Dans une lettre ouverte adressée au ministre délégué auprès du ministre de la justice, Me Yondo Black met à nu Jean de Dieu Momo.
camerounweb.com vous propose de lire la lettre ci-dessous
Lettre ouverte à mon Confrère Me Jean de Dieu MOMO, Avocat au Barreau Cameroun
Ministre Délégué auprès du Ministre de la Justice
Par Me YONDO BLACK
Je ne sais pas si je dois m’adresser au Confrère que vous êtes ou au Ministre, puisque vous revêtez les deux habits dans deux tribunes où vous êtes intervenu, l’une vous adressant à notre Confrère TSAPI, l’autre pour apporter ce que vous appelez votre contribution à la campagne pour l’élection des organes dirigeants du barreau. Qui peut le plus peut le moins. Quoiqu’il en soit,
Monsieur le Ministre, Très cher Confrère,
Sans être le contrepouvoir que vous décriez becs et ongles en défense du Pouvoir que vous entendez défendre à tout prix, permettez à l’humble Avocat que je suis, de vous dire que je ne partage nullement, et cela ne saurait vous surprendre, vos vues concernant le Barreau.
Dans la tribune dédiée à notre Confrère Me TSAPI, vous me fustigez à l’idée que je vous aurais formaté, au cours de votre passage en formation d’avocat stagiaire, à utiliser le barreau contre le pouvoir, érigeant celui-ci en un contrepouvoir. Et comme cela ne suffisait pas, en bon Avocat au service de la Justice, vous invitez les Avocats à dénoncer auprès du Ministre de la Justice toutes les infractions dont ils auraient connaissance
« OUI, dites-vous, le ministre de la justice attends des avocats qu’ils lui dénoncent les violations des lois et des libertés pour qu’ensemble, nous les combattions. Il s’agit de partenariat avec la tutelle et non d’opposition »
« …et vous comptez sur le barreau pour vous aider à traquer les délinquants en les dénonçant, étant donné que vous êtes sur le terrain de l’action comme nous. Saisissez-nous autrement que par des commentaires sur FACEBOOK… »
« …est-ce que l’avocat a la possibilité de sortir son client de prison sans le concours du parquet ou du MINJUSTICE »
« Dites-moi, cher Confrère, dans quel pays au monde il est inscrit dans la Constitution que le barreau est un contrepouvoir (j’ai souventes fois entendu le Bâtonnier YONDO soutenir cela et moi je le suivais aveuglement quand j’étais jeune Avocat. Il a tort ainsi que je m’en suis rendu compte »
Pour ne citer que ces quelques points qui donnent largement à penser que le rôle que vous assignez à l’avocat, ce citoyen d’honneur qui exerce une profession noble, une profession d’honneur, qui exige des principes qui doivent guider en permanence et en toutes circonstances son comportement (exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité, et humanité dans le respect des termes de son serment), cet Honnête Homme qui doit en outre res- pecter les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie, faire preuve à l’égard de ses clients de compétence, de dévouement, de dili- gence et de prudence, votre souci est d’en faire un dénonciateur des violations de la loi et des libertés, en somme ce qu’on appelle vulgairement « un indicateur de police » .
Dans quel Etat de droit l’a-t-on vu ou tout simplement entendu cela?
La non-dénonciation de crime est une infraction délictuelle. Elle est le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives.
La loi, elle-même, a prévu des immunités pour la non-dénonciation de crime et au rang de ces immunités se retrouvent les personnes astreintes au secret professionnel, une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.
Dans l’autre tribune que vous baptisez de « votre contribution à la campagne pour l’élection des organes dirigeants du barreau », vous n’y allez pas de main morte, invitant l’Avocat à se déconstituer au risque de se voir considérer comme un complice punissable du client qu’il défend, lorsque, profitant des vices de forme, des failles d’un dossier, dont regorge une procédure, bien que l’infraction, par ailleurs, lui paraisse caractérisée, son intervention peut amener le tribunal à renvoyer le prévenu des fins de la poursuite sans peine et augmenter ainsi la douleur de la victime dont l’Etat a l’obligation d’assurer la pro- tection des intérêts ?
Si on doit vous suivre dans cette logique, quel serait alors le rôle social de l’Avocat face aux violations des règles de droit ?
Ne risquerions-nous pas de voir aussi condamner le Juge qui aura rendu une décision de relaxe en faveur d’un auteur d’une infraction dont le non-respect des règles de forme commandait son élargissement, en clair, de ne pas entrer en voie de condamnation ?
Voilà jusqu’où pourrait conduire la logique de votre prestation. Vous semblez même oublier que dans un Etat de droit même le criminel le plus crapuleux a droit à une défense comme vous semblez ignorer que l’avocat répond d’une morale.
A mon avis vous êtes davantage mû, à la limite, obnubilé, par cette idée de la défense du Pouvoir pour la défense de celui-ci, oubliant que dans l’exercice du pouvoir, celui-ci se heur- te souvent dans la pratique à des contrepoids qu’il retrouve sur son chemin et qui ne sont écrits nulle part dans des textes parce que la confiance n’exclut pas le contrôle. Dans quel texte constitutionnel avez-vous lu que la presse constituait un quatrième pouvoir ? Et pourtant cela est communément dit et admis.
Vous dites dans votre tribune que de nombreux Confrères sont venus vous voir dans le cadre des dossiers qui leur sont confiés et beaucoup peu- vent en témoigner, vous les avez reçus promptement et vous êtes immédiatement intervenu. C’est donc pour une justice sous influence, une justice interventionniste que vous militez, mais que nous autres, nous dénonçons, en recevant les avocats qui, à la place de défendre leurs clients en se fondant sur le droit « lois et règlements » qu’ils doivent trouver dans leur bibliothèque si tant est qu’ils en disposent, ils préfèrent vous faire intervenir, transformant leur obligation de moyens en obligation de résultats. Est-ce là le genre d’avocat dont doit rêver une société de droit ?
Les avocats sont un contre-pouvoir, ne vous en déplaise, en pleine tempête. Face à un autoritarisme croissant qui précarise la profession, face à une mécanique systémique qui fabrique déshumanisation et désincarnation, les avocats ont plus que jamais un rôle essentiel pour faire revivre une démocratie en danger, écrivaient deux Confrères, ténors du Barreau de Paris William Bourdon, et Vincent Brengarth, dans un article publié le 9 mars 2020 dans le journal LIBERATION. Je dois vous avouer, Monsieur le Ministre et néanmoins très cher Confrère que je comprends bien votre souci et le sens de votre démarche. Vous êtes dans l’embarras de choix entre donner de la voix à votre corpo- ration et soutenir le Pouvoir qui est votre gagne-pain du moment.
Au moment où dans les foyers domestiques, les camerounais se plaignent de la mal gouvernance de leur pays, au moment où le panier de la ménagère se trouve de plus en plus vide, au moment où pointe à l’horizon un vent de révolte qu’il faut contenir, le corps social qu’il vous faut avoir comme un allier sûr est le BARREAU que vous dites pourtant par ailleurs être un rempart.
Seulement, ce qui semble vous échapper c’est que le mot ‘’rempart’’ recouvre bien une idée : celle de défendre, défendre contre, se proté- ger contre, mais contre quoi ou contre qui, si ce n’est contre le Pouvoir lorsque celui-ci verse dans des dérives autoritaires, voire autocratiques.
« Debater mais ne vous battez pas», dit l’autre.
Ne versez surtout pas dans l’injure quand vous êtes à court d’arguments. Il est injurieux Monsieur le Ministre, de dire : c’est un mensonge lorsque vous êtes face à un point de vue diffèrent du votre. Un peu de considération pour votre contradicteur, s’il vous plait, ne vous ferait pas mal
Je vous cite :
«…lisez la constitution du Cameroun et montrez-moi l’article qui dit que le barreau est un contrepouvoir. En revanche les contre poids constitu- tionnels sont connus de tous, et le barreau n’y figure pas. C’est un mensonge véhiculé par les politiciens dès le début pour s’accaparer du barreau et le transformer en partie politique». Si vous parcourez l’histoire du Barreau dans un pays que vous connaissez aussi bien que moi, et je vous y invite, vous découvrirez que le Barreau s’est battu pour l’indépendance de la justice comme il se bat pour sa propre indépendance.
Vous n’avez donc pas inventé la lune en disant que le Barreau n’est pas un contrepouvoir. Le mot contrepou- voir n’est pas dans la constitution, certes, accolé comme vous le faites, dans la séparation des pouvoirs, initiée par Locke et autres maîtres du droit constitutionnel. Mais il ne saurait vous échapper que sentant le poids du bar- reau, le pouvoir s’est de tout temps employé à en réduire la puissance.
Maitre, comment faites-vous pour défendre tel ou tel assassin ?
Que de fois cette question est posée à l’avocat même dans des salons les plus feutrés du monde. Vous en savez quelque chose, Monsieur le Ministre, Très Cher Confrère. Les défendre tous reste notre credo.
Pour les avocats, défendre, c’est avant tout offrir un rempart à une per- sonne qui est montrée du doigt et qui n’a personne d’autre qu’eux pour la représenter. Il ne s’agit pas d’acquiescer à un acte commis ou de considérer que ce n’est pas un acte grave. Il s’agit de retranscrire la parole d’un prévenu, d’un accusé ou d’une victime.
Les avocats ont en charge le respect des règles du procès équitable et participent au débat contradictoire du procès. Ils assurent un équilibre entre l’acte commis et la peine.
Seules sa conscience et son code déontologique doivent servir de guide à l’avocat et non les préoccupations dont vous faites allusion et qui me paraissent bassement politiciennes.
Je ne vous ferais pas cette injure en imaginant tout simplement que vous ignorez que dans les moindres détails de son activité, dans les actes qu’il accomplit, dans les stratégies qu’il élabore, dans les plaidoiries qu’il prononce, l’avocat est soumis à des règles et usages qui donnent aux justiciables une image homogène de l’avocature.
Monsieur le Ministre, Je n’ai pas oublié que m’interpellant personnellement, vous m’avez demandé ce que m’ont apporté les 30 années de la vie que j’ai consacré à la résistance au Pouvoir.
Très Cher Confrère, vous semblez prendre cela pour un jeu. Il n’en est pas. Il ne s’agit pas d’un jeu mais d’un combat pour la réalisation d’un rêve que j’ai nourri pour mon pays. Il faut de l’endurance pour s’y tenir. Vous vous y êtes essayé en son temps, mais les forces de l’endurance vous ont manqué et vous vous êtes rendu, après compte qu’il est difficile de combattre un pouvoir autocratique qui entend jalousement conserver ses privilèges.
Mais n’ayant ni l’honnêteté ni le courage d’assumer l’échec, vous vous employez à trouver des boucs émissaires qui vous auraient induit en erreur. Je suis un de ces boucs émis- saires.
Mettant votre habit de Ministre de côté, vous vous êtes employé, vous souvenant que vous êtes Avocat, à prodiguer des conseils aux postulants à la direction du barreau et aux jeunes aspirants à ce noble corps de la Nation. C’est votre droit, mais alors gardez-vous de faire considérer un Avocat comme un auxiliaire de la justice au service du Pouvoir. Nous sommes un grand corps de la Nation, une institution juridiquement protégée qui a son rôle social qui ne défend pas que la veuve et l’orphelin.
L’exercice de la défense n’est pas assuré par le seul fait que nous vivons en démocratie et dans un État de droit. Il suffit d’écouter autour de soi, il est souvent remis en question, même s’il est inscrit dans des textes tels que la Déclaration des droits de 1789, les Constitutions et leur préambule, les chartes et conventions de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, décla- rent entre autres que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ». Et elle précise que
« tout accusé a droit notamment à… se défendre lui-même ou avoir l’assis- tance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exi- gent ».
Ainsi, les textes juridiques garantissent le fait que la défense est un droit essentiel. Pourtant, il faut souvent rappeler que, dans un État de droit, on juge selon des règles de droit. Or la science du droit ne s’improvise pas, elle s’apprend et s’expérimente. L’accusé ne la connaît pas ; la justice pénale ne peut être juste et comprise que si la défense est présente et joue ce rôle de rempart contre le retour à une justice hors démocratie ou contre des décisions arbitraires.