Ambazonie, présidentielle 2018, le grand déballage de Mediapart sur Biya

Biya Mission Secrète Opposants Ok Les sécessionnistes cherchent à affaiblir le pouvoir de Paul Biya

Fri, 3 Aug 2018 Source: médiapart.fr

Le président du Cameroun Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, a annoncé qu’il était candidat à l’élection présidentielle prévue le 7 octobre. Cette dernière se prépare alors que l’armée est en guerre contre des groupes armés dans les deux régions anglophones du pays. Pour les sécessionnistes, empêcher l’organisation de l’élection dans des régions de l’ouest du pays affaiblirait la probable réélection de Biya. Personne au Cameroun n’a été étonné lorsque le président Paul Biya, 85 ans, a annoncé mi-juillet sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 7 octobre.

Au pouvoir depuis 1982, le chef de l’État n’a jamais donné l’impression qu’il songeait à quitter le palais présidentiel d’Étoudi, à Yaoundé. Il a passé la majeure partie de sa vie au cœur de l’appareil d’État : parrainé par l'homme politique français Louis-Paul Aujoulat, il a intégré la présidence comme chargé de mission dès l’âge de 29 ans, en 1962. Par la suite, il a été ministre et premier ministre.

Trente-six ans après ses débuts comme président, Paul Biya se représente donc pour un septième mandat. Mais dans un contexte très différent de celui qui prévalait lors des précédents scrutins auxquels il a participé en 1984, 1988, 1992, 1997, 2004 et 2011. Cette fois, le pays, locomotive économique de l’Afrique centrale, est en guerre sur son propre territoire, contre une partie de sa population. Et cela n’est pas un hasard : cette présidentielle et cette guerre sont étroitement liées.

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L’armée combat aujourd’hui dans trois zones : dans le nord contre Boko Haram, dans l’est contre des groupes armés venus de la République centrafricaine, et dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest contre des séparatistes. C’est sur ce troisième front, ouvert fin 2017, que la situation s’est considérablement détériorée ces derniers mois et mobilise l’attention des autorités.

Ce conflit est la suite de manifestations lancées par des avocats et enseignants, en octobre 2016, pour exiger une meilleure reconnaissance des spécificités du Sud-Ouest et du Nord-Ouest : ces deux entités administratives sont anglophones tandis que les huit autres régions du pays sont francophones, résultat de leur histoire coloniale. Elles ont formé, entre 1961 et 1972, un État au sein de la République fédérale du Cameroun avant que le pays ne change de système institutionnel.

Au fil des mois, les revendications de cette « crise anglophone » sont devenues de plus en plus politiques, jusqu’à ce que des activistes prônant la sécession et le retour à un État anglophone prennent les armes. Ces derniers ont commencé la guerre en attaquant des gendarmeries, des postes de police et des bâtiments symboles de l’État. Le gouvernement a eu beau arrêter une partie des leaders de la contestation, et renforcer les effectifs policiers et militaires dans les deux régions, le nombre des combattants séparatistes n’a cessé de croître : on compte aujourd’hui une douzaine de groupes armés, contre trois il y a quelques mois, selon un cadre des forces de sécurité.

Les « Amba boys », appelés ainsi en référence à l’État d’Ambazonie qu’ils veulent créer, sont essentiellement des jeunes gens, équipés de fusils de chasse de fabrication artisanale ou d’armes de guerre. Des mercenaires venus du Nigeria voisin sont aussi engagés, ainsi que des déserteurs de l’armée régulière, d’après plusieurs sources. Ils agissent essentiellement dans le Sud-Ouest, n’ont pas de chef unique déclaré et ne sont pas coordonnés entre eux.

Ils sont en général liés à des ressortissants camerounais installés à l’étranger, dont certains sont très actifs sur les réseaux sociaux et sont soupçonnés par les autorités de financer l’achat des armes. Les uns et les autres ont l’avantage de bien connaître le terrain très boisé et parfois montagneux sur lequel ils opèrent. En six mois, ils ont mené de nombreuses embuscades, tuant plus d’une centaine de membres des forces de sécurité et en blessant 200 autres, d’après un bilan des autorités.

Mais les sécessionnistes ne visent pas que l’armée et la police. Dans un rapport publié en juillet, l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) montre qu’ils kidnappent des civils, dont des chefs traditionnels et des fonctionnaires. Le gouvernement a estimé en juillet qu’au moins 82 civils avaient été enlevés jusque-là. Dans certains cas, les ravisseurs exigent des rançons, et dans d’autres cas assassinent leurs victimes, ce qui tend à montrer qu’ils n’ont pas tous les mêmes logiques et intérêts.

Les groupes armés ont aussi incendié des établissements scolaires, menacé enseignants et parents afin d’empêcher les enfants d’aller à l’école.

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Les « Amba boys » commettent également des actes de barbarie : ils ont, par exemple, mutilé des dépouilles de policiers ou de militaires qu’ils avaient abattus ou égorgés. Le 12 juillet, ils ont attaqué le convoi du ministre de la défense, Joseph Beti Assomo, qui se rendait dans la ville de Kumba. Fin juillet, ils ont pris d’assaut une prison dans la commune de Ndop, dans le Nord-Ouest. Plus de 160 prisonniers en ont profité pour s’évader. En retour, les forces gouvernementales ont arrêté des centaines de personnes et tué un nombre indéterminé de combattants « ambazoniens », mais aussi des civils non belligérants. Elles ont brûlé des habitations dans plus de 130 villages, selon HRW.

En mai, le commandant militaire de la zone du Sud-Ouest, le général Donatien Melingui Nouma, a plus ou moins admis les faits, en déclarant : « Nous ne brûlons que les maisons où on découvre des armes. » Il a été relevé peu après de ses fonctions. L’armée a également torturé et tué des présumés combattants séparatistes après les avoir faits prisonniers.

Le gouvernement a reconnu plusieurs cas de violations des droits de l’homme, expliquant qu’ils avaient donné lieu à des procès. Trois gendarmes ont été traduits devant un tribunal militaire « pour avoir exercé des sévices corporels sur un homme, suspecté d’avoir enlevé des civils et assassiné des éléments des forces de sécurité », a-t-il écrit à HRW. Ce n’est pas la première fois que l’armée est accusée d’utiliser la torture et de procéder à des exécutions extrajudiciaires : dans sa guerre contre Boko Haram, elle a appliqué les mêmes méthodes, selon plusieurs rapports d’Amnesty International.

Mi-juillet, les réseaux sociaux ont diffusé une vidéo au contenu atroce : non datée, tournée apparemment dans l’Extrême-Nord du pays, elle montre des individus qui sont, selon toute vraisemblance, des militaires camerounais, et qui tuent à bout portant deux femmes et deux enfants, dont un bébé. Dans les régions anglophones, les populations se retrouvent piégées, prises entre les activistes armés d’un côté et les forces gouvernementales de l’autre. Selon l’ONU, les violences ont poussé plus de 21 000 personnes à fuir vers les pays voisins, tandis que 160 000 ont dû se déplacer dans le pays.

Beaucoup vivraient cachées dans les forêts du Sud-Ouest. « Chaque famille est concernée : nous avons tous des membres de nos familles qui ont dû quitter leur domicile pour aller vivre ailleurs », témoigne un travailleur humanitaire originaire du Sud-Ouest et habitant à Yaoundé, la capitale politique.

Le niveau des tensions et de la brutalité ne baissera vraisemblablement pas au cours des semaines à venir. Ce n’est plus la question d’une éventuelle sécession qui est au cœur du conflit, mais la présidentielle du 7 octobre.

« Les séparatistes veulent installer la terreur, pousser les gens à fuir, à quitter la zone. Afin que personne ne soit là pour voter et qu’il n’y ait pas d’élection dans la région », affirme-ton du côté des forces de sécurité. On le devine : c’est le pouvoir de Paul Biya qui est en réalité visé. « Paul Biya must step down, Paul Biya must go » (Biya doit démissionner), disent des activistes anglophones depuis plusieurs mois, tout en cherchant à faire intervenir la « communauté internationale », ce que Yaoundé refuse catégoriquement – le bureau des Nations unies pour les droits de l’homme n’a par exemple pas pu accéder aux régions anglophones, faute d’autorisation.

Les sécessionnistes savent que si l’élection a lieu comme prévu, l’actuel chef de l’État en sortira gagnant. D’abord, parce que le système est verrouillé sur le plan technique : le parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), contrôle le processus électoral et les finances publiques. Ensuite, parce que les autres candidats n’ont pas le poids ou la popularité nécessaires pour pouvoir renverser le rapport de force. Ils n’ont d’ailleurs pas essayé. Les principaux, c’est-à-dire Maurice Kamto – ex èministre délégué à la justice – ainsi que deux anglophones, Akere Muna, ancien bâtonnier du Cameroun, et Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF), ne se sont pas entendus pour présenter une candidature unique à ce scrutin qui se joue à un seul tour.

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« L’opposition n’a même pas exigé le minimum de conditions pour une élection crédible et transparente. Elle y va en sachant qu’elle va perdre. L’enjeu du scrutin, c’est de savoir qui sera deuxième et, de fait, leader de l’opposition », décrypte un analyste qui a demandé à garder l’anonymat. Empêcher l’organisation de l’élection reviendrait donc à empêcher l'énième réélection de Paul Biya. Et si le vote ne se tenait que dans une partie du pays, cela l’affaiblirait. La guerre, qui est aussi un gouffre financier pour l’État, est devenue un moyen pour déstabiliser le président et tenter de le pousser vers la sortie, tout en étant la conséquence de sa politique et de sa manière, très particulière, de faire fonctionner le pays.

Redoutable stratège politique, Paul Biya a en effet instauré une gestion distanciée du pouvoir que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Il ne s’adresse à ses concitoyens que deux fois par an et ne se déplace jamais à l’intérieur du Cameroun, sauf pour aller dans son village de Mvomeka’a, dans le Sud. Il a aussi pris l’habitude de passer plusieurs mois par an en Suisse.

Pendant ce temps, les gouvernements successifs ont surtout cherché à s’enrichir en détournant les fonds publics, au lieu de travailler au développement du pays. Résultat, malgré un potentiel économique et humain exceptionnel, le Cameroun a un taux de pauvreté élevé : près de 40 % de ses 23 millions d’habitants sont concernés.

Cela veut dire qu’il y a de nombreux sans-emploi facilement mobilisables pour de potentiels conflits armés. Ils le sont d’autant plus qu’ils voient une petite élite profiter des richesses nationales. Les séparatistes ne sont vraisemblablement pas les seuls à vouloir empêcher une réélection de Paul Biya. Dans l’entourage du chef de l’État, un certain nombre d’ambitieux se voient depuis longtemps un destin présidentiel et sont prêts à tout pour que leur projet se réalise enfin. Dans les cercles du pouvoir, on cite le nom d’au moins un ancien ministre comme possible financier des groupes armés du Sud-Ouest.

Derrière la guerre se cacherait ainsi une alliance d’intérêts : les uns ont l’argent, volé dans les caisses de l’État quand ils étaient aux affaires, les autres ont les troupes. Néanmoins, ces alliés de circonstance atteindront difficilement leur objectif : les autorités semblent bien décidées à utiliser tous les moyens nécessaires pour faire en sorte que la présidentielle se tienne dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest. Elles achèteront ceux qui peuvent l’être et élimineront ceux qui persisteront à garder leurs armes.

Source: médiapart.fr