La conséquence de ces premières présidentielles démocratiques du Cameroun aura donc été, ô paradoxe, de mettre la démocratie entre parenthèses. Comment interpréter autrement le calvaire que vit le principal challenger du "vainqueur" depuis l'aube du 25 octobre 1992 ? Deux jours à peine après la proclamation, par la Cour suprême, des résultats du scrutin du 11 octobre, John Fru Ndi était, de fait, assigné à résidence. Pas moins de deux cents gendarmes armés jusqu'aux dents encerclent sa demeure, refusant aux 146 visiteurs du Chairman qui se trouve t sur les lieux le droit de regagner leurs domiciles. Pas de vivres, pas de soins médicaux, bien qu'il y ait des malades parmi ces personnes. Dans les chancelleries occidentales a Yaoundé, on n'hésite pas à parler de prises d'otages. (...)
Face au grand élan populaire qui saluait partout les apparitions du Chairman durant la campagne électorale, on aurait pu s'attendre à un vaste soulèvement de la population à la suite de sa mise en résidence surveillée. Or, rien. A peine quelques timides protestations. La plupart des leaders politiques sont introuvables, contraints à la clandestinité ou en train de négocier leur entrée dans le prochain gouvernement. Pire, à quelques exceptions près, ceux qui comptent n'ont pas levé le petit doigt pour appeler à la suspension immédiate de ces mesures pour le moins antidémocratiques.
Arrivé en troisième position dans les résultats, Maigari Bellon Bouba s'est juste contenté, dans une déclaration, de reconnaître la victoire du président Paul Biya, distillant au passage quelques phrases assassinés à l'adresse de John Fru Ndi, qui ne serait pas légaliste pour avoir contesté ainsi le verdict de la plus haute juridiction de la République (...) Et l'attitude du leader de l'UNDP trahit de plus en plus les soupçons que véhicule la rumeur publique à son sujet quant à ses rapports avec le pouvoir. Son seul et unique problème serait d'accéder enfin à la "mangeoire", pour capitaliser les concessions faites à un pouvoir en perte de vitesse. (...)
La vérité est qu'il y a beaucoup d'autres prétendants sur la ligne de départ, et eux aussi sont prêts à tout. Ainsi de Frédérick Augustin Kodock, personnage tristement célèbre, qui a, durant cette campagne présidentielle, donne le coup de grâce au plus vieux parti de l'opposition du Cameroun, l'UPC. Il a fait mieux que Bello Bouba, en appelant une faction de son parti à voter pour ... Paul Biya ! Contre la promesse, naturellement, de quelques postes au gouvernement.
EnJete de Jean-Baptiste Placca PP 117-119