Alternance au Cameroun : les confidences de l’Ambassadeur de France

"Si la France avait cette idée-là, ce n’est pas moi qu’elle aurait désigné"

Mon, 8 May 2023 Source: Mutations du 08-5-2023

L’ambassadeur français THIERRY MARCHAND a accordé une interview exclusive au journal Mutations. Le général devenu diplomate entend réchauffer les relations entre le Cameroun et son pays. Il s’est également prononcé sur les rumeurs d’une éventuelle transition en préparation à Etoudi

Dans le même temps, des voix se sont faites entendre pour dire qu’à travers votre nomination, la France entend peser, contrôler voire imposer son choix pour la transition au sommet de l’État au Cameroun. Est-ce ce dossier pour le moins sensible fait partie de votre feuille de mission ?

Si la France avait cette idée-là, ce n’est pas moi qu’elle aurait désigné. On ne met pas un ancien militaire dans cette partition- là ! De plus, le président Macron a très souvent répété que le premier principe d’une relation politique, c’est celui de la non-ingérence. Le principe de non-ingérence est absolument fondamental. Il est de mon devoir de le réaffirmer au Cameroun et comme d’ailleurs dans les autres pays. Lorsqu’on dit que nous allons rebâtir fondamentalement un nouveau relationnel entre l’Europe et l’Afrique, entre la France et le Cameroun, cette question-là est déjà traitée : chaque pays devra être capable de définir son destin.

Vous avez déjà eu au moins une audience avec le président Biya. Qu’est-ce que vous vous êtes dit globalement et comment l’avez-vous trouvé ?

Pour l’instant, j’ai simplement eu un rendez-vous très bref avec le président à l’occasion de la cérémonie des voeux qui s’est déroulée le 6 janvier 2023, au cours duquel j’ai eu le privilège de pouvoir échanger quelques mots en quelques minutes avec lui. J’espère que dans les prochaines semaines, et c’est ce qu’il m’a d’ailleurs dit à cette occasion, nous pourrons enchaîner sur des réunions plus substantielles. Le président Biya et moi avons convenu que nous devons passer à une capacité de discussion et de dialogue régulière.

Vous avez déjà effectué une série de déplacements à l’intérieur du Cameroun depuis votre arrivée. Quel est votre sentiment général sur le pays au bout de cette randonnée ?

J’avais indiqué en arrivant que je souhaitais, le plus tôt possible dans la première année de mon mandat, aller au contact des populations camerounaises dans les 10 régions que compte le pays. En six mois, j’ai déjà visité sept régions, et nous partons dans quelques jours dans l’Adamaoua. Des déplacements dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont également prévus. Je reste convaincu que cet objectif d’aller au contact des Camerounais dans les 10 régions est important. Important pour moi, d’abord, pour entrer en quelque sorte dans une compréhension fine de la diversité culturelle et politique du pays. J’y retrouve d’ailleurs des ferments qui me rappellent la France. Peu de pays en Afrique ont une telle diversité. Cette diversité, vous la retrouvez en France, qui est un pays qui a construit son unité sur une forte diversité culturelle entre les populations aux racines et aux traditions très diverses.

C’est peut-être en cela que nous nous retrouvons sur beaucoup de sujets. J’ai aussi trouvé dans ces régions tous ces ferments qui me semblent être la richesse du Cameroun. On parle d’Afrique en miniature : cette capacité à pouvoir être en interface entre les mondes sahéliens, la forêt équatoriale, être en interface entre le domaine maritime et le domaine terrestre, etc., est un atout extrêmement important dans ce monde qui est en train d’émerger. Cette spécificité camerounaise sera sûrement une des cartes maîtresse du jeu du Cameroun dans son environnement régional et dans le concert des nations demain.

Vous avez évoqué en passant les régions du Nord-Ouest et du Sud, est-ce que votre avis sur la crise anglophone a varié entre temps et quelle est, selon vous, la clé pour en sortir ?

Sur ce sujet, la France a toujours été très claire à l’idée que la crise ne sera résolue que par les Camerounais eux-mêmes. La clé de résolution existe déjà au sein même du Cameroun. La France a toujours été en appui d’un processus politique de résolution de la crise, qui passera par le dialogue et la conciliation, et par des réformes, au premier rang desquelles la décentralisation. Nous avons rappelé de manière constante notre disposition à soutenir ce processus, et notre soutien est en fait déjà tangible et concret : nous soutenons le renforcement des capacités de la fonction publique locale par des programmes comme celui conduit par l’ENA/Institut national du service public.

On a également déjà fait beaucoup, même si on n’en parle pas suffisamment selon moi, pour le développement local dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, notamment le développement urbain de Bamenda à travers le programme « capitale régionale ». L’AFD a engagé 29 milliards FCFA dans le cadre de ce programme. Bien évidemment, il y a encore beaucoup de choses à faire. Mais, toute une série d’actions concrètes pour la vie des citoyens de ces villes a déjà été lancé depuis quelques années.

Bientôt, vous le verrez, on va essayer d’accélérer encore notre engagement dans ces régions Tout ceci c’est bien la preuve que la France, à travers le C2D, à travers l’AFD, veut appuyer cette démarche de réconciliation en démontrant que ces régions ne sont pas oubliées et qu’elles bénéficient comme les autres des appuis de mon pays pour l’amélioration des conditions de vie. Ceci permet d’envisager demain une forme de dialogue national plus serein et qui doit permettre progressivement de ramener ces régions dans le dialogue à l’intérieur du cadre politique que le président Biya a lui-même fixé.

Doit-on entendre par là que le grand dialogue national de 2019 n’était pas assez serein ?

Je pense plutôt que le grand dialogue national qui a eu lieu posait des fondations d’un édifice. Maintenant il faut monter les murs, il faut monter le toit et tout ce qui doit sortir de ce cadre fondateur, en comprenant bien que les choses se font progressivement. Et l’action française vise justement à appuyer ces différentes démarches.

Source: Mutations du 08-5-2023