Cameroun : La fermeture d'une mosquée crée de vives tensions

La fermeture fait suite à une décision du sous-préfet

Fri, 14 Jul 2023 Source: L'Oeil du Sahel

La mosquée de Lougguéo Dubaï, un quartier de Maroua, est fermée. De même que l'école coranique qui se trouve en son sein. La fermeture fait suite à une décision du sous-préfet de l'arrondissement de Maroua 3e, signée le 22 juin 2023. Depuis lors, les fidèles musulmans n’ont plus accès à ce lieu de prière. Dans un communiqué publié le 26 juin, l'autorité administrative apporte des clarifications sur les raisons de sa décision : «Dans le souci de préserver la paix et la cohésion sociale, et compte-tenu des menaces graves à l'ordre public orchestrées par certains fidèles musulmans de la mosquée de Lougguéo Dubaï, le sous-préfet de l'arrondissement de Maroua 3e, a l'honneur de porter à la connaissance de la communauté musulmane en général, les fidèles musulmans et les apprenants de l'école coranique de la mosquée de Lougguéo Dubaï en particulier, que conformément à la décision n°018/D/K22.02 du 22 Juin 2023, ladite mosquée est fermée jusqu’à nouvel ordre. Il en est de même pour l’école coranique qui se trouve dans l’enceinte de cette mosquée», a écrit Roland Guy-Aimé Bitoumou. Non sans mettre en garde tout éventuel rebelle. «Tout contrevenant à cette décision prise fera l'objet d'une interpellation par les forces de maintien de l'ordre et traduit devant les juridictions compétentes», a-t-il menacé. Les menaces graves à l'ordre public dont fait mention le sous-préfet dans sa décision, proviennent d'une bagarre qui a éclaté au sein de la mosquée, ayant opposé un groupuscule aux partisans de l'imam Abdourahman Oumarou. Désigné par Elhadj Bakary Bouba, le lamido de Maroua, l'imam est contesté par une partie des fidèles musulmans qui lui reprochent entre autres, d'avoir modifié l’heure de la prière au profit des cours avec les apprenants de l’école coranique, insulté le muezzin, traité les fidèles des mécréants et interdit la lecture des communiqués à la mosquée. Une kyrielle d'accusations que nie le dignitaire musulman.

SOUPÇONS DE CONNIVENCE

Approché par votre journal, l'imam Abdourahman Oumarou se défend : «Ils ont dit au sous-préfet que je suis Boko Haram. Que j’interdis aux gens de faire des invocations et d’entrer avec leurs chapelets dans la mosquée. C’est faux», réagit-il. Néanmoins, l’homme reconnait avoir repoussé de 15 minutes l’heure de prière du soir, notamment les mercredis. Selon lui, cela s'est fait de commun accord avec les fidèles musulmans. «Je leur avais expliqué cela et ils avaient accepté. Mais un jour, ils sont venus me perturber avec mes élèves prétextant que c'était l'heure de la prière. Ils ont envoyé Moussa m’attaquer. Il a arraché mon livre qu’il a jeté par terre. Les apprenants voulaient riposter. Je leur ai dit non. Concernant les communiqués, je leur ai demandé de me montrer les contenus avant toute lecture. Car, si un communiqué véhicule le message de haine, je serais tenu pour responsable, en tant qu’imam. Ils ont mal interprété», se défend l'imam par ailleurs promoteur de l'école coranique logée dans l'enceinte de sa mosquée. Pour ce guide musulman, ceux qui l'attaquent sont des jaloux et des ignorants qui ne maitrisent pas la religion islamique. Issu de la confrérie sunnit, ces détracteurs sont quant à eux, des Soufit set des Chiits. Ces congrégations n'ont pas fondamentalement la même idéologie. D'où le désaccord. «Ça ne colle pas», peste Abdourahman Oumarou qui a fait ses études coraniques au Soudan. Ses détracteurs dénoncent l'antagonisme entre son comportement et les préceptes islamiques. Pour cela, ils ont saisi le lamido de Maroua pour réclamer le limogeage de l’imam. Pour voir clair dans cette affaire, Elhadj Bakary Bouba, va diligenter deux fois de suite une enquête. Il parvient à la conclusion selon laquelle le chef religieux «est accusé iniquement», et décide donc de le maintenir comme imam principal de la mosquée de vendredi de Lougguéo-Dubaï.

DÉFIANCE

Une position fortement contestée. C'est ainsi que les contestataires désignent Babarou comme leur imam, non sans avoir préalablement fait le sit-in devant la sous-préfecture pour faire entendre leur voix à l'autorité administrative. Face à cette opposition, le lamido de Maroua saisit le souspréfet pour lui signifier sa colère et sa peur. Dans la correspondance qu'il a adressée au Chef de terre, le lamido fait savoir qu’«en date du 23 mars 2023, je vous ai écrit concernant des personnes cidessous nommées : Bouba Poulo, Mamoudou Boukar, Ibrahim Abba Kaka, Kolona Yaya, Djibrilla, Mal Sali, Babarou, Moussa Ibrahim qui s’opposent à ma décision de nommer un imam à la mosquée. Des informations dignes de foi me sont parvenues à leur sujet qu’ils prennent des produits prohibés : chanvre indien, chicha, et autres», charge le chef spirituel des musulmans. Le chef traditionnel craint la mort d’homme dans cette mosquée. «Parmi eux, sieur Kolona Yaya, un militaire de l’armée qui vient à la mosquée en tenue et sème la terreur, et dit être prêt à tirer sur l’imam que j’ai désigné pour diriger la prière», enfonce-t-il davantage. Selon nos informations, le militaire en question aurait été recadré par la sécurité militaire (Sémil). Malgré cela, ses menaces ont fait peur au lamido et l'ont amené à sacrifier son imam.

VOLTE-FACE DU LAMIDO

C'est ainsi qu'il procède au limogeage de l’imam Abdourahman Oumarou. Il fait savoir sa décision au sous-préfet à travers une correspondance qu'il lui a adressée le 02 juin 2023. Dans cette missive, le lamido argumente que, «après avoir écouté les plaintes des populations du quartier Lougguéo-Doubaï au sujet de leur mosquée de vendredi, je suis parvenu à une simple réponse : désigner quelqu’un qui fait l’unanimité du quartier pour une prière apaisée». Et désigne Bakari Oumarou comme nouvel imam. Une décision qui n’est pas du gout d’Abdourahman Oumarou et ses partisans. De son côté, le sous-préfet n'a pas caché son étonnement face au volte-face du lamido. Roland Guy-Aimé Bitoumou ne comprend pas les motivations du lamido : «Je ne comprends pas comment les fauteurs de trouble d’hier sont subitement devenus des agneaux aujourd’hui», s'interroge l'autorité administrative qui a reçu le reporter. «Peut-être que le lamido a pris de l’argent pour jouer ce jeu trouble dans la religion», soupçonne un habitant de Lougguéo Dubaï. Encouragé et soutenu par ses laudateurs, l’imam destitué a fait à son tour, la sourde oreille à la décision du lamido et continuait à diriger la prière jusqu'à l'intervention du sous-préfet de fermer la mosquée. Ce qui avait provoqué la bagarre à la mosquée. «Nous l’avons interdit de diriger les prières ici. Il s’entête. C’est pourquoi nous avons décidé de le bastonner. On a bagarré. Deux personnes ont été poignardées : une dans notre camp et l’autre dans le camp de l’imam. Ce sont les policiers, sous l’ordre du délégué régional de la Sureté nationale de l’Extrême-Nord, Chetima, qui sont venus calmer la situation», raconte Aminou, fidèle musulman très remonté contre l'imam limogé. «Jusqu’à ce jour, le problème n’est pas fini. L’imam ne sort plus n’importe comment. Si on le voit, on va encore le bastonner», fulmine un autre protestataire.

Depuis le déclenchement de ce problème, la communauté des fidèles est divisée. Une frange soutient l’imam destitué, tandis qu'une autre ne veut plus le voir près de la mosquée. À Lougguéo Dubaï, la tension est actuellement vive. Avec la fermeture de la mosquée, les prières se font à l’air libre. Une situation difficile en cette saison des pluies.

Source: L'Oeil du Sahel