Questionné au Tcs, ce 22 juillet, par Me Atangana Ayissi, conseil de l’État, le colonel Ghislain Mboutou Elle semble redouter le volet de la procédure de Paris qu’a pris l’interrogatoire.
Le 22 juillet 2022, l’ex-ministre délégué à la présidence en charge de la Défense, Edgard Alain Mebe Ngo’o, et ses compagnons d’infortune comparaissaient encore devant la collégialité des Juges du Tribunal criminel spécial (Tcs), présidée par de Madame Annie Bahouini, le chef de cette juridiction. Une fois de plus, le lieutenant-colonel Mboutou Elle Ghislain était au box comme témoin de sa propre cause. Déjà depuis 3 audiences, l’ancien chef de secrétariat militaire adjoint du ministère de la Défense du 8 juin 2010 au 17 février 2017 se prête avec sérénité au jeu des questions-réponses de son Conseil. Les derniers moments de cet examination in chief sont consacrés à la production des documents de la défense suivis d’un bref passage du Conseil de l’accusé Menye.
L’ancien chargé spécial du suivi des marchés de la société Magforce va perdre sa sérénité lorsque la parole est donnée aux conseils de l’Etat pour la cross examination de cet accusé.
En effet, reprenant ce dernier sur ses déclarations suivant lesquelles les poursuites auraient été déclenchées sur la base d’une «cabale médiatique» animée par les réseaux sociaux et la presse locale sur fond de règlement de comptes, le Conseil de l’État, Me Atangana Ayissi, va donner à l’accusé, lecture de l’extrait de l’article du « très sérieux journal d’investigation français, Le Point, dans sa parution du 27 juillet 2017 retraçant les circonstances de l’arrestation en France du colonel Mboutou par les éléments de l’Office central de la répression contre la grande criminalité financière planqués depuis quelques temps non loin de l’hôtel La Tremouille » . «Avez-vous lu cet article ?» , questionne l’avocat. En guise de réponse, le colonel se contente de réitérer la cabale médiatique contre lui : «L’histoire de la mallette est fausse » . M. Mboutou ne nie pas l’arrestation évoquée, mais conteste la date. «Je n’ai pas été arrêté en France le 4 octobre 2016, j’ai déjà dit à quelle date j’étais en France» > , rétorque-t-il.
Volet français de l’affaire. «Vous avez déclaré à l’audience du 23 juin 2022 avoir été interpellé par la justice française pour votre rôle dans l’attribution des marchés au ministère camerounais de la Défense. En quoi consistait ce rôle et avec qui vos enquêteurs vous ont-ils associé à ce rôle» , interroge l’avocat. L’officier supérieur a senti le piège, «Je m’en tiens à mes réponses déjà données à la dernière audience » , lâche-t-il. Me Atangana Ayissi revient à la charge sur le volet français de l’affaire que semble redouter l’accusé. «Avez- vous été informé du sens du réquisitoire définitif rendu le 3 juin dernier par le Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris, lequel requiert votre renvoi devant la barre ? » , interroge le Conseil de l’Etat.
«Je suis gêné par ces questions qui me sont posées sur la procédure française. J’ai l’impression d’être à nouveau interrogé par la justice française, je sais que les conseils de l’Etat sont également constitués à Paris, et puis mes Conseils avaient déjà soulevé la litispendance, je demande au Tribunal que les questions ne me soient plus posées sur les points relevant du volet français de cette affaire » , déclare l’Officier supérieur de l'armée de l'air, visiblement agacé. La présidente du Tribunal recadre l’accusé, « Nous sommes à la cross examination, M Mboutou. La loi prévoit qu’à ce stade toutes les questions peuvent être posées à l’accusé » .
Le Conseil ne desserre pas l’étau et revient à la charge sur la procédure en cours en France : «vous venez de produire au dossier du Tribunal une demande d’entraide judiciaire internationale commandée par le juge d’instruction français à l’endroit du juge Betea du Tribunal criminel spécial. Dans la présentation de cette demande sur l’origine de son enquête, le juge français dit avoir été saisi d’une dénonciation faite en France en date du 22 mai 2014. Avez-vous eu au cours de votre audition en France, des éléments d’enquête pouvant établir que cette dénonciation venait du Cameroun ou au contraire, les poursuites à votre endroit et à l’endroit de vos coaccusés étaient le résultat des seuls enquêteurs français soucieux d’investiguer sur les pratiques de corruption mises en place par Robert Franchitti dans l’attribution des marchés d’armement, non seulement au Cameroun, mais aussi dans certains pays de la sous région centrale dont nous ne citerons pas les noms ici ? » .
Blanchiment aggravé des capitaux. Le Conseil de l’Etat qui cherche manifestement à balayer la thèse complotiste du procès jusque-là entretenue par la défense enchaîne : «Au regard des dates respectives de votre arrestation en France et au Cameroun, pouvez-vous dire au Tribunal qui de la France ou du Cameroun a été le premier à déclencher des poursuites contre vous et vos coaccusés ? » . Le colonel Mboutou hésite, mais finit par répondre : « j’ai été interpellé en France le 6 avril 2016. Au Cameroun, la correspondance de l’Anif est datée de 2017, vous pouvez tirer la conclusion » .
L’embarras visible face au volet français de ce procès habitera l’accusé jusqu’à la dernière question de cette audience quand le Conseil de l’État lui demande si, face à la procédure pénale en cours contre lui devant la justice française, l’accusé maintenait toujours «la thèse d’une cabale médiatique ou si, comme l’avait clamé M. Mebe Ngo’o à l’audience du 23 juin 2021, l’Anif a été saisie sur des informations non avérées et le dossier français sur le blanchiment aggravé des capitaux est imaginaire » . Au final, c’est avec l’air soulagé que l’ancien chef de secrétariat militaire adjoint du ministère de la Défense va accueillir la décision du renvoi de l’affaire
au 30 août 2022, prise par madame la présidente de la collégialité, pour «suite de la cross des
conseils de la partie civile et suite de la procédure»