L'IMMENSE ÉCRIVAIN MONGO BETI L'A D'AILLEURS REPRIS DANS UN DE CES LIVRES.
Benjamin Zebaze
Nkeum Motissong
Une université très particulière : QUE CACHENT LES PROPOS DU MINISTRE JOSEPH OWONA ?
Jeudi 22 novembre, Joseph Owona, Ministre de l'Enseignement Supérieur, de l'Informatique et de la Recherche Scientifique, prononce "une communication spéciale" devant le conseil d'administration de l'université, élargi aux chefs de départements, enseignants de rang magistral et présidents de clubs ou associations universitaires. Thème de la rencontre : l'université et la politique. Cibles visées : Siga Asanga, enseignant en faculté de lettres et Secrétaire Général du SDF; Ambroise Kom professeur de littérature négro-africaine et pourfendeur intrépide du monolithisme.
Challenge Hebdo analyse les enjeux d'un crash en préparation, et révèle les dessous du discours officiel, qui vise à faire radier de l'université les deux enseignants rebelles.
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Il y a deux manières de concevoir la politique, chacune d'elles ayant ses variantes, ses applications personnalisées, ses mixages et ses adeptes. La première et la plus connue consiste à rejeter complètement l'autre, comme pour éviter une maladie contagieuse. Le but essentiel étant d'annihiler chez [PAGE 276] l'homme tout esprit de contestation, de réflexion. On accrédite ainsi une conception violente de la politique fondée sur la haine, sur l'intolérance et la robotisation des individus. On invente des principes guerriers, on falsifie des données universelles dans le but de mettre l'opposant hors-jeu. Le journaliste français Jean Kahn a bien décrit cette méthode dans son livre "La Guerre Civile".
L'autre manière de concevoir la politique est de rationaliser le débat, d'accepter l'adversaire et de ne pas voir en lui un usurpateur désireux de vous empêcher l'appropriation "du gâteau". Vous vous demandez où nous voulons en venir ? La réalité des choses veut qu'on admette que la réaction des autorités camerounaises, après les remous survenus à l'université, dégage des relents de guerre civile. La situation à l'université s'est dégradée ces derniers jours à cause de ce qu'on appelle "un malentendu" au sujet des bourses. Ce problème est réel, n'en déplaise aux adeptes de la politique de l'autruche. Mais comme s'interrogeait l'éditorialiste du "grand quotidien national" P.C. Ndembiyembe, "est-il possible de continuer à examiner le problème de la bourse sous son seul rapport financier ? "Non, évidemment, et il est urgent d'appliquer cette recommandation, du chef de l'Etat selon laquelle les solutions aux problèmes de l'université doivent être trouvées dans le cadre d'une réflexion collective. Quand est-ce qu'enfin on appliquera sans heurt une consigne du "chef de troupe" ?
L'AUTOPSLE DE LA SITUATION
Venons-en au fait. Comment peut-on affirmer sans rire qu'il n'existe pas un problème de la bourse à l'université de Yaoundé ? Comment peut-on parler à ce niveau de "malentendu" ? Le problème existe bel et bien et nous y reviendrons. Les maux dont souffre le temple du savoir sont connus et répertoriés. Ils existent depuis des années et il est malhonnête de vouloir faire croire à l'opinion aujourd'hui que le malaise n'est dû qu'à l'action souterraine de quelques groupuscules politiques
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Ces maux reflètent l'état de la société camerounaise, mais [PAGE 277] ils sont exacerbés ici par la solennité des lieux, la promiscuité ambiante et le niveau intellectuel des résidents. Notons dans le désordre : la prise en compte de l'origine tribale dans la répartition des cours entre professeurs, des fraudes "institutionnalisées" dans les examens, une escroquerie à peine voilée par des incendies insolites qu'un confrère qualifierait de fumée sans feu, la répartition des bourses et chambres selon des critères indéfinis ou inappliqués, des enseignements inadaptés au monde moderne, l'absence des matières privilégiant la réflexion et l'initiative, l'insuffisance des capacités d'accueil, une bibliothèque rappelant tristement un vaste poulailler sans abreuvoir, l'omniprésence sournoise de la police politique (mais oui), professeurs-commerçants (vendeurs de polycopies), adeptes de la délation ... la liste est longue.
LE VRAI DEBAT
Face à ces problèmes, il ne faut pas se tromper de débat. Maints exemples montrent l'urgence de l'ouverture d'une discussion, car l'avenir d'une génération est en jeu.
Comment comprendre que université, temple du savoir et de la tolérance par excellence, soit à ce point... intolérante ? Comment expliquer le fait qu'un professeur subisse les foudres de sa hiérarchie tout simplement parce qu'il a dénoncé la folie des grandeurs des administratifs de l'université consistant à habiller chèrement des majorettes alors que les étagères des bibliothèques sont désespérément vides ? Où est le sens des priorités ?
Comment admettre que le département des lettres modernes françaises (LMF) soit confié à un grammairien, docteur en littérature orale ? Comment peut-il diriger des enseignants qui lui contestent toute légitimité ?
C'est ce genre de curiosité qui entraîne des conflits absurdes, notamment celui ayant opposé le chef de département Ngijol Ngijol à un de ses enseignants, docteur d'Etat en littérature, Ambroise Kom. Dans une correspondance au vitriol, Ngijol intimait à Ambroise Kom l'ordre de mettre un terme ou de donner dorénavant une orientation plus littéraire qu'idéologique à [PAGE 278] ses enseignements de LMF3-Spécialisation, et ceci à cause des sujets proposés aux examens, jugés trop osés (réf.N :632/DLMF/UY/FLSH). Le professeur Ngijol Ngijol, dont nul n'a jamais lu aucun des travaux, devrait nous dire ce qu'il entend par orientation idéologique. De deux choses l'une : ou il a une définition de l'idéologie qui lui est propre, ou il parle français, auquel cas nous lui rappelons que l'idéologie est une science ayant pour objet l'étude des idées, de leurs lois et de leur origine.
Car, comment peut-on dispenser un cours sur la littérature africaine en ignorant les problèmes idéologiques ? Cette incroyable absurdité de raisonnement ne pourrait s'expliquer que par le carriérisme de la fonction "professorale" (pour paraphraser l'expression du grand débateur qu'est R.G. Nlep).
Le professeur "rappelé à l'ordre", Ambroise Kom, avait tout simplement proposé à ses étudiants les sujets suivants :
1er sujet :
"La femme est un champ à cultiver ... C'est vrai. C'est un champ. Mais un champ vivant en droit d'exiger autre chose que la fêlure systématique et la semence brève". (Tahar Ben Jelloun dans Moha le fou Moha le sage Paris, Seuil, 1978, p.148)
"C'est ça votre Afrique ? C'est ça vos indépendances et vos révolutions d'Afrique ? Tout commence par les jambes, il faut qu'on ouvre un ministère des jambes, vous y avez votre place. Toutes vous y avez votre chemin, ici non, ici vous décolorez. "Vous emmochez". De sacrées merdeuses qui vous écrivent orphelins avec un F. Un F de fou." (Sony Labou Tansy, dans L'anté-peuple, Paris, Seuil, 1983)
– Commentez en les comparant les deux affirmations ci-dessus. (Sujet proposé en LMF 3 spécialisation littérature africaine).
2o sujet :
"Je ne suis pas vertueux je hais la vertu. Mais la paresse me donne la nausée aussi" (Sony Labou Tansy dans l'Anté-peuple, p. 37).
–Cette affirmation de Dadou rend-elle compte de son cheminement ? La notion de vertu est-elle relative ? Illustrez abondamment.
Quel que soit votre niveau intellectuel, en quoi de tels sujets peuvent-ils être subversifs ou avoir un contenu idéologique ? [PAGE 279] Comment peuvent-ils être susceptibles selon le professeur Ngijol Ngijol, de jeter éventuellement les étudiants dans le désordre ?[1] [PAGES 280 à 283 : notes de bas de page] [PAGE 284]
Faut-il rappeler que la réponse cinglante du professeur Kom (voir des extraits ci-dessous) lui a valu des interrogatoires serrés auprès des "autorités compétentes" ? A l'université de Yaoundé, tout semble possible, sauf la réflexion.
L'INTERVENTION DU MINISTRE
Tous ces problèmes nécessitent une réflexion sérieuse, c'est ce à quoi on s'attendait lorsque le ministre Owona est monté au créneau à la suite des remous suscités par l'interprétation floue [PAGE 285] d'un texte austère à propos des bourses.
Comme à son habitude, il a d'abord rappelé toutes les réalisations du gouvernement depuis ... le 6 novembre 1982 (ouverture du nouveau restaurant, amélioration de l'ancien ... ). Ensuite, il a énuméré les problèmes de l'institution tout en rappelant qu'il ne sera pas facile de les résoudre. A propos des bourses, il a précisé que le chancelier avait été suffisamment clair dans son intervention dans Cameroon Tribune.
C'est sur le plan politique que le ministre s'est montré le pus déterminé. Pour lui les choses doivent être claires et "les gens ne doivent pas se servir de l'université comme un bouclier pour prendre le Capitole".
A propos des tracts, il est précisé qu'il était difficile d'admettre leur circulation. L'ouverture démocratique, a-t-il poursuivi, a été décidée par le gouvernement, ceux qui veulent faire de la politique doivent la faire en dehors de l'université. Poursuivant dans ce sens, il a insisté sur le fait que les politiciens ne devraient pas avancer masqués à l'université en utilisant des jeunes universitaires pour leur politique.
A la fin, dans une menace à peine voilée, il a conclu que le gouvernement ne saurait tolérer que l'anarchie règne à l'université.
LES DESSOUS D'UN DISCOURS
Nous ne sommes évidemment pas d'accord avec cette vision des choses. Les problèmes des étudiants sont indépendants des problèmes politiques. Il existe des problèmes réels que nous avons énumérés et dont les résolutions sont impératives.
Le problème des bourses est sérieux et il faut plus qu'une interview à Cameroon Tribune pour convaincre l'opinion. L'Etat Camerounais a des problèmes de trésorerie. Ce n'est un secret pour personne. Est-il normal que, pendant cette période difficile, le même Etat octroie des bourses à certains étudiants choisis selon des critères que les initiés connaissent bien pour aller faire des études en droit (1ère année, 2ème année), sciences économiques (1ère année, 2ème année, [PAGE 286] licence), lettres ... à l'étranger ? N'ayons pas peur des mots : c'est un scandale.
Chacun sait que toutes ces filières existent au campus de Ngoa-Ekelé. Tout le monde est libre d'aller à l'école où il veut, mais il ne faut pas utiliser l'argent des contribuables pour organiser de véritables voyages d'agrément aux maîtresses, petites amies ... Que le professeur Owona nous explique les raisons de telles pratiques anachroniques par rapport à notre situation financière. Pensez qu'une bourse à l'étranger pourrait faire vivre près de trois étudiants à Ngoa-Ekelé !
Est-il normal que le poste de Vice-Doyen de la Faculté de Droit et de Sciences Economiques soit resté ainsi vacant depuis le départ d'Essama ? Faut-il attendre son retour de l'étranger pour récupérer un poste dont il semble être le seul à pouvoir bénéficier ? Pourtant dans l'interview précitée dans Cameroon Tribune, le Chancelier lui-même montrait l'urgence d'une nomination à ce poste.
Si les étudiants s'agitent actuellement, c'est qu'ils ont l'impression de ne pas servir à grand'chose puisque tout ce qui concerne leur avenir s'est fait sans concertation.
S'il est vrai que des efforts ont été accomplis ces dernières années, il faut reconnaître qu'ils ont tout juste permis à cette illustre institution de quitter "l'âge de la pierre taillée" pour celui de la "pierre polie", "l'âge des métaux" relevant encore de l'illusion.
Comment expliquer qu'un campus universitaire construit au départ pour un millier d'étudiants soit le même des dizaines d'années plus tard ? (37 000 étudiants cette année). Comment expliquer les fluctuations erratiques du taux de bourse depuis 1984 ?
UN SEUL RECOURS, LES TRACTS
Etant donné la situation de "pré-libertés" dans laquelle on se trouve, comment s'étonner dès lors que les tracts circulent dans le campus ? Nous sommes par principe contre ce mode d'expression, nous pensons qu'il faut de plus en plus des Camerounais courageux pour émettre leur opinion sur la place [PAGE 287] publique, quel que soit le prix à payer.
Dans le contexte actuel, où, malgré l'ouverture démocratique, la censure continue à sévir, où les intellectuels et les apprentis-intellectuels trouveront-ils les textes capables "d'adoucir leurs mœurs", à quoi peut-on s'attendre ?
Si des étudiants hostiles aux méthodes en cours demandaient l'autorisation d'utiliser une salle de classe pour débattre de leurs problèmes, quelles seraient les réactions des autorités ? On parlerait certainement de subversion alors que le Chef de l'Etat a dit lui-même qu'il n'était plus question de prendre le maquis pour défendre ses idées.
Qu'on libère la presse, qu'on autorise les partis politiques et les tracts anonymes disparaîtront d'eux-mêmes.
LES CHOSES A LEUR PLACE
Il faut que les choses soient claires : un Ministre a-t-il le droit d'indiquer les lieux où doivent s'exercer des activités politiques ? Puisque le Ministre les interdit dans le campus, au nom de quoi le Ministre des Sports ne les interdirait-il pas dans les stades ? le Ministre des Affaires Etrangères dans les ambassades, le Ministre de la Santé dans les hôpitaux ... Puisqu'aussi bien dans ces lieux publics, arbitres, ambassadeurs, médecins peuvent utiliser la jeunesse pour leur ambition politique. Soyons sérieux ! le Ministre de l'Administration Territoriale pourrait interdire tout débat politique dans les gargotes en tenant compte de l'ordre public et des bonnes mœurs.
En tant que lieux où s'exprime la dynamique des idées, les campus sont des lieux de débats politiques par excellence, n'en déplaise à certains. Nulle part dans le monde, les étudiants ne peuvent se tenir à l'écart des questions politiques, pas même au Cameroun où on a vu certains d'entre eux, soutenus par des autorités bien connues, co-signer des motions de soutien, organiser des marches "spontanées".
Pendant la rédaction des motions soutien, l'organisation des marches, quel acte accomplissent-ils ? Des actes politiques [PAGE 288] par excellence, car ceci visait à soutenir le R.D.P.C.. Il ne faut pas cracher sur la soupe qu'on a bue hier.
De toutes façons, l'histoire est faite de certitudes et l'une d'elles est conforme au bon sens : la politique s'exercera à l'intérieur du campus, le RDPC ayant montré la voie.
LE RISQUE D'EXPLOSION
Ce qui nous choque dans cette histoire, c'est qu'un myope sans lunettes verrait qui on vise lorsqu'on parle de politiciens qui avancent masqués à l'université et utilisent les étudiants pour leur politique. Tout le monde voit derrière cela l'ombre pesante du Secrétaire Général du SDF Siga Asanga, professeur à l'université. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on peut être du SDF et être un honnête citoyen. Il ne faut pas avoir irrémédiablement raison pour avoir voix au chapitre.
Aucune règle morale, aucune règle juridique ne peut empêcher un professeur d'adhérer à un parti et d'émettre des opinions sur la place publique au risque d'influencer les étudiants. D'ailleurs nous nous souvenons bien lorsque le professeur Owona nous enseignait (avec brio, il faut le reconnaître) les arcanes du droit constitutionnel, certaines de ses positions (sous le régime Ahidjo) s'apparentaient à des actes de subversion. Respectons les autres et on sera respecté.
Une rumeur malsaine circule d'ailleurs à l'université, selon laquelle on serait en train de préparer un conseil de discipline pour mettre hors d'état de nuire le professeur Siga Asanga. Bien que ne pouvant accorder un quelconque crédit à de tels bruits, nous mettons en garde contre de telles pratiques. Personne ne doit oublier que l'arrestation inutile de Yondo Black a failli mettre le feu aux poudres dans ce pays.
L'heure est grave, et il faut éviter de mettre l'huile sur le feu. Imagine-t-on la réaction des étudiants (anglophones surtout) au cas où une telle décision était prise ? C'est pour cela que nous comprenons mal les menaces du Ministre alors que l'heure n'est plus à l'arrogance, mais au dialogue.
Heureusement que nous avons à la tête de l'Etat un démocrate convaincu[2]. En cas de manquements répétés aux consignes [PAGE 289] du "chef de troupe", ce dernier pourrait renvoyer certains de ses disciples à leurs chères études. Peut-être pourront-ils approfondir à ce moment-là leurs connaissances sur cette notion fondamentale du droit qu'est la liberté[3].
Benjamin ZEBAZE
(Challenge Hebdo)
[1] Voici les sujets tels qu'ils nous ont été communiqués par le Pr A. Kom lui-même.
LF3 Spécialisation Session 1989 juin et septembre
1er Sujet
"Ce monde-ci est fou. Il n'y a plus que les papiers qui raisonnent, qui pensent, qui respirent. Les hommes, tous les hommes sont bouchés. Tous les cœurs. Toutes les têtes. Tous les sangs. Le seul sang qui circule c'est celui des papiers" (Sony Labou Tansi L'Antépeuple, Paris, Seuil, 1983, p.147)
Commentez à tous égards l'affirmation ci-dessus.
2ème Sujet
"La femme est un champ à cultiver ... C'est vrai. C'est un champ. Mais un champ vivant, en droit d'exiger autre chose que la fêlure systématique et semence brève" (Tahar Ben Jelloun Moha le fou, Moha le sage, Paris, Seuil, 1978, p.48)
"C'est ça votre Afrique, c'est ça vos indépendances et vos révolutions d'Afrique; tout commence par les jambes. Il faut qu'on ouvre un ministère des jambes vous y avez votre place. Toutes vous y avez votre chemin. Ici, non. Ici vous décolorez. Vous "emmochez". Des sacrées merdeuses qui vous écrivent le mot orphelin avec un f. Un f. de fou." (Sony Labou Tansi, L'Anté-peuple, Paris, Seuil, 1983, p. 63)
Commentez en les comparant les deux affirmations ci-dessus [PAGE 280]
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Examen de septembre 1989
(Cours de M. Kom : Folie et littérature)
1er Sujet
"La folie : ce mot évoque un monde trouble, les chaos d'une raison chancelante les soubresauts d'une pensée qui perd ses limites et rit trop fort ou se désespère trop mal".
(Monique Plaza, Ecriture et folie, Paris, PUF, 1986, p.5)
Commentez l'affirmation ci-dessus à l'aide d'exemples empruntés à la littérature africaine et/ou du monde noir.
2ème Sujet
"Je ne suis pas vertueux. Je hais la vertu. Mais la paresse me donne la nausée aussi." (Sony Labou Tansi, L'Anté-peuple, Paris, Seuil, 1983, p.37)
Cette affirmation de Dadou rend-elle compte de son cheminement ? La notion de vertu peut-elle être relative ? Illustrez abondamment.
[2] Sans doute une pointe d'ironie ? (N.D.L.R.)
[3] Voici deux illustrations de cette polémique selon Challenge Hebdo :
La lettre du Pr Ngijol
Monsieur le Professeur,
Au vu de vos propositions de sujets pour les examens de LMF3- Spécialisation, sessions de Juin et Septembre, dont photocopies sont ci-jointes, je me vois obligé par les devoirs de ma charge de vous demander sinon de mettre un terme du moins de donner dorénavant une orientation plus littéraire qu'idéologique à vos enseignements de LMF3-Spécialisation. En effet, nous devons éviter soigneusement dans la formation de nos étudiants toute position maladroite ou tendancieuse, susceptible de les jeter éventuellement dans les [PAGE 281] désordres.
Veuillez agréer, Monsieur le Professeur l'expression de ma considération distinguée.
Le Chef DLNA
Prof. Ngijol Ngijol
La cinglante réplique du Pr Kom
Monsieur Le Professeur P. Ngijol Ngijol,
Chef du Département de Littérature Africaine
Faculté des Lettres, Université de Yaoundé,
Monsieur le Professeur,
Je me doutais que vous vous étiez constitué délateur mais je ne savais pas encore que vous étiez passé de la constitution à l'institution. Votre lettre citée en référence, inédite dans les annales de l'Université, confirme bien des choses dont la moindre n'est pas la démence dans laquelle vous pousse votre désœuvrement et sans doute votre ignorance.
Pourquoi revenir ici sur les haines que vous et votre réseau occulte de délateurs n'avez cessé de nourrir à mon endroit depuis que vous vous êtes rendu compte que je m'inscrirai toujours en faux contre l'orthodoxie de vos méthodes de gestion du Département ? Administrer une unité académique sur la base du clientélisme, c'est-à-dire en mettant constamment de côté les enjeux pédagogiques et en suscitant quotidiennement des batailles tribales tant parmi les enseignants que parmi les étudiants, il faut le faire !
Revenons à votre lettre. Vous paraissez particulièrement outré par ce que vous appelez "orientation idéologique" d'un cours auquel vous n'avez jamais assisté. Vous vous en tenez, pour le juger à des sujets d'examen qui, je vous le rappelle, sont exclusivement constitués d'extraits d'ouvrages théoriques et/ou des récits au programme. Un universitaire qui se respecte aurait pris la peine de lire les textes avant de prononcer tout jugement. Mais je suis sûr que vous ignorez jusqu'aux couleurs des couvertures des ouvrages que mes étudiants lisent. Je vous mets au défi de tenir avec moi un débat en amphithéâtre sur le cours en question. Si seulement je pouvais savoir ce que pour vous cache le terme "idéologie" ! Mais je sais que vous ne vous souciez guère de la signification exacte des [PAGE 282] termes. Votre objectif est ailleurs.
Je me permets cependant de vous apprendre que l'histoire des idées fait partie intégrante de l'enseignement de la littérature et que, de nos jours, la littérature se décrypte à la lumière des sciences sociales, interdisciplinarité oblige. Apprenez aussi que la littérature africaine et du monde noir est née et continue de se créer dans un contexte de lutte idéologique. Le lycéen qui lit Oyono comprend aisément que l'anticolonialisme du romancier camerounais se situe dans le cadre d'un combat idéologique. Les Soleils des indépendances de Kourouma ne révèle-t-il pas une prise de position idéologique au sujet de l'appropriation de la langue française ?
Je sais combien la problématique de la littérature africaine peut être loin des préoccupations d'un professeur de grammaire et des traditions orales manifestement peu au fait des données des productions africaines écrites. En plus de vous ériger en inspecteur général d'un enseignement que vous ne maîtrisez guère, vous semblez aussi vous être institué professeur de morale, de civisme et même de patriotisme. Votre passé et votre présent sont assez parlants pour appeler quelque commentaire de ma part. Quiconque vous a vu à l'œuvre, quiconque connaît vos manœuvres sait qu'il n'y a vraiment pas plus mal indiqué pour donner pareilles leçons.
Pour vous, M. le Professeur, idéologie est synonyme de désordre ! Vous ignorez donc que toute critique est idéologique. Soupçonner un collègue dont vous essayez désespérément de ternir l'image de susciter le désordre, n'est-ce pas là une prise de position idéologique ? Sans doute obéissez-vous sans l'avouer aux principes sacrés de la culture courtisane.
Je prends cependant la liberté de vous redire que toutes mes activités obéissent à des principes pédagogiques longuement éprouvés. Je fais également partie des enseignants/chercheurs qui opèrent exclusivement au grand jour pour l'avancement de la science et la formation intellectuelle toujours plus rigoureuse de la jeunesse.
Je sais que cette transparence et cette manière d'être vous gênent bien plus que les cours que je dispense et que vous contestez aveuglément. En effet, bien avant mon arrivée au Département, des enseignements sur "littérature et idéologie" se sont offerts. Sans doute ne le savez-vous pas. En ce moment même, il existe au moins deux autres cours sur "littérature et idéologie" au sein du Département de Littérature Africaine. Comment alors expliquer que seuls mes enseignements vous préoccupent à ce point ? [PAGE 283]
Faut-il donc refaire l'historique de votre séjour à la tête de notre Département ? Qui, de la quinzaine de collègues que nous sommes, n'a pas eu à se plaindre à un moment ou à un autre des désordres dont vous êtes le principal animateur : désordre dans le choix des sujets d'examen; désordre dans l'organisation des cours et la confection des emplois du temps (souvenez-vous des échanges de lettres avec nombre de collègues en 88/89) désordre dans les collèges d'enseignement, collèges dont vous avez saboté l'organisation, passant ainsi outre aux instructions écrites de M. le Vice-Chancelier ?
Pas plus tard que le 29/09/89, vous avez fait scandale en sabotant l'oral de l'examen de 3e cycle que je présidais en salle A11. Devant une dizaine d'étudiants et d'enseignants réunis, vous avez fait montre d'un comportement des plus indignes : pour des raisons inavouables, un chef de Département refuse de prendre part à un examen et le suspend à force de tapage. Quelle image voulez-vous, M. le Professeur, M. le Chef de Département, quelle image voulez-vous que les jeunes que nous formons gardent de nous et de l'Université ? Quelle leçon de morale pouvez-vous donner après avoir passé plus d'une heure à créer un désordre inédit devant des étudiants médusés ? Tout indique d'ailleurs que vous m'avez choisi comme cible simplement pour détourner l'attention du chaos que vous avez institué au Département et pour camoufler vos errements.
M. le Professeur, que diriez-vous aujourd'hui, si l'on vous demandait d'établir le bilan de votre séjour à la tête du Département de Littérature Africaine ? Pas une fois vous n'avez obtenu un consensus de vos pairs; jamais vous n'avez appliqué sans chercher à les tronquer, les instructions des autorités supérieures; les nombreuses plaintes écrites et verbales des collègues ne vous ont pas fait changer de politique. Tout à votre tête et toujours à votre tête !
Au fait, M. le Professeur, plutôt que de vous livrer à la délation et de vous instituer censeur général, pourquoi ne pas rester sur le terrain proprement universitaire en créant au besoin un contre-concours, en organisant une conférence publique sur "l'idéologie comme source de désordre" ou en écrivant un essai sur les effets néfastes de l'histoire des idées et/ou des sciences humaines sur l'enseignement à l'université de Yaoundé ? Je vous renvoie en ce qui me concerne, à mes travaux sur le sujet, qu'il s'agisse des articles que j'ai publiés dans diverses revues depuis le Canada sur la lecture psychosociologique du texte africain ou qu'il s'agisse de mes ouvrages d'inspiration [PAGE 284] sociologique sur Himes ou sur Lamming.
L'inquisition, faut-il vous l'apprendre, appartient à l'histoire. Dans un pays en développement comme le nôtre, les tâches et les responsabilités de l'université digne de ce nom sont si nombreuses et si délicates que nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller notre temps au genre de jeu qui semble vous amuser particulièrement.
La formation intellectuelle de nos jeunes, la recherche scientifique sont choses trop sérieuses pour qu'on puisse se permettre relâchement et/ou états d'âme. Cela, je l'ai appris à dure école en Occident et en Afrique. L'audience que je crois avoir conquise auprès de mes pairs des universités à travers le monde et auprès de mes étudiants ici et ailleurs, audience qui vous agace et vous incite à poser des actes irrationnels, tend à me faire croire que je m'acquitte honorablement de mes devoirs.
J'ai la ferme conviction que les étudiants que j'ai tenus en LMF3 spécialisation, en maîtrise, en doctorat à l'Université de Yaoundé ont su apprécier la qualité de la formation intellectuelle que je leur ai prodiguée. Nombre d'entre eux sont encore là pour en témoigner et les travaux qu'ils ont produits sont eux-mêmes assez bavards. La discipline que j'exige de mes étudiants et la rigueur scientifique à laquelle je les soumets me semblent un héritage qu'ils pourront brandir honorablement partout où ils iront. Je pense pour ma part qu'il s'agit du meilleur service que nous puissions rendre à nos jeunes compatriotes et à notre pays.
Haute considération.
Ambroise Kom Professeur
[PAGE 290]