Cette décision fait suite à la requête de Cyrus Ngo’o, le directeur général du Port autonome de Douala (Pad), qui estime que les juges de Douala subissent des pressions régulières dans le procès qui l’oppose à l’homme d’affaires Nassar Bou Hadir, promoteur de Cana Bois. Tous les regards sont désormais tournés vers la formation des chambres réunies de la Cour suprême, pour un renvoi ou non de l’affaire vers une autre juridiction.
C’est un véritable soufflet que vient d’infliger Daniel Mokobe Sone, le premier président de la Cour suprême, aux magistrats de la cour d’Appel du Littoral. Aux ordres, pour une certaine presse, visiblement déterminés à mettre le Dg du Pad en geôle, ces magistrats ont été instruits par le patron de la haute juridiction, de suspendre, en l’état, l’examen de la procédure opposant Cyrus Ngo’o à la société Cana Bois. C’était à travers l’ordonnance N°479, rendue le 30 août 2022. Si certains bretteurs revanchards voient en cette décision une sorte de suspicion de partialité de la part du premier président, pour des analystes moins distraits, il s’agit tout simplement de l’expression de l’autonomie et surtout de l’intégrité de certains garants de la justice camerounaise, au détriment ces brebis galeuses qui s’attèlent au quotidien à salir l’image de cette administration sous le fallacieux prétexte de la sauvegarde des intérêts égoïstes de certains donneurs d’ordre qui ne rêvent que de s’assoir sur le fauteuil présidentiel à Etoudi. Un vrai distinguo entre le bon grain et l’ivraie. Au finish, pour de nombreux observateurs donc, au-delà de cette vaseuse polémique, c’est le droit qui a été dit. D’ailleurs, l’audience qui était censée se tenir le mardi 6 septembre dernier n’aura finalement plus lieu, surtout que l’ordonnance du premier président de la Cour suprême est estampillée du sceau : « exécutoire sur minute avant enregistrement ».
C’est en effet le 10 août 2022 que le Dg du Pad, par le biais de son conseil, saisit par requête, le premier président de la Cour suprême, à l’effet de solliciter le renvoi d’une juridiction à une autre, surtout que de relents de suspicion légitime de partialité planaient déjà sur les magistrats de la Cour d’appel du Littoral. Cyrus Ngo’o en voulait d’ailleurs pour preuve, les aveux faits parApollinaire Bruno Mfomkpa Abada Nforen, juge d’instruction au Tribunal de première instance (Tpi) de DoualaBonanjo qui admettait avoir subi des « pressions » pour condamner Cyrus Ngo’o, alors qu’il n’était pas en possession d’éléments suffisants pour attester de la culpabilité du Dg du Pad. Apollinaire Bruno Mfomkpa Abada Nforen avait d’ailleurs pris le soin de faire un compte rendu au président de la Cour d’appel auprès de qui l’affaire avait été portée. Evoquant donc certaines dispositions légales lors de l’examen de la requête du Dg du Pad, le premier président de Cour suprême a indiqué que le renvoi d’une affaire d’une juridiction à une autre relevait de la compétence de la formation des chambres réunies de cette haute juridiction.
Daniel Mokobe Sone qui est habilité à saisir cette formation par simple ordonnance a par ailleurs jugé qu’à l’examen des arguments présentés par le requérant, les conditions de saisine de ladite formation se trouvent réunies. C’est donc à cette formation qu’il appartient de donner suite ou non à la requête de Cyrus Ngo’o sur le renvoi d’une juridiction à une autre. Mais pour l’instant, l’examen de la procédure a été suspendu.
Condamnation
Pour comprendre d’ailleurs les tenants et les aboutissants de cette affaire, il faudrait remonter en 2018 lorsque Cyrus Ngo’o, le Dg du Pad décide de demander aux occupants de l’espace portuaire de s’arrimer désormais à la nouvelle tarification en vigueur. Le promoteur de la société Cana Bois, Nassar Bou Hadir, s’y oppose. Des scellés sont apposés au portail de l’espace loué par l’homme d’affaires libanais qui décide d’intenter une action en justice contre Cyrus Ngo’o.
Une citation directe pour « abus de fonction et concussion » est déposée au Tpi de DoualaBonanjo. Le 5 août 2021, cette juridiction rend son verdict. Cyrus Ngo’o écope d’une condamnation de 6 mois de prison avec sursis pendant 5 ans, d’une amende de 1 700 000 Fcfa, et du paiement de 3 200 000 000 Fcfa (deux milliards deux cents millions Fcfa répartis ainsi qu’il suit : 2 700 000 000 Fcfa au titre du préjudice économique et 500 000 000 Fcfa (cinq cent millions Fcfa) de dommages et intérêts.
Les dépens sont de 161 800 000 Fcfa, sans oublier la contrainte par corps qui est fixée à 5 ans pour non-paiement des dépens. Le tout assorti d’un mandat d’arrêt dans le cas où Cyrus Ngo’o ne s’exécute pas dans les délais impartis.
C’est donc dans la foulée que, alors qu’il prend part à un séminaire en Hollande, un mandat d’amener est émis contre le Dg du Pad. Il est question qu’il soit mis aux arrêts le 19 mai 2022, à l’aéroport de Douala, à sa descente d’avion. Carrément. Seulement mis au courant alors qu’il est encore à l’étranger, des dispositions vont être prises par les hautes instances de la Sûreté nationale pour arrêter ce qui ressemble déjà à bien des égards à une conspiration. Après cet échec de l’arrestation de Cyrus Ngo’o, la boîte de pandores va s’ouvrir. Les responsables du Tpi de Douala-Bonanjo semblent avoir pris connaissance que la décision rendue va très vite apparaître comme manquant de base légale. Il est désormais question pour les responsables du Tpi de Douala-Bonanjo de sauver leur honneur dans cette affaire qui commence à étaler au sein de l’opinion publique sa face hideuse et ubuesque. L’agneau du sacrifice est très vite trouvé. Il s’agit du magistrat Appolinaire Bruno Mfomkpa Abada Nforen qui est accusé par la défense du Pad de « harcèlement, de sollicitations et chantage » à l’égard de Cyrus Ngo’o. « Pourquoi le juge Mfomkpa Abada a condamné Cyrus Ngo’o ? », c’est le titre d’un document qui a fait le tour de la toile.
Ledit document à charge contre le magistrat se veut davantage clair : « Cyrus a été puni tout simplement pour avoir refusé de donner l’argent que demandait le juge Mfomkpa Nforen pour achever les travaux de la toiture de sa maison en construction à l’Ouest ». Les échanges téléphoniques constatés par un huissier de justice entre le magistrat et Me Elamè Bonny Privat, l’un des avocats du Pad sont ainsi brandis comme pièce à conviction pour démontrer la légèreté du juge Mfomkpa Abada Nforen. Un juge en réalité persécuté par certaines mains invisibles tapies là où l’on peut aisément deviner. Sans commentaires !
La Nouvelle N°666 du 12-09-2022