Afrostream, la plateforme de vidéos africaines et africaines-américaines à la demande cofondée en 2015 par Tonjé Bakang, ne répond plus. L’annonce, que ce Français de parents camerounais a fait le 17 septembre – quatre jours après l’arrêt de la commercialisation des abonnements au service – en a surpris plus d’un. Il est vrai que jusque-là, l’histoire de sa start-up avait tout de la success story.
Quelques mois à peine après son lancement, le service, initialement lancé en France, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, était parti à la conquête du marché africain, devenant accessible dans 24 pays du continent. Forte de la participation d’Orange dans son capital, la jeune entreprise, passée par l’incubateur californien Ycombinator, paraissait toujours plus forte. En janvier, Tonjé Bakang avait d’ailleurs annoncé à Jeune Afrique son intention de se lancer dans la coproduction.
Quelques mois plus tard, il a mis la clé sous la porte, faute d’avoir convaincu suffisamment de partenaires lors de sa dernière levée de fonds. « C’est sûr que j’aurais préféré une issue différente, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir perdu. J’ai posé une marche, et je sais que d’autres iront plus haut, plus fort », explique-t-il à Jeune Afrique. Lui-même n’exclut pas de revenir un jour vers cette plateforme qui a enregistré 70 000 abonnés en deux ans d’existence, car « la passion demeure ».
Dans un long post de blog, intitulé Dans les coulisses de l’aventure Afrostream, Tonjé Bakang a tenu à raconter de l’intérieur son parcours d’entrepreneur. Pour s’expliquer auprès des abonnés, mais aussi et surtout pour déclencher des vocations auprès de jeunes porteurs de projets d’Afrique et d’ailleurs : « J’ai tout livré, les partenariats stratégiques que j’ai pu nouer, l’argent que j’ai pu récolter… Cela montre aux jeunes ce qu’un des leurs peut réaliser, sans faire partie d’une famille introduite dans les circuits du pouvoir. »
Morceaux choisis de son récit :
Genèse
« Afrostream est né d’un constat simple, les films et séries africaines, afro-caribéennes et afro-américaines méritent d’avoir une plus large diffusion. Un public en quête de représentation ou de découvertes n’a pas toujours facilement et légalement accès à ces contenus aspirationnels.
Communication
« Malgré mes ressources personnelles limitées, j’investissais massivement sur les réseaux sociaux pour promouvoir le concept auprès de clients potentiels. Cette stratégie a été validée quand l’équipe de TF1 nous a contactés pour créer un partenariat avec leur plateforme de vidéo à la demande.
Levée de fonds
« Malgré des entretiens courtois, aucun de mes interlocuteurs investisseurs ne comprenaient réellement le problème qu’Afrostream tenait à résoudre. À l’époque, ils n’étaient pas non plus convaincus que l’Afrique puisse être un continent d’opportunités pour un media payant. Ce premier road show fut un échec cuisant. Je me suis retrouvé face à un mur qui aurait pu me conduire à jeter l’éponge.
Droits de diffusion
« Pour une offre légale comme la nôtre, nous devions être en mesure de payer entre 1000 € et 15 000 € par épisode pour une série et entre 2000 et 50 000€ pour un film, ceci uniquement pour une année d’exploitation et sur une liste de territoires bien définie. »
David contre Goliath
« Un service comme Netflix a près de 3 000 films et séries mais malgré ce chiffre, de nombreux abonnés trouvent que le choix de contenu est limité. Alors imaginez leur réaction pour un service avec uniquement 30 séries et 100 films… »
Le rêve américain
« En juin 2015, nous avons la chance d’être sélectionnés par le plus prestigieux accélérateur de start-up au monde. Cette sélection nous permet de recevoir un financement de 120 000 $ [107 000 euros] et un accompagnement au développement de notre entreprise pendant quatre mois à San Francisco. Suite à notre présentation face aux investisseurs, j’ai réussi à lever au total environ 4 000 000$ pour développer Afrostream pendant 2 ans. »
Non rentable
« Alors que je pensais que la croissance d’Afrostream serait suffisante pour les investisseurs, la plupart d’entre eux nous reprochaient de n’être pas arrivé à la rentabilité avant de les solliciter pour une nouvelle levée de fonds. Il est vrai qu’il est recommandé aux start-up d’être à l’équilibre ou rentable quand elles entreprennent leur 2e levée de fond. Mais dans l’industrie audiovisuelle, il est tout à fait normal de ne pas être rentable les premières années. »
La gifle
« Le 17 mars 2017, après quelques faux espoirs, la mauvaise nouvelle tombe. Un des investisseurs a changé d’avis à la dernière minute, il se retire. Cet événement a signé la mort clinique d’un projet en croissance, un projet pour lequel l’équipe se battait sans relâche, un projet avec un réel impact social et culturel, un projet auquel j’ai consacré quatre ans de ma vie. »
À la recherche d’un repreneur
« Entre avril et août 2017, j’entame des discussions avec plus de 10 repreneurs potentiels, je me déplace à Los Angeles, Miami et New York pour les convaincre d’avancer rapidement car je sais que notre trésorerie ne nous permettrait pas de passer l’été. Fin août, je n’ai plus les moyens de payer tous les salaires… Il est temps de raccrocher les gants. »
La fermeture du service
« Les discussions avec les repreneurs américains n’ayant pas abouti, j’ai pris la décision de suspendre l’activité de la filiale française, Afrostream Studio France et la commercialisation de l’offre en France, Belgique, Luxembourg, Suisse et dans 24 pays africains. »
Une expérience inestimable
« Ce n’est pas parce que je ne suis pas millionnaire que j’ai perdu… Je suis devenu riche d’une expérience inestimable. Lancer une start-up c’est comme créer un profil Tinder. À première vue c’est attrayant. Quand on y regarde de plus près, ça a l’air compliqué. Au troisième coup d’œil, ça s’annonce insurmontable. Mais comme dans toutes les rencontres amoureuses, lancer une start-up commence par de la passion mais finit quelques fois par un déchirement. Comme dans toute relation, la peur de souffrir à la fin ne doit pas occulter tout le bonheur qui précède. C’est exactement la même chose avec l’entrepreneuriat. Après un échec, il faut recommencer. Si c’était à refaire, je le ferais. »