », d’après le juge) a colonisé les réseaux sociaux.
La correspondance porte la signature du lieutenant-colonel Florent Aimé Sikati II Kamwo, vice-président et juge d’instruction du tribunal militaire de Yaoundé. Quelques minutes plus tard, cette décision du juge d’instruction est suivie de procès-verbaux (Pv) de notification de l’ordonnance aux avocats des concernés. Les Pv sont signés du greffier d’instruction Jean Didier Nkoa.
À ce stade, tout le monde attendait que le commissaire du gouvernement signe la levée d’écrou afin de voir les détenus tourner le dos à la prison principale de Kondengui. Malheureusement, quelques heures plus tard, une autre nouvelle va rebattre les cartes et affoler l’opinion publique.
DOCUMENTS AUTHENTIQUES
Pendant que les petits plats sont mis dans les grands, au propre comme au figuré, aussi bien du côté du domicile de l’homme d’affaires que de celui du patron de la Dgre, un courrier confidentiel tombe comme un cheveu dans la soupe. Il s’agit d’une correspondance du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Yaoundé, adressée au régisseur de la prison principale de Yaoundé Kondengui. « J’ai l’honneur de vous faire tenir thermocopie de la lettre du juge d’instruction de ce jour qui atteste que le document en circulation dans les réseaux sociaux n’émane point de lui ; il n’est donc pas authentique », et par conséquent, « je vous invite de ne pas exécuter un quelconque ordre de mise en liberté sans en référer », écrit Cerlin Belinga.
RETROPEDALAGE
Ce courrier du magistrat militaire est quasi concomitant à celui du juge d’instruction Sikati II Kamwo qui dément l’information faisant état de ce qu’il a ordonné la mise en liberté provisoire de Amougou Belinga et Maxime Eko Eko. Un rétropédalage visiblement. De toutes façons, les compteurs sont remis à zéro. L’on image l’ascenseur émotionnel chez les prévenus, leurs proches et leurs conseils.
Une douche froide pour le collectif d’avocats de Maxime Eko Eko qui, dans un communiqué de presse, va remettre les pendules à l’heure et demander « la mise en exécution sans entrave de l’ordonnance sus évoquée ».
Pour sa part, Me Charles Tchoungang, avocat de Jean Pierre Amougou Belinga crie à la manipulation et au scandale judiciaire. « Je sors du tribunal militaire [1er décembre 2023]. La notification est authentique à 100%. Le chef de l’Etat a même eu la copie de l’ordonnance. Nous sommes au tribunal pour demander la levée d’écrou. On nous dit qu’il y a des réunions, qu’on attende un peu. On a attendu cinq heures de temps. Après on nous dit que le document est un faux. C’est inacceptable. Compte tenu de la probité du juge, nous pensons que ce n’est pas lui qui a fait ça. C’est la nouvelle piste du juge qui inquiète. On ne veut pas que la vérité apparaisse. Un juge ne peut pas rétracter sa propre décision. C’est impossible. Sa décision peut éventuellement être reformée. Mais sauf que dans ce cas, il n’y a pas d’appel possible en cas de main levée de mandat », fulmine-t-il.
Pour Me Calvin Job, l’avocat des ayant-droits, « il y a des individus qui ont organisé ce qu’on considère comme une tentative d’évasion sur la base de ces documents apocryphes. Ils ont organisé ça dans le dos de la justice, en salissant le nom de cette institution ». D’après des indiscrétions, tout a basculé après une réunion d’urgence au ministère de la Défense où le commissaire du gouvernement a été convoqué dare dare, après la mise en circulation de l’ordonnance de mise en liberté dans les réseaux sociaux. Le sérail a été manifestement pris de court et a rapidement repris la situation en main pour éviter, révèle-t-on, un « trouble à l’ordre public » qu’aurait entraîné la remise en liberté d’Amougou Belinga et Eko Eko, dans une affaire qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Pour d’autres analystes, il s’agit simplement d’un nouvel épisode de la guerre des clans qui fait rage dans l’entourage du président de la République.
MARTINEZ ZOGO
En rappel, le corps sans vie et en état de décomposition de l’animateur radio, Martinez Zogo, a été retrouvé le 17 janvier 2023 à Ebogo, près de par Soa, dans la périphérie de la ville Yaoundé.
Dans ce dossier, Léopold Maxime Eko Eko est soupçonné « d’avoir provoqué de quelque manière que ce soit la torture de Martinez Zogo ou donné des instructions pour la commettre ».
Il est reproché à Amougou Belinga « d’avoir aidé ou facilité la préparation ou la consommation du crime de torture reproché à Justin Danwe […] en mettant des moyens financiers à sa disposition pour ladite opération ».
Au total, 14 personnes, dont Justin Danwe, le patron du « commando de la mort » sont mises en examen dans cette scabreuse affaire.