Le 2 juin, le corps de l’évêque de Bafia, Mgr Jean-Marie Benoît Balla, a été repêché dans les eaux de la Sanaga. Une mort suspecte qui vient s’ajouter à une longue série. En 1997, l’abbé Philippe Ambassa était accueilli dans un hôpital parisien, brûlé au deuxième degré après avoir échappé à une tentative d’assassinat.
Avec ses visiteurs, il évoquait la liste, déjà trop longue, de religieux qui avaient eu moins de chance que lui?: l’abbé Joseph Mbassi, retrouvé mort à Yaoundé en 1988, le père Antony Fontegh, tué à Kumbo (Nord-Ouest) en 1990, Mgr Yves Plumey, assassiné à Ngaoundéré (Nord) en 1991, les sœurs Marie Germaine et Marie Léone, tuées et violées à Djoum en 1991, et le père Engelbert Mveng, tué à Yaoundé en 1995…
Depuis 1982, ils sont douze à avoir perdu la vie dans des circonstances troubles, sans que des responsables aient été désignés. La nouveauté, cette fois, c’est l’attitude de l’Église, qui demande que toute la lumière soit faite, alors que jusqu’ici elle s’était montrée timorée. Tout en exigeant que l’État rende publics les résultats de l’enquête, Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala et président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, a évoqué « un clergé persécuté par des forces obscures et diaboliques » qui cherchent à ternir son image.
Pour le père jésuite Ludovic Lado, « il est vrai que la récente diffusion d’un reportage télévisé de l’émission Cash Investigation, sur France 2, concernant la pédophilie, y compris au Cameroun, a entamé la crédibilité morale d’une Église qui tente de se positionner comme un recours éthique. Un assassinat en plus, en si peu de temps, c’est trop ».
Il y a un énorme problème d’homosexualité au sein de l’Église catholique au Cameroun
Selon Odon Vallet, spécialiste des religions, « il y a un énorme problème d’homosexualité au sein de l’Église catholique du Cameroun, que ni l’État ni l’Église ne reconnaîtront jamais publiquement.De nombreux homosexuels dénoncés sont mis à mort, le pays, ex-colonie allemande influencée par l’article 175 du code pénal prussien, étant l’un des plus répressifs en la matière. Si l’évêque de Bafia a été sexuellement mutilé [comme le laisseraient supposer les résultats de l’autopsie], c’est une claire allusion à son éventuelle homosexualité ».
Enquêtes parfois abandonnées
« Dans nos pays, les enquêtes sont abandonnées dès lors qu’elles impliquent des personnes haut placées, déplore Ludovic Lado. On sait aussi certains hommes d’Église très proches des cercles du pouvoir. » Il doute cependant du fait que tous ces crimes aient des mobiles purement politiques.
« En comparaison de la RD Congo ou même de la Côte d’Ivoire, l’épiscopat camerounais est plutôt réservé sur ces questions. On ne voit donc pas pourquoi le pouvoir les prendrait pour cible. Et Jean-Marie Benoît Balla n’était pas le cardinal Christian Tumi, archevêque émérite de Douala, réputé pour son franc-parler. »
Ludovic Lado rappelle que la seule histoire ouvertement politico-religieuse que le Cameroun ait connue est celle du père Albert Ndongmo, évêque de Nkongsamba, dans les années 1970. Alors qu’il tentait de négocier le ralliement au président Ahmadou Ahidjo de l’indépendantiste Ernest Ouandié, il a été accusé de s’être retourné.
L’Eglise concentre trop de pouvoir entre les mains des évêques
Le prélat sera condamné à mort avant d’être gracié puis exilé, sans la moindre protestation de ses pairs. Plus largement, comme dans d’autres pays d’Afrique, l’Église camerounaise est régulièrement pointée du doigt pour ses pratiques.
Selon le père Ludovic Lado, « l’Église concentre trop de pouvoirs entre les mains des évêques. Il est donc difficile de contrôler leur gestion avant que l’irréparable survienne. Il faut interroger sa structure, ses modes de fonctionnement, de recrutement, de formation et de nomination des évêques. Le pape François essaie d’assainir la situation, mais les habitudes ont la vie dure. »