CRISIS GROUPE alerte sur les risques de violences postélectorale au Cameroun

Manifestation Maroua Des manifestations

Fri, 8 Aug 2025 Source: www.camerounweb.com

Il vaut mieux prévenir que de guérir, conseille Crisis Group International aux autorités camerounaise à propos des élections du 12 octobre 2025.

"Le Cameroun organise une élection présidentielle le 12 octobre. Le président Paul Biya – âgé de 92 ans, dont 42 passés au pouvoir – brigue un nouveau mandat alors que les inquiétudes autour de sa succession vont croissant. En parallèle, les espaces de contestation politique se réduisent et les causes des différends ayant entaché les précédents scrutins restent irrésolues.

En quoi est-ce significatif ? Le scrutin se tient dans un contexte de crises multiples. Des perturbations sont probables dans les zones de conflit, notamment dans les régions anglophones, où les forces gouvernementales affrontent des milices séparatistes, et dans l’Extrême-Nord, théâtre d’attaques jihadistes de plus en plus nombreuses. Les tensions ethno-politiques et le mécontentement de la jeunesse pourraient également déclencher des troubles.

Comment agir ? Les dirigeants camerounais devraient prendre la mesure des risques liés à la succession présidentielle et commencer à préparer l’après-Biya. En amont du scrutin, le gouvernement devrait apaiser les tensions en libérant les militants emprisonnés et en convenant avec l’opposition d’une désescalade des discours incendiaires. Enfin, Yaoundé devrait envisager la signature d’un cessez-le-feu électoral avec les séparatistes anglophones.

Synthèse

L’élection présidentielle du 12 octobre constituera un véritable test pour la stabilité du Cameroun. Les appels au retrait du président Paul Biya – âgé de 92 ans, dont 42 passés au pouvoir – ne proviennent plus seulement de l’opposition. Partout dans le pays, l’exaspération grandit face aux méthodes répressives du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), à sa mainmise sur les institutions étatiques et à son refus de clarifier ses intentions concernant la succession du chef de l’Etat.

Comme en 2018, l’insécurité pourrait perturber le scrutin dans les zones en proie aux conflits, notamment dans les régions anglophones et l’Extrême-Nord, tandis que les discours incendiaires à caractère ethnique gagnent du terrain ailleurs dans le pays. Pour apaiser les tensions, Yaoundé devrait prendre acte des risques que fait peser l’absence de toute préparation de l’après-Biya, et le RDPC devrait organiser un congrès électif après le vote pour permettre à ses partisans de débattre des modalités de la succession. S’agissant de l’élection elle-même, tous les candidats devraient s’engager à proscrire toute rhétorique haineuse en signant un code de bonne conduite, et les autorités devraient prendre des mesures exceptionnelles pour protéger les civils dans les zones en conflit, y compris en envisageant un cessez-le-feu temporaire avec les séparatistes anglophones.

Peu d’observateurs s’attendent à un scrutin libre et équitable au Cameroun. Le gouvernement n’a guère agi pour corriger les dysfonctionnements du système électoral à l’origine du mouvement de contestation de 2018. A l’époque, la principale figure de l’opposition, Maurice Kamto, avait refusé de reconnaitre la victoire de Paul Biya, déclenchant une série de recours judiciaires, des manifestations et une répression ciblée des opposants. Au moins quatre hauts cadres du parti de Maurice Kamto figurent parmi la cinquantaine de ses partisans condamnés à de lourdes peines de prison à la suite des troubles.

Depuis ce scrutin, les forces de sécurité ont menacé à plusieurs reprises d’arrêter les dirigeants de l’opposition et ont interdit leurs rassemblements. Les autorités ont aussi imposé des restrictions aux organisations de la société civile, qui jouaient jusque-là un rôle de premier plan en tant qu’observateurs électoraux indépendants. En outre, les responsables des deux principales institutions en charge du processus électoral, Elections Cameroon et le Conseil constitutionnel, sont pour la plupart d’anciens hauts fonctionnaires nommés par le président, soulevant des doutes quant à leur réelle indépendance.

Malgré l’emprise du parti au pouvoir, l’avenir politique du pays demeure ... incertain.

Malgré l’emprise du parti au pouvoir, l’avenir politique du pays demeure par ailleurs incertain. L’âge du président Biya et la durée exceptionnelle de son mandat alimentent les interrogations sur l’après-scrutin. Chef d’Etat en exercice le plus âgé au monde, Paul Biya aura 99 ans à l’issue d’un éventuel nouveau septennat. Il reste pourtant évasif au sujet de sa succession et n’a pas organisé d’élections internes au sein de son parti depuis quatorze ans, malgré les pressions en ce sens.

En juillet, il a annoncé sa candidature à un huitième mandat. Sa détermination à se maintenir au pouvoir inquiète de nombreux Camerounais et Camerounaises. En 2020 et en 2024, ses longues absences de la scène publique ont fait naitre des rumeurs persistantes sur son état de santé et attisé les luttes d’influence entre ses fidèles, détournant l’attention du gouvernement des multiples crises sécuritaires et sociales. Des personnalités de la société civile originaires du nord du pays — pourtant bastion traditionnel de Paul Biya — et l’Eglise catholique l’ont exhorté à se retirer, tandis que plusieurs alliés politiques influents de cette région ont quitté la coalition présidentielle. Les coups d’Etat militaires survenus ces dernières années dans d’autres pays d’Afrique francophone rappellent les risques qui pèsent sur la stabilité du Cameroun.

Outre les atteintes aux libertés politiques et les incertitudes qui entourent la succession présidentielle, le scrutin pourrait également donner lieu à des violences. Le contrôle étroit exercé par le pouvoir sur les instances électorales et la répression visant les figures de l’opposition et les organisations de la société civile pourraient déboucher sur une contestation des résultats, notamment parmi la jeunesse qui s’estime exclue de la vie politique par une élite vieillissante. Dans les zones de conflit, qui comptent des centaines de milliers de déplacés internes, des violences pourraient perturber le bon déroulement du vote. Les groupes séparatistes actifs dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ont promis d’entraver la tenue du scrutin dans les régions anglophones, ce qui pourrait priver quelque 15 pour cent de l’électorat de son droit de vote. Par ailleurs, l’intensification des attaques jihadistes dans l’Extrême-Nord et les inondations liées à la saison des pluies pourraient aussi dissuader certains électeurs de se rendre aux urnes. Plus largement, les menaces de violence se multiplient, tant en ligne que dans la vie réelle, attisant les tensions ethno-politiques à travers le pays.

Pour limiter ces risques, le gouvernement camerounais devrait s’employer à apaiser les tensions et à renforcer la crédibilité du processus électoral. Afin de dissiper les inquiétudes liées à l’avenir politique du pays en cas de victoire de Paul Biya, le RDPC devrait organiser un congrès peu après l’élection pour débattre ouvertement de la question de la succession. Pour sa part, le président devrait accorder une amnistie aux personnes incarcérées à la suite des troubles post-électoraux de 2018 et lever les sanctions visant les organisations de la société civile. Tous les candidats devraient s’engager à mettre un frein aux discours incitant à la haine, tant dans l’espace public qu’en ligne, en adoptant un code de bonne conduite doté également de mécanismes de règlement pacifique des différends. Les partenaires régionaux et internationaux du Cameroun — notamment l’Union africaine, l’ONU, l’Union européenne, la France, les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni — devraient soutenir cette initiative et plaider en faveur d’élections transparentes, libres et équitables.

Enfin, Yaoundé devrait prendre des dispositions exceptionnelles pour garantir la sécurité des électeurs dans les zones en conflit. Le gouvernement et les groupes séparatistes devraient, dans l’idéal, chercher à apaiser les tensions avant le scrutin, par exemple en libérant les prisonniers politiques anglophones et en levant les opérations « villes mortes » imposées par les séparatistes. Ils devraient aussi s’entendre sur une cessation des hostilités pendant la semaine électorale et s’engager, au minimum, à ne pas prendre les civils pour cible. Les autorités devraient également renforcer les patrouilles et les contrôles aux frontières dans l’Extrême-Nord.

Même si le temps presse, les dirigeants camerounais peuvent encore agir pour prévenir les violences, garantir la crédibilité du scrutin et convaincre la population que l’avenir politique du pays n’est pas nécessairement porteur d’instabilité".

Yaoundé, Nairobi, Bruxelles, 8 août 2025

Source: www.camerounweb.com