La vidéo passe en boucle depuis quelques minutes sur l’écran de son smartphone, on y voit un prédicateur, micro à la main, prodiguer un enseignement sur le management d’une communauté religieuse.
Le révérend Ezéchiel, qui tout absorbé par cette vidéo, ne peut pas s’empêcher de penser qu’il aurait dû assister à cette convention pastorale, qui se tenait à Kumba, dans la région du Sud-Ouest. « La convention se tenait le mois dernier, mais je n’ai pas pu faire le voyage de Kumba parce que la route était bloquée », explique le jeune pasteur sans cacher sa déception
À la mi-juin, des groupes de séparatistes anglophones armés ont érigé des barricades à plusieurs endroits le long de la route Buea-Muyuka-Kumba, dans la région du Sud-Ouest. Des check-points qui ont duré pendant plusieurs jours. Une situation qui a obligé les transporteurs terrestres à annuler les voyages vers Muyuka et Kumba, deux bastions de l’irrédentisme anglophone.
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Ce qui a renforcé l’ambiance anxiogène qui prévaut depuis plusieurs mois dans les deux régions anglophones. Et c’est bien pour reprendre la main que l’armée camerounaise s’est vue obligée d’agir en employant la méthode forte. Un rapport relayé par la diplomatie britannique laisse penser que cette intervention militaire a causé la mort de quelques personnes...
Isoler Kumba
Cette intervention n’a malheureusement pas calmé l’enthousiasme des séparatistes. Ils ont recommencé à ériger des barricades sporadiques sur cette route. Des informations obtenues à bonne source renseignent que des groupes armés opèrent en grand nombre dans la zone de Kumba.
Ils prennent un malin plaisir à défier l’ordre public établi par le pouvoir de Yaoundé. Mais ces groupes tiennent surtout à isoler Kumba de l’hinterland. Car cette ville de plus d’un demi-million d’habitants, à la porte du Nigeria voisin, est un grand centre d’affaires qui attire les commerçants de toutes sortes.
École de police
En plus de la bataille pour le contrôle de l’accès à Kumba, les groupes armés tiennent aussi à faire la démonstration de leur capacité de nuisance en multipliant des attaques éclairs. Ils ont récemment attaqué un point de contrôle de sécurité dans la ville de Mutengene, dans la région du Sud-Ouest.
Une attaque qui en dit long sur la détermination des séparatistes, car Mutengene abrite les locaux de l’Ecole de police. Quelques jours après cette attaque, des sources sécuritaires ont révélé que des affrontements avaient eu lieu à Bolifamba et à Muea, dans le département du Fako, deux autres localités du Sud-Ouest.
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Si les combats avec les forces de sécurité font rage dans la région du Sud-Ouest, les séparatistes sont aussi à l’origine de plusieurs exactions dans l’autre région anglophone du pays. Des enlèvements ont donc été signalés dans les régions du Nord-Ouest. Les diplomates occidentaux ne cachent plus leur préoccupation devant la multiplication des foyers de tension.
« Il y a eu de nombreux échanges de tirs entre les forces de sécurité camerounaises et les groupes armés au cours des derniers mois dans de nombreux endroits dans les deux régions anglophones », commente un diplomate occidental. Les chancelleries occidentales recommandent d’ores et déjà à leurs ressortissants d’éviter de se rendre dans les régions anglophones.
La mort d’un ressortissant tunisien en mars dernier leur a donné raison. La presse nigériane fait savoir depuis la semaine dernière qu’un flux important de ressortissants nigérians a commencé à quitter les régions anglophones. Un éditorialiste de la presse de Lagos continu en disant qu’il faut prendre cette crise sociopolitique et maintenant économique, qui secoue le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, avec beaucoup de sérieux. Il la compare même à « une plaie béante dans la sous-région ».
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Crise humanitaire
Le révérend Ezéchiel, qui connait bien Kumba, ne doute pas un seul instant que cette crise est une « plaie béante». « De nombreux pasteurs dans les campagnes ont été contraints de fermer leurs églises dont certaines ont même été incendiées. C’est compliqué et préoccupant à la fois », raconte le pasteur.
Il se plaint aussi de ce que les combats aient déjà entrainé une grande crise humanitaire. « Des personnes ont tout perdu. Leurs villages ont été incendiés par les séparatistes qui les obligent souvent à rejoindre leurs rangs », explique le pasteur.
Comme lui, les principales capitales européennes, les Etats-Unis et maintenant l’Onu craignent aussi que cette guerre débouche sur l’une des plus grandes crises humanitaires qui soit. Le Haut-commissariat des réfugiés estime que 160 000 personnes se sont déjà déplacées pour fuir les exactions et plus de 30 000 ont trouvées refuges au Nigeria voisin.