Bien que pas annoncé sur le rôle (répertoire des affaires) de l’audience correctionnelle du Tribunal de première instance de Yaoundé – centre administratif, l’affaire a finalement été appelée dans une audience spéciale. Mais l’ouverture des débats est renvoyée au 30 septembre 2022, le temps pour les avocats des mis en cause de prendre enfin copie des pièces du dossier.
Il paraît désormais lointain le temps où les journalistes du Groupe l’Anecdote traquaient les inspecteurs des impôts le jour de leur rendez-vous avec le juge d’instruction. Vendredi dernier, 16 septembre 2022, il n’y avait trace d’aucune caméra dans le voisinage du palais de justice du centre-ville de Yaoundé. Et pourtant, M. Amougou Belinga avait rendez-vous avec six des huit responsables de l’administration fiscale qu’il poursuit devant le Tribunal de première instance (TPI) pour «corruption active» notamment. L’homme d’affaires, tout comme ses adversaires, n’ont pas pu honorer la rencontre. De ce fait, ce premier face à face public attendu entre les parties s’est limité à de petites formalités administratives, notamment la transmission au tribunal des lettres de constitution des avocats mobilisés de part et d’autre. Les choses sérieuses pourront peut-être démarrées dans deux semaines, le 30 septembre, date de la prochaine audience, si les parties sont présentes, particulièrement les mis en cause.
Dans une atmosphère un peu tendue au début de ce procès au caractère spécial, Me Alexandre Mandeng, l’un des avocats des inspecteurs des impôts, a expliqué au juge les raisons de l’absence de ses clients à l’audience. L’avocat dit avoir, en vain, introduit plusieurs demandes en vue d’obtenir la copie de l’ensemble du dossier de procédure, la première depuis même que l’affaire était encore en examen par le juge d’instruction. Or, l’obtention des pièces du dossier est nécessaire à la défense de ses clients. C’est quasiment la veille du procès, c’est-à-dire le 14 septembre 2022, qu’il dit avoir reçu notification de l’accord du président de la juridiction par rapport à la consultation du dossier de l’affaire suite à la saisine une semaine plus tôt de la présidente de la Cour d’appel du Centre. Sauf que ce délai s’est avéré assez court, a dit l’avocat, pour que la défense soit prête pour le procès.
Pas la guerre…
Le magistrat Onambele, juge désigné pour connaître de ce dossier dans le cadre d’une audience spéciale, et les avocats de M. Amougou Bélinga, au rang desquels l’ancien bâtonnier Charles Tchoungang, n’ont pas hésité à accepter les explications de Maître Mandeng, très nerveux pour la circonstance. Le retour des citations à comparaître des mis en cause faisant défaut dans le dossier de procédure, l’ancien bâtonnier a expliqué que la partie civile qu’il défend n’avait aucune raison pour s’opposer à la demande de renvoi formulée par les avocats des six inspecteurs des impôts. En tant que doyen de tous les avocats impliqués dans la procédure, il a souhaité que la sérénité soit de mise tout au long du procès. «On n’est pas en guerre», a-t-il dit. Ce qui a suscité des sourires approbateurs dans les rangs des plaideurs qui ont pu échanger dans une bonne ambiance après la fin de l’audience.
M. Amougou Bélinga avait déposé une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de huit inspecteurs des impôts en avril 2022. Il accusait ces derniers de lui avoir exigé le paiement d’une somme de 500 millions de francs, à la demande de M. Mopa Fatouing, le directeur général des impôts. La prétendue demande en question était assortie de la promesse d’accorder un traitement de faveur à Vision 4 Télévision SA alors en proie à un contrôle fiscal. Le patron de Vision 4 déclare dans sa plainte qu’il avait mordu à l’appât, en tant que homme d’affaires, en remettant à ses interlocuteurs des sommes d’argent d’une valeur globale de 65 millions de francs, sous l’œil des caméras de surveillance et avec décharge, disaient ses journalistes. C’est à la suite de la réception d’un Avis de mise en recouvrement de 11 milliards de francs sanctionnant le contrôle fiscal que M. Amougou Bélinga avait porté plainte. Les médias de son groupe engageaient aussitôt une virulente campagne de dénigrement des responsables du fisc aux allures de chantage.
Profitant d’une justice quasiment à ses ordres, l’homme d’affaires avait obtenu l’interpellation puis la mise en détention de Mme Mvogo Eméline, le chef du Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1), chef de file des inspecteurs des impôts intervenus dans le redressement fiscal de Vision 4. D’autres interpellations des mis en cause étaient annoncées quand intervint la présidence de la République. A travers des instructions de la présidence de la République, Mme Mvogo Emeline était remise en liberté pendant que l’information judiciaire se poursuivait. Le juge d’instruction a finalement bouclé son enquête le 8 août 2022, envoyant en jugement 6 des 8 inspecteurs des impôts ciblés dans la plainte du patron de Vision 4. L’ordonnance du juge d’instruction en question s’est en bonne partie inspirée de la décision du ministre des Finances accordant un dégrèvement fiscal de 82% sur les 10,88 milliards de francs de dette fiscale finalement notifiée à Vision 4.
Le procès public qui a démarré en fin de semaine dernière, en l’absence des protagonistes du dossier, se fait finalement autour de trois infractions : concussion, corruption active et trafic d’influence. Comme précisé dans l’édition N°440 de Kalara, dans le détail, Mme Mvogo Emeline, répond de toutes ces trois infractions. C’est la prévenue principale de l’affaire, selon les conclusions de l’enquête judiciaire, qui est toute seule concernée par la dernière infraction citée. Trois des mis en cause sont renvoyés en jugement pour corruption active et concussion. M. Amia Mounamba, chef de la cellule du contentieux du Cric 1, M. Mohamadou Tidjiani et Mme Daï Awe Pauline, tous les deux inspecteurs vérificateurs, font partie de ce contingent. M. Languel Ildevert, inspecteur vérificateur, et Mme Ngono Marguerité Edwige, chef de la brigade contrôle, s’expliqueront pour leur part uniquement sur les faits supposés de concussion.
Instructions présidentielles
Rappelons qu’au moment de la conclusion de l’information judiciaire, la situation semblait favorable à M. Amougou Bélinga dans le conflit qui l’oppose à la Direction générale des impôts. L’homme d’affaires menaçait même d’engager des poursuites judiciaires contre l’administration fiscale en vue de la réparation du préjudice sur son image qu’il prétendait avoir subi. Une démarche dans ce sens avait déjà été du reste engagée, selon les sources de Kalara, par laquelle le PDG de Vision 4 sollicite, via le ministre des Finances, une réparation de l’ordre de 14 milliards de francs. Et le socle de toutes ces prétentions n’est rien d’autre que la décision du Minfi ramenant à 1,99 milliard de francs le redressement fiscal initial de 10,88 milliards de francs. Sauf qu’au moment où le procès s’ouvre, la donne a changé.
En effet, non seulement les 6 inspecteurs des impôts poursuivis contestent la décision de dégrèvement du Minfi et menacent de l’attaquée auprès du tribunal administratif si elle n’est pas revue par son signataire, mais des instructions de la présidence de la République ordonne au ministre des Finances, mais aussi au ministre de la Justice, de veiller au respect de la loi, dans le cadre du traitement des dossiers de redressements fiscaux des entreprises de M. Amougou Bélinga et de leurs suites judiciaires. Même si on ignore le sort réservé à ces instructions transmises par le secrétaire général de la présidence de la République, il n’y a plus aucun doute que les vents ne sont pas nécessairement favorables à l’homme d’affaires. Le 30 septembre, lors de la prochaine audience, probablement que les choses seront un peu plus clair.