Dans le sud-est du Nigeria, l’Etat de Cross River est débordé par l’afflux continu de réfugiés camerounais qui fuient l’insécurité qui secoue les régions anglophones du pays. Selon les humanitaires nigérians, il y aurait près de 10 000 mineurs, éloignés de leurs proches, hébergés par des familles d’accueil, dans l’Etat de Cross River. De nombreux jeunes sont déscolarisés depuis octobre. Certains se présentent comme des victimes. Reportage.
C’était une journée comme les autres. Lorsque tout à coup, Judith* entend des coups de feu. Très vite, la panique s’installe. Les gens courent dans tous les sens. « Les gendarmes et les militaires sont entrés dans notre village. Ils ont brûlé nos maisons. Ils ont tiré sur les habitants. On a donc fui au Nigeria », raconte cette vieille dame.
Apeurés, de nombreux villageois ont le même réflexe : courir, courir, courir pendant plusieurs jours, sans boussole, sans eau, sans nourriture, dans la forêt. « Il n’y avait pas de route, explique Véronica*, la vingtaine. De nombreuses femmes enceintes sont mortes en chemin parce qu’elles n’ont pas reçu les soins nécessaires d’une sage-femme. Certaines mères de famille ont perdu leurs enfants, souvent, elles ont au moins cinq enfants. C’est difficile de tous les porter en même temps dans la forêt, poursuit cette jeune, la voix tremblante d’émotion. On est resté deux à trois semaines dans la forêt. J’ai vu beaucoup de gens mourir de faim ».
De nombreux jeunes comptent parmi les réfugiés qui sont parvenus à trouver refuge au Nigeria. Il y en aurait au moins 10 000 dans l’Etat de Cross River, selon des estimations de l’ONG nigériane Rhema Care.
«Nous avons été négligés pendant 30 ans»
Parmi ces jeunes, James*, la vingtaine. Ce jeune originaire d’Akawaya dans le département de Manyu, région du sud-ouest du Cameroun, s’est laissé porter par le mouvement ambiant de revendication séparatiste de sa région. Pendant plusieurs mois, ses professeurs sont en grève. Et comme tant d’autres, cet étudiant en sciences les soutient, car il a le sentiment que sa région a été marginalisée.
« Nous avons été négligés pendant 30 ans, affirme-t-il. Nous n’avons pas de routes. Dans mon école, il n’y a même pas de laboratoire. Il n’y a pas assez d’enseignants et peu de matériel. Nos profs pensaient que la meilleure manière de se faire entendre était de se mettre en grève. Mais nous n’aurions jamais pensé que tout cela irait aussi loin », ajoute-t-il, le regard vide.
Puis le 1er octobre 2017, plusieurs leaders de différents mouvements proclament de manière unilatérale l’indépendance de l’Ambazonie. James décide de soutenir ses amis à travers une marche. La manifestation est « durement réprimée » par les forces de sécurité, explique-t-il. James devient une cible. « Je suis une victime », estime James.
« Les autorités ont dressé une liste de jeunes forts et qu’elles considèrent comme des meneurs de cette marche. Le but était de nous maltraiter », affirme le jeune. « Les militaires, raconte-t-il, nous ont poursuivis. Ils m’ont tiré dessus, mais par chance, ils ne m’ont pas touché. Plusieurs amis ont été tués. Les autres ont fui ».
«J’ai peur»
Après trois jours de marche dans la forêt, James rejoint un village nigérian. Le jeune est accueilli par une famille éloignée, qui appartient à la même ethnie. Mais James est loin de ses proches. Et une inquiétude le ronge désormais : ses études. « Je n’ai pas pu poursuivre mes études, regrette-t-il. Je n’ai pas pu passer mes examens. Je ne fais plus rien, je suis réfugié ». James a bien dû mal à se projeter. Ce jeune n’ose plus retourner dans son village, de peur pour sa sécurité.
Passé la frontière nigériane, la peur se lit toujours sur les visages des réfugiés. A l’image d’Ayuk Ogi*, la trentaine, qui garde à l’esprit l’arrestation par les autorités nigérianes de plusieurs leaders de l’Ambazonie, mais aussi de dizaines de réfugiés. « En tant que réfugié, dit-il, je suis censé être protégé par les lois internationales. J’ignore pourquoi les autorités nigérianes ont arrêté nos leaders. J’ai peur. Si des leaders peuvent être arrêtés, alors que peut-il m’arriver à moi, simple réfugié ? », s’interroge-t-il.
Suite à l’extradition fin janvier de 47 membres de l’Ambazonie, le HCR a écrit une lettre de protestation aux autorités nigérianes, afin qu’Abuja respecte ses engagements internationaux pour protéger les demandeurs d’asile et les réfugiés.