Après avoir indument ponctionné près d’un milliard de francs dans le compte bancaire de NB Sera Sarl, entreprise camerounaise de BTP qu’elle a mise à genoux, la banque conjugue intimidations et procédures judiciaires dilatoires pour ne pas réparer ses abus. Après l’échec d’une dénonciation calomnieuse de la promotrice de la PME au Tribunal criminel spécial (TCS), l’heure est désormais à un procès sulfureux devant un juge correctionnel. Avec l’appui discret du ministère des Travaux publics et du Fonds routier…
Ça ressemble à l’affaire de l’homme qui veut tuer son chien et qui l’accuse pour cela de rage. La Société commerciale du Cameroun (SCB Cameroun) s’emploie depuis quelques mois à obtenir la condamnation d’une de ses clientes, Mme Ndongo Séraphine Odette, gérante de NB Sera Sarl, pour «déclarations mensongères» et «faux témoignage». Ce procès, qui se fait en représailles d’un autre, aujourd’hui pendant à la Cour suprême, vise selon toutes évidences à briser l’audace d’une dame de fer, l’une des rares qui évolue dans le secteur très misogyne du BTP, pour avoir réussi à faire condamner la banque à lui verser 800 millions de francs de dommages et intérêts pour «rétention sans droit de la chose d’autrui». Et l’homme-orchestre de ce procès destiné avant tout à intimider un adversaire coriace n’est autre que Me Emmanuel Mbiam, avocat qui se présente volontiers comme un homme du sérail…
En fait, la société NB Sera de Mme Ndongo Séraphine Odette dispose depuis une vingtaine d’années d’un compte ouvert à la SCB Cameroun. Début 2017, elle avait soumissionné avec succès à un appel d’offres restreint du ministère des Travaux publics (Mintp) concernant un marché public d’exécution des travaux d’entretien courant de certaines routes dans la région de l’Est pour plus de 600 millions de francs toutes taxes comprises. Dans le cadre de cette compétition, l’entreprise avait bénéficié de de la caution de son banquier au moment de soumettre son offre. Chose curieuse, la SCB Cameroun se refusait de financer le démarrage des travaux en question dont pourtant le paiement, selon les clauses du marché, devrait atterrir dans le compte bancaire ouvert dans ses livres. Mais NB Sera se faisait aider par un autre partenaire pour sauver son marché.
Le conflit va naître entre l’entreprise de BTP et son banquier lorsque le Fonds routier fait virer, le 18 avril 2018, au titre de «l’avance de démarrage du chantier», la somme de 137 millions de francs au compte de NB Sera Sarl. La SCB Cameroun confisque cet argent sans donner d’explication au départ, bloquant ainsi le chantier, avant d’être contrainte de se libérer de la somme conséquente suite à une procédure judiciaire engagée par la société de BTP. A l’occasion de ce premier affrontement entre ces paisibles partenaires jusque-là, le banquier va informer sa cliente qu’elle est fortement endettée, raison pour laquelle l’avance de démarrage a été avalée. C’est une surprise pour l’entreprise de BTP. Dans l’ordonnance qu’il rend le 3 juillet 2018, suite à la demande de NB Sera, le juge des référés contraint la banque à reverser à l’entreprise le montant de l’avance de démarrage de son chantier, tout en désignant un expert pour déterminer le solde exact du compte bancaire de NB Sera.
Roublardise…
Si la SCB Cameroun met la somme de 134 millions de francs à la disposition de sa cliente en exécution de l’ordonnance du juge des référés, elle résiste à l’expertise du compte bancaire de NB Sera. Accrocheur et perspicace, l’expert désigné découvrira, au-delà du délai prescrit par le juge, que dans le dos de la promotrice de NB Sera Sarl, SCB Cameroun s’est injustement et voracement servi dans son compte bancaire par de nombreux stratagèmes (lire par ailleurs). Et, de toutes les façons, la dette qu’elle imputait à l’entreprise de Mme Ndongo Séraphine pour ne pas payer l’avance de démarrage était fictive. Le 11 octobre 2021, l’expert judiciaire estime d’ailleurs à près d’un milliard de francs les avoirs de la société de BTP dans son compte à la SCB. NB Sera est dès lors totalement convaincue d’être victime de vol et d’escroquerie de la part la banque. Elle va accentuer le combat judiciaire qu’elle a déjà engagé pour faire sanctionner ce qu’elle considère comme la roublardise de son banquier.
Déjà le 2 octobre 2019, elle a fait citer la banque et son DG devant le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif (CA) pour qu’ils répondent du «refus d’exécuter une décision de justice devenue définitive, rétention sans droit de la chose d’autrui et abus de confiance». Toutes ces infractions se rapportent à l’attitude de banque concernant le marché public N°254 pour lequel elle a retenu l’avance de démarrage du chantier. Après examen du dossier au vu des arguments des deux parties, le TPI va déclarer la SCB Cameroun coupable de «rétention sans droit de la chose d’autrui» et la condamner à réparer divers préjudices subis de ce fait par la plaignante dont le montant global est fixé à 253 millions de francs.
La condamnation de la banque est confirmée le 2 février 2022 par la Cour d’appel du Centre à la suite des recours de la SCB et de Mme Ndongo Séraphine. Devant cette juridiction, la banque s’abstient finalement de comparaître, mais cette défection n’arrête pas la machine judiciaire. «Il est indéniable que le fait pour la SCB de bloquer le compte de la société NB Sera dont dame Essengue née Ndongo Séraphine Odette est promotrice a eu pour conséquence l’arrêt du chantier, la démobilisation du personnel, les sabotages des engins par le personnel en grève et mécontents de leurs salaires impayés, la perte de confiance des partenaires de la société et surtout le maître d’ouvrage qui, pour un marché à livrer dans huit (8) mois depuis 2017, n’a pas été exécuté à ce jour», juge la Cour d’appel, qui arrête les dommages et intérêts à payer par la SCB à NB Sera, au regard de ce qui précède, à 800 millions de francs.
Dans la motivation (discussion) de sa décision, la Cour d’appel, comme précédemment le TPI de Yaoundé CA, a rappelé les documents présentés comme pièce à conviction par la promotrice de NB Sera pour soutenir sa plainte : «Dame Essengue née Ndongo Séraphine Odette a versé au dossier et aux débats, outre l’ordre de service N°2151 signé le 30 octobre 2017 par le ministre des Travaux publics, la notification du marché N°210/N/Mintp (…) du 30 octobre 2017 d’une valeur de 600 millions de francs, le décompte provisoire portant sur la somme de 134 millions de francs, une correspondance du directeur du Fonds routier portant sur l’avance de démarrage des travaux, un rapport d’expertise financière établi par l’homme de l’art». Tous ces documents se rapportent sans aucune équivoque sur un seul marché : «Marché N°254/M/Mintp». Or, c’est dans cette énumération que Me Emmanuel Mbiam va curieusement trouver matière à procès contre Mme Ndongo Séraphine en faisant croire qu’elle se serait prévalu d’un autre marché tombé dans le clos, le prétendu marché N°210….
Instrument de chantage…
En effet, dans la plainte avec constitution de partie civile qu’il dépose au nom de la SCB Cameroun le 19 avril 2022 devant le président du TPI de Yaoundé CA, l’avocat relève que pour parvenir à faire condamner la banque à lui verser la somme de 800 millions de francs comme dommages et intérêts, la promotrice de NB Sera Sarl «a versé au dossier et aux débats», notamment «la notification du marché N°210/N/Mintp (…) du 30 octobre 2017 d’une valeur de 600 millions de francs». Me Emmanuel Mbiam martèle dans sa plainte «qu’en vérifiant cette information au Mintp, celle-ci s’est avérée fausse». Il insiste : «En effet, le marché N°210/N/Mintp (…) du 30 octobre 2017 d’une valeur de 600 millions de francs n’existe pas». Qu’il s’agit «d’un marché fictif». Pour lui, l’évocation de la «notification du marché N°210» tel qu’écrit aussi bien dans le jugement du TPI de Yaoundé CA que dans l’arrêt de la Cour d’Appel du Centre est la base du «faux témoignage» et des «déclarations mensongères» qu’il impute à la promotrice de NB Sera.
«La SCB Cameroun porte plainte contre les prévenues (Mme Ndongo et la société NB Sera Sarl) pour déclarations mensongères, faux témoignages, délits prévus et réprimés par les articles 74(2), 74(1), 162(3), et 164 al.1, paragraphe b. La SCB Cameroun sollicite en outre la comparution des fonctionnaires chargés du suivi de l’exécution des marchés publics et de leur apurement au Mintp, qui pourront éclairer le tribunal de céans sur les déclarations mensongères et les faux témoignages de dame Essengue née Ndongo Séraphine Odette. La liste des témoins du ministère des Travaux publics (SIC) sera communiquée ultérieurement, au cas où dame Essengué née Ndongo Séraphine Odette viendrait à nier les faits», indique Me Mbiam en clôture de sa plainte, qui est en réalité un instrument de chantage, selon Mme Ndongo. Cette dernière dit être parallèlement harcelée au quartier par l’avocat qui lui promet de la briser totalement si elle ne renonce pas aux procédures judiciaires engagées contre la SCB Cameroun.
Chose curieuse, M. Onambele Cyprien, le juge d’instruction du TPI de Yaoundé CA, qui a hérité de la plainte déposée par Me Mbiam, va l’examiner avec une célérité déconcertante. Il auditionne la gérante de la société NB Sera Sarl, qui nie les accusations portées dans la plainte de la SCB Cameroun. Lors de son audition, peut-on lire dans le rapport de l’enquête judiciaire (ordonnance de renvoi), elle a affirmé être «ignorante du marché N°210/N/Mintp (…) dont la SCB Cameroun fait cas» et que «la procédure qu’elle avait initiée portait exclusivement sur le marché N°254/N/Mintp (…) dont le paiement de l’avance de démarrage a été bloqué par la société plaignante». «Elle a précisé que, de son point de vue, le N°210 serait une confusion entre les références de la notification dudit marché et celle du marché lui-même, la notification en question portant la référence N°210/N/Mintp du 31 octobre 2017», précise le juge d’instruction.
Cependant, jouant au sourd et à l’aveugle devant les déclarations de Mme Ndongo et les documents qu’elle évoque, comme c’est devenu quasiment la règle pour certains magistrats du TPI de Yaoundé CA dans certaines procédures, le juge d’instruction ne s’est pas donné la peine de confronter les parties dont les déclarations sont pourtant diamétralement opposées, afin que jaillisse la vérité. Il n’a pas pris la peine de lire la fameuse «Notification N°210/N/Mintp» datée formellement du 31 octobre 2017 et signée du «sous-directeur des marchés du Mintp» (reproduite ici par Kalara). Celle-ci se rapporte effectivement au regard de son contenu au marché N°254/M/Mintp, le seul marché évoqué par NB Sera Sarl dans toutes les décisions rendues dans le cadre du conflit qui l’oppose à la SCB Cameroun sur plusieurs fronts judiciaires.
Dénonciation au TCS
Bien que Mme Ndongo ait déclaré ne s’être jamais prévalue d’un quelconque «marché N°210» et qu’elle ait évoqué une possible confusion de la part de la SCB Cameroun sur les références de la notification du marché N°254, le juge d’instruction a orienté ses investigations ailleurs, au Fonds routier et au ministère des Travaux publics. Veut-il se donner bonne conscience ? Pour renvoyer NB Sera Sarl et sa promotrice en jugement, il va s’appuyer sur le témoignage de M. Kam Tekeu, auditeur interne au Fonds routier, et celui de M. Bahoken Valeri Lesmont, chef de la division des affaires juridiques du Mintp, qui confirment tous les deux une évidence : l’inexistence jamais contestée du prétendu «marché N°210». En moins de deux mois d’information judiciaire…
«Il y a lieu de dire charges suffisantes contre dame Ndongo Bengono Séraphine Odette et la société NB Sera, écrit le juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi, d’avoir à Yaoundé, ressort judiciaire du TPI de Yaoundé CA, courant 2021, en tout cas dans le temps légal des poursuites, par des déclarations mensongères, influé sur la conduite d’un fonctionnaire, notamment en déclarant avoir été adjudicataire du marché N°210/N/Mintp (…) du 30 octobre 2017, pourtant inexistant, lequel marché aurait été résilié du fait de la SCB Cameroun par son refus de mettre à sa disposition les fonds relatifs au démarrage dudit marché». C’est sur la base de cette ordonnance que les parties s’affrontent devant le TPI de Yaoundé CA. Et la dernière audience a donné lieu à des débats houleux le 16 septembre 2022 (lire compte-rendu).
Cette procédure judiciaire aux allures de chasse aux sorcières n’est pas la seule initiative prise par la banque pour essayer d’intimider la promotrice de la société NB Sera Sarl. En effet, profitant d’une «réquisition à personne qualifiée» adressée le 9 février 2022 au DG de la SCB Cameroun par le juge d’instruction du Tribunal criminel spécial (TCS) dans le cadre d’une enquête judiciaire concernant un ancien directeur du Fonds routier, la banque en avait profité pour savonner la planche à sa cliente. En fait, la réquisition du juge d’instruction contenait des noms de cinq individus identifiés avec précision pour lesquels il était demandé de «communiquer les historiques [des] comptes bancaires ainsi que le solde actuel de chacun, et de faire procéder sans désemparer à leur blocage».
Or, par une logique qu’on devine aisément aujourd’hui, la SCB Cameroun introduisait d’autorité le nom et les coordonnées bancaires de NB Sera Sarl dans sa réponse en date du 30 mars 2022. «Ainsi qu’il apparaît dans ledit compte, celui-ci a reçu plusieurs virements du Fonds routier du Cameroun, objet de votre information judiciaire», lit-on sur le document, qui liste huit (8) opérations d’un montant total d’un peu plus de 804 millions de francs reçus par l’entreprise de BTP. Le DG de la SCB Cameroun se montre particulièrement généreux dans son entreprise de dénonciation en révélant, au-delà de la demande du juge d’instruction, les noms de deux personnes bénéficiaires des procurations reçues de la gérante du compte pour certaines opérations… Et Me Emmanuel Mbiam qui n’est en retard d’aucun artifice pour démontrer sa capacité de nuisance va servir à Mme Ndongo Séraphine, le 1er avril 2022, un «acte de dénonciation d’information», afin qu’elle n’en ignore…
Dans sa croisade contre NB Sera Sarl, la SCB Cameroun peut compter sur l’appui discret du ministre des Travaux publics. Il y a quelques mois, saisi par un avocat de la SCB Cameroun, M. Emmanuel Nganou Djoumessi n’a pas hésité à demander l’administrateur du au Fonds routier «de bien vouloir surseoir à tout paiement de décomptes [en faveur de NB Sera Sarl] en attendant l’issue définitive de la rétractation de l’ordonnance […] rendue le 22 septembre 2021 par le TPI de Yaoundé CA», prolongeant ainsi à l’asphyxie financière de la PME savamment organisée par la banque. L’ordonnance judiciaire en question avait été obtenue par NB Sera Sarl dans une procédure ayant connu la participation du Mintp. L’entreprise de BTP, se plaignant déjà des abus de la SCB Cameroun sur son compte bancaire, avait décidé de changer de banquier. Ce conflit n’est sans doute oas à son dernier rebondissement.