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Cameroun : Jacques Fame Ndongo, inamovible porte-voix de Paul Biya

Jacques Fame Ndongo

Thu, 10 Feb 2022 Source: Jeune Afrique

Ce ministre proche du chef de l’État, membre du bureau politique du RDPC, est un rouage indispensable du système Biya. Zélé mais avisé, il ne se risquerait pas à afficher de plus hautes ambitions.

Ce soir-là, Jacques Fame Ndongo affiche une mine grave. Il écoute, prend des notes, prononce quelques mots, puis reporte son attention sur le document devant lui. Massés autour de lui, les habitants du village d’Engom 1 sont en colère. Quelques heures plus tôt, ils ont bloqué la circulation sur la route reliant les villes d’Ebolowa et de Kribi. Ils en réclament le bitumage, promis par Paul Biya en 2010, ainsi que l’électrification de leur village.

Nous sommes le 29 septembre 2021 et la scène, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, fait jaser jusqu’à Yaoundé. Il n’est pas courant que l’on exprime ainsi bruyamment son mécontentement dans le fief de Paul Biya, dans cette région du Sud où le pouvoir ne souffre généralement d’aucune contestation et que Jacques Fame Ndongo, toujours très inspiré, aime qualifier de « socle granitique et bastion imprenable du chef de l’État ».

« Un serviteur, un esclave »

La journée a été longue, mais celui qui détient le portefeuille ministériel de l’Enseignement supérieur depuis décembre 2004 a gardé son costume trois pièces bleu qui lui donne des airs de baron tropical face à ces paysans incrédules. Ni le bruit assourdissant du générateur qui alimente l’unique ampoule de la case où se tient la palabre, ni les échanges qui se prolongent jusqu’à une heure avancée de la nuit ne semblent l’importuner. C’est lui qui a été dépêché sur le terrain pour calmer la grogne, et il prend son rôle très à cœur. Le « soldat Ndongo » est monté au front pour défendre Paul Biya. Une caméra immortalise l’instant.

L’inamovible et puissant ministre d’État, aujourd’hui âgé de 71 ans, ne rate de toute façon jamais une occasion de réaffirmer sa fidélité au président. Poussant le zèle – et l’obséquiosité, selon ses détracteurs – à un niveau rarement atteint, il avait affirmé en 2011, lors d’une interview restée dans les annales, qu’il était « une créature, un serviteur, mieux, un esclave » de Paul Biya. Un enthousiasme qui ferait presque oublier que la carrière de ce pilier du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, créé en 1985 et toujours au pouvoir) a décollé grâce à une nomination du premier président du pays, Ahmadou Ahidjo.

À la faveur du coup d’État

C’était en 1981. Après la défaite – mal digérée – du Football Canon 105 de Libreville face à l’Union sportive de Douala sur ses terres, une brouille diplomatique naît entre le Cameroun et le Gabon. Des Camerounais vivant à Libreville sont expulsés en masse et leurs biens saisis. En représailles, le président Ahidjo décide d’interdire toute exportation de vivres vers le pays voisin. Victime collatérale de ce duel, le Gabonais Jean-Paul Nyalendo, qui dirige l’École régionale de journalisme (ESIJY) dont le siège se trouve à Yaoundé, est débarqué. Il est remplacé par un Camerounais formé sur les bancs de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) au début des années 1970, et qui officie au Cameroon Tribune : Jacques Fame Ndongo.

Propulsé à la tête de ce fleuron de l’enseignement supérieur camerounais, Jacques Fame Ndongo se fait une place au sein de l’administration du pays et parmi les hommes qui comptent à Yaoundé. Ce n’est toutefois que quatre années plus tard que sa trajectoire croise officiellement celle de Paul Biya devenu, en 1982, le deuxième président du Cameroun. Cette fois encore, le contexte politique de l’époque joue en faveur du jeune Ndongo.

Après le coup d’État manqué d’avril 1984, le nouveau chef de l’État est en quête d’hommes de confiance. Le profil de ce journaliste diplômé de l’Université catholique de Lille, originaire du Sud et bulu comme lui, ne le laisse pas indifférent. D’autant plus que l’ambitieux a le bon goût de raconter à qui veut l’entendre qu’il est entièrement redevable au président depuis que ce dernier lui a porté assistance lorsqu’il soutenait sa thèse de doctorat en 1978. Paul Biya se laisse convaincre et fait de lui un chargé de mission, responsable de sa communication. Nous sommes le 31 juillet 1984, Jacques Fame Ndongo pose ses valises au palais d’Etoudi.

Formés chez les catholiques

Pendant de nombreuses années, il reste dans l’ombre. Cette position lui permet de se familiariser avec le système Biya, mais aussi d’y apporter sa touche. On lui attribue des passages de certains discours présidentiels. Ses proches rapportent qu’il aurait appris au chef de l’État à se servir d’un prompteur lorsque la télévision a débarqué au Cameroun, en 1985. « Il comprend le président. Il est capable de satisfaire ses attentes sans qu’il ne lui donne de consignes », glisse un habitué du palais. Jacques Fame Ndongo ne confirme ni n’infirme, tant que cela contribue à bâtir sa réputation de « serviteur du chef de l’État ».

Les deux hommes ont en commun d’avoir été formés chez les catholiques. Paul Biya chez les séminaristes d’Akono, Fame Ndongo chez les pères du collège Vogt, à Yaoundé. En 1966, Fame Ndongo est contraint de quitter cet établissement qui ne propose que des filières scientifiques pour rejoindre le collège des sœurs de Yaoundé (aujourd’hui connu sous le nom de collège de la Retraite) afin de poursuivre un cursus littéraire. C’est la première fois de son histoire que l’établissement accueille des garçons.

Biya et Ndongo partagent aussi un amour pour les lettres. Au collège, alors que ses camarades de classe se passionnent pour le football et d’autres loisirs sportifs, le jeune Fame Ndongo se plonge dans ses livres de philosophie. Victor Hugo et Lamartine sont ses auteurs favoris, L’Étranger d’Albert Camus son livre de chevet.

Le père Émile Leger, à l’époque chargé de catéchèse au collège Vogt, a-t-il remarqué Fame Ndongo ? Les condisciples de ce dernier se souviennent d’une phrase prémonitoire que le prélat aurait prononcée, une après-midi de 1967, en scrutant sa classe : « Je vois ici de futurs responsables de la nation ». Des années plus tard, Jacques Fame Ndongo et Rose Zang Nguele, deux des treize jeunes élèves de cette promotion, rejoindront le gouvernement. Le premier comme ministre de la Communication, en 2000, et elle comme ministre des Affaires sociales, en 1984. D’autres camarades rejoindront la haute administration, à l’instar de Jean-Marie Essono, au poste de directeur au ministère de l’Enseignement supérieur.

Idéologue du RDPC

S’il quitte en 1998 la présidence pour l’université de Yaoundé 1, dont il est nommé recteur, Fame Ndongo ne perd pas pour autant en influence. Il demeure un homme clé du système Biya. En décembre 2004, il passe de la Communication à l’Enseignement supérieur, avant d’être promu ministre d’État lors du remaniement du 4 janvier 2019. Il est aussi, depuis 2007, le « Monsieur communication » du RDPC et depuis 2011, membre de son bureau politique. Passé de l’ombre à la lumière, cet administrateur de carrière s’est mué en un redoutable bretteur. Il est aussi, aujourd’hui, considéré comme l’idéologue du parti.

À Yaoundé, il n’est pas rare de voir l’un de ses véhicules sortir discrètement de sa résidence avant le lever du jour et rouler à toute vitesse vers Etoudi. Certains le soupçonnent d’adresser des rapports quotidiens à Paul Biya, sans en apporter la preuve. Mais si le flou persiste, il ne fait aucun doute que Jacques Fame Ndongo entretient sa proximité avec la présidence.

Dans le Sud, le retrait de la vie politique de certains caciques du parti et les décès successifs d’autres proches de Biya, tels que Ferdinand Oyono, Jean Fouman Akame ou Martin Belinga Eboutou, lui ont également ouvert un boulevard. Chef de la délégation permanente du RDPC dans la région, il apparait désormais comme le patron politique de ce fief de Paul Biya. Fame Ndongo soigne aussi ses relations avec les populations, et entend bien mettre un terme au vent de contestation qui a paru se lever dans les départements de la Vallée du Ntem et de l’Océan.

Il n’a pas hésité à proposer aux habitants d’Engom 1 l’organisation de « rencontres fraternelles du Sud ». L’initiative, derrière laquelle certains ont perçu le spectre d’un repli identitaire, a été accueillie de manière très inégale à travers le pays. Mais Jacques Fame Ndongo paraît n’en avoir cure : à la mi-octobre, il est apparu dans la région en chef politique, rassemblant derrière lui aussi bien les cadres du RDPC que des acteurs clés de la société civile actifs dans la région.

Prétendant à la succession ?

Jusqu’où ira le natif de Nkolandom, ce petit village situé à la lisière d’Ebolowa ? « La politique est la gestion des vérités variables », aimait répéter Paul Biya à un visiteur régulier. Jacques Fame Ndongo, lui, se défend d’avoir une quelconque ambition. « En Afrique, on ne parle pas de la succession du chef quand il est encore en encore en activité », martèle-t-il à longueur d’interview. Pièce maitresse du dispositif politique de Paul Biya depuis bientôt 40 ans, il sait trop ce que pourrait lui couter de lorgner ouvertement en direction du fauteuil présidentiel. L’un des secrets de sa longévité au sommet de l’appareil étatique assurément.

Fame Ndongo ne manque pourtant pas d’atouts, notamment cette capacité à mobiliser les jeunes, dont il a souvent favorisé l’accès à des écoles de formation d’État. « Il a très peu de leviers à activer dans une éventuelle course à la succession, tempère néanmoins un analyste politique qui a souhaité conserver l’anonymat. Il n’a pas non plus de relais dans les milieux économiques ni d’influence dans le dispositif sécuritaire du pays, et encore moins auprès des partenaires internationaux. »

Le même interlocuteur ajoute qu’il fait partie « des ministres qui se rendent le moins à l’étranger », que ce soit pour des missions que pour leurs affaires privées. Toute sa famille est au Cameroun, son fils est sous-préfet d’Edéa, poursuit-t-il. Son avenir? il le voit au Cameroun et nulle part ailleurs. Dans son village, Jacques Fame Ndongo a d’ailleurs fait construire un centre touristique. Il y assure également les fonctions de chef traditionnel. Nul doute qu’il continue aussi d’y chanter les louanges de ce pouvoir dont il a fini par devenir la voix.

Source: Jeune Afrique