En juin 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus de paix d’Alger, a été signé par le gouvernement malien et les groupes armés du Nord du pays, la Plateforme, alliée au gouvernement, et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), fédération de mouvements entrés en rébellion contre l’Etat malien.
Apres trois années de conflit et moins d’un an de négociations, le texte définitif instaurant la paix au nord du Mali a été signé à Bamako, sous la supervision d’une équipe de médiation internationale emmenée par l’Algérie et qui comprenait, entre autres, la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, l’Union européenne, ainsi que les Etats-Unis et la France.
L’accord prévoit notamment de rétablir la paix au Mali par une décentralisation soutenue (dite « régionalisation »), la création d’une armée reconstituée intégrant les anciens groupes armés signataires, et des mesures de développement économique spécifiques au Nord du pays, le tout appuyé par un effort de dialogue, de justice et de réconciliation nationale.
Qui sont les principaux protagonistes ?
L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d'Alger, a été formellement signé le 15 mai 2015 par le gouvernement malien et deux coalitions de groupes armés du Nord, la Plateforme (alliée de Bamako) et la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), une alliance de groupes armés rebelles touareg et arabes regroupant le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA).
Les autres groupes de la CMA ont signé l'accord le 20 juin 2015.
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Les principaux acteurs non gouvernementaux dans le processus de paix sont la CMA et la Plateforme. La CMA est composée du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), d’une faction de la Coalition du peuple de l’Azawad (CPA) et d’un groupe dissident de la Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance (CMFPR-II).
La Plateforme est composée de la Coordination des Mouvements et Fronts Patriotiques de Résistance (CMFPR-I), du Groupe d’Autodéfense Touareg Imghad et Alliés (GATIA) et de groupes dissidents du CPA et du MAA.
Le document vise principalement à changer l’architecture institutionnelle du Mali et à intégrer les ex-combattants dans l’armée ou l’administration ou à les aider à s’insérer socialement et économiquement.
Il accorde une plus grande autonomie à la région peu peuplée du nord du Mali, et permet un retour à une normalisation des rapports entre la 8e région du Mali, la zone de Ménaka et l'État malien.
Le texte de 42 pages comporte un préambule, sept Titres, 68 Articles et quatre Annexes renvoyant aux thématiques qui ont présidé à tout le processus de négociation (Réformes politiques et institutionnelles, Défense et sécurité, Développement, Réconciliation et Justice transitionnelle).
Selon le document officiel, les deux parties signataires ont convenu d’observer une cessation immédiate de toutes formes de violences, et de s’abstenir de tout acte ou propos provocateurs.
Les groupes armés s’étaient engagés à renoncer à leur ambition d’indépendance et de fédéralisme et à respecter l’unité nationale et l’intégrité territoriale.
Pour sa part, l’Etat malien s’était engagé à appliquer toutes les dispositions de l’accord, en accélérant le processus DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion).
L’accord de paix scellait ainsi le cessez-le-feu entre les groupes armés indépendantistes du Nord et le gouvernement malien, contre qui les premiers s'étaient rebellés en 2012.
Quel mécanisme de suivi et d'évaluation de la mise en œuvre ?
Dès l’adoption du texte, un comité de suivi a été installé, composé de quatre commissions thématiques pour décider des prochaines échéances et pour organiser les modalités de mise en œuvre de l'accord.
Toutes les parties étaient représentées au sein du comité de suivi, notamment la partie gouvernementale, les anciens rebelles et les médiateurs, y compris l'Algérie et les cinq pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU (Etats Unis, France, Chine, Russie et Royaume-Uni).
Parmi les priorités, figurent la question délicate du désarmement, la reconstruction ou encore la formation de la nouvelle armée nationale, notamment au nord avec une cohabitation entre soldats gouvernementaux et ex-rebelles.
Les premières incompréhensions ont vu le jour dès les premières heures de l’Accord.
D'une part, l’Etat malien insiste notamment sur la perspective d’un déploiement prochain de l’armée et sur la gestion un désarmement des anciens rebelles.
D'autre part, la CMA composée de plusieurs mouvements armés séparatistes, qui revendiquent, depuis 2012, une meilleure intégration politique et économique des régions du nord du Mali, et dont la priorité est de fixer les modalités d’une mise en œuvre effective de l’un des piliers de l’accord à savoir le désarmement des anciens rebelles et leur réintégration dans les forces armées loyales.
Tous les observateurs rappellent qu'une mise en œuvre de l'accord ne saurait étre faite sans l’engagement des parties signataires elles-mêmes.
Qu'est-ce qui a été fait et que prévoit l'accord ?
L’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali est structuré autour de cinq points principaux à savoir les questions politiques et institutionnelles (une décentralisation soutenue dite régionalisation ), les questions économiques et de développement (la mise en œuvre de programmes de développement économique spécifiques au Nord du pays), le Processus de Désarmement, de Démobilisation, et de Réinsertion (DDR), la réforme du secteur de la Défenseet de la Sécurité (la création d’une armée reconstituée intégrant les anciens groupes armés signataires) et l'unité nationale par le volet dialogue, justice et réconciliation nationale pour favoriser la cohésion et la réconciliation entre Maliens.
L'accord de paix prévoit notamment des mesures de décentralisation et l'intégration d'ex-rebelles dans l'armée nationale.
Huit ans après la cérémonie de signature en juin 2015, le processus de suivi de la mise en œuvre de l’accord est au point mort.
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Comment comprendre la recrudescence des attaques armées au Mali ?
Selon le Centre Carter, investi fin 2017 du rôle d’observateur indépendant au Mali, le processus de mise en œuvre de l’accord ne progresse quasiment pas : moins de 30 % des dispositions de l’accord étaient mis en œuvre en 2022. Aucun des cinq piliers sur lesquels se fonde l’accord n’a été appliqué de façon satisfaisante.
La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, ex-rébellion) déplore l’absence de véritables avancées dans son application. Les groupes armés reprochent aux autorités militaires de transition de ne rien faire en faveur de sa mise en œuvre.
L'application de cet accord est considérée comme vitale pour restaurer définitivement la paix au Mali et sortir le pays de la crise dans laquelle il s'enfonce.
Le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna, estime que :
« Les groupes armés attribuent aux militaires, l'intention de revenir sur certaines clauses de l’accord en l'occurrence celles qui prévoient une décentralisation poussée dans les régions du Nord. Ils mettent en garde contre une révision des points d'entente. »
Quels sont les risques d'une rupture de l'accord ?
Les Mouvements membres du #CSP-PSD dont la #CMA n’ont pas déclaré la guerre au Gouvernement de Transition. Ils ont plutôt annoncé des mesures de légitime défense contre une guerre concrètement engagée par la junte de Bamako. Jugez-donc par vous-même. (Extrait Déclaration) pic.twitter.com/o8cm6IM4ZD
— Attaye Ag Mohamed (@attaye_ag) September 10, 2023
La non application des dispositions de l'Accord d'Alger a favorisé une reprise des attaques jihadistes et une confrontation entre les différents groupes armés.
Dans une impasse depuis plus d’un an, l’accord de paix conclu en 2015 n’a jamais paru aussi menacé. La CMA reproche à la junte son manque de volonté politique pour faire appliquer les dispositions de l’Accord.
« Nous n’avons pas posé des actes qui traitent du fond de l’accord, avec la question de la nouvelle constitution et du DDR, nous espérions que cette fois ci les questions de fond seraient traités malheureusement nous sommes restés dans le superficiel durant les huit dernières années. », estime Attaye Ag Mohamed, chef de la délégation de la CMA au Comité de suivi de l’Accord d’Alger.
Selon la CMA, la junte a fait approuver en juin une nouvelle Constitution qui compromet sérieusement l'accord d'Alger.
La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre 2023 , avec la multiplication des attaques djihadistes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils.
La Coordination des mouvements de l'Azawad qui s'était déclarée "en temps de guerre" avec la junte au pouvoir, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal.
Dans un communiqué en date du 28 Août 2023 et signé du ministre de la Réconciliation, de la paix et de la cohésion nationale, le colonel-major Ismaël Wagué, les autorités maliennes ont appelé les principaux mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, à poursuivre le dialogue.
Le gouvernement malien se dit « attaché à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali » ainsi qu’à « l’accord de cessez-le-feu du 23 mai 2014 ».
Le ministre a invité les groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger à revenir à la table des négociations en vue de surmonter les défis actuels par voie de dialogue.
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Pour l’expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna, la recrudescence de la violence ne favorise pas un dialogue entre les différentes parties, dans un contexte marqué par la rétrocession des camps de la Minusma à l'armée malienne et où la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et les forces armées maliennes, s’accusent mutuellement d’avoir ouvert les hostilités.
« Aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l'armée s’installer les zones qu’ils prétendent être leurs fiefs, telles que Ber. Aujourd’hui, l’armée est prête à tout pour asseoir l'intégrité du territoire en reprenant des zones comme Aguelhok, Tessalit et Kidal. Donc oui, le risque d'affrontements est réel et il est urgent pour toutes les parties de renouer le dialogue et d'ouvrir les négociations pour ramener la paix », déclare-t-il.
Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».
Le CSP-PSD désigne la junte au pouvoir à Bamako comme « seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu ».
La situation humanitaire et sécuritaire demeure plus que jamais fragile et les récentes événements de Léré dans la région de Tombouctou, ne sont pas pour arranger la situation.
Selon plusieurs observateurs, à défaut de pouvoir réécrire quelques articles de l’Accord qui pourraient mettre en cause le caractère unitaire du Mali, il serait possible de prendre des lois d’application rectifiant des points litigieux, avec l’accord des mouvements signataires.
« Les acteurs internationaux ne peuvent que soutenir l’Etat central dans sa démarche, est de récupérer tout le territoire et de désarmer les groupes terroristes », affirme Dr. Alpha Alhadi Koïna.
« Nous pensons que la communauté internationale a son rôle clairement défini à jouer comme l’Accord lui confie une tâche de garant, de suivi et de monitoring du processus de paix, mais aussi d’accompagnement sur le plan de la mobilisation des ressources. Elle a entamé ce qu’elle peut faire à travers la mission Onusienne qui est une mission multidimensionnelle intégrée financée aux frais des Nations Unies mais aussi par des contributions d’Etat et aussi à travers des programmes d’appui à la réforme du secteur de la sécurité, et avec des fonds de la Banque Mondiale, mais ce n’est clairement pas suffisant au regard de la situation actuelle. A mon avis, la Communauté Internationale subit clairement l’absence de volonté politique des autorités de transition », a déclaré Attaye Ag Mohamed à la BBC.