Le 12 juillet 2025, une scène surréaliste se déroulait au Palais de l'Unité à Yaoundé. Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, recevait des mains de jeunes Camerounais une enveloppe contenant 40 millions de francs CFA en liquide, soit environ 70 000 euros. L'enquête exclusive de Jeune Afrique révèle les dessous de cette opération de communication qui masque une réalité plus complexe : l'instrumentalisation de la précarité économique de la jeunesse camerounaise.
Nos investigations montrent que parmi ces donateurs figuraient principalement des "bayam sellam" – ces vendeuses qui constituent l'un des piliers de l'économie informelle camerounaise –, des petits marchands de rue et même des éboueurs. Jeune Afrique révèle que cette collecte, présentée comme spontanée, s'inscrit en réalité dans une stratégie politique minutieusement orchestrée pour contrer la contestation grandissante d'une partie de la jeunesse.
Cette "caution" et "avance d'effort de campagne", selon les termes officiels, illustre selon nos sources un paradoxe saisissant : pendant que certains jeunes Camerounais dépensent leurs maigres économies pour soutenir un octogénaire au pouvoir depuis 43 ans, d'autres de la même génération organisent la résistance numérique contre ce même régime.
L'analyse de Jeune Afrique révèle que cette mobilisation financière traduit moins un soutien idéologique qu'une stratégie de survie économique. Dans un pays où l'économie informelle représente plus de 70% des emplois, le soutien affiché au pouvoir devient souvent une nécessité pour préserver ses activités commerciales. Nos sources indiquent que plusieurs de ces "donateurs" auraient été approchés par des représentants du parti au pouvoir, le RDPC, avec des promesses d'amélioration de leurs conditions de travail.
Cette mobilisation contraste violemment avec l'émergence de ce que Jeune Afrique identifie comme la "génération TikTok", incarnée par des figures comme Junior Ngombe ou Yvanna Chantal Bessecke, alias "La Périztocratie". Cette influenceuse de 23 ans, ancienne finaliste de Miss Cameroun 2023 et diplômée en sciences politiques, représente selon notre enquête une nouvelle bourgeoisie intellectuelle qui refuse les compromissions du système.
Nos investigations révèlent que cette fracture générationnelle recoupe en réalité une fracture sociale : d'un côté, une jeunesse précarisée qui négocie sa survie avec le pouvoir ; de l'autre, une élite éduquée qui peut se permettre la contestation. Cette dichotomie explique pourquoi Ferdinand Ngoh Ngoh a pu proclamer devant les caméras : "Paul Biya est le candidat de la jeunesse", sans craindre d'être démenti par les faits.
Jeune Afrique révèle que l'opération des 40 millions s'inscrit dans une stratégie plus large de mobilisation de ce que les stratèges du RDPC appellent en interne la "jeunesse économique" – par opposition à la "jeunesse politique" contestataire. Cette distinction, confirmée par plusieurs sources proches du parti présidentiel, guide désormais l'action gouvernementale en direction des jeunes.
L'exemple de Hamadou Bachirou, porte-parole du Collectif des filles et fils de l'Extrême-Nord, illustre cette tension. Jeune Afrique révèle que son refus spectaculaire de participer à l'opération "100 000 jeunes avec Paul Biya" à Maroua en avril dernier avait été précédé de plusieurs tentatives d'approche financière de la part d'émissaires du pouvoir. Son communiqué au vitriol – "Les jeunes de l'Extrême-Nord ne sont ni des instruments de mobilisation de masse, ni du bétail électoral" – prenait ainsi une dimension particulière.
Cette instrumentalisation de la précarité juvénile révèle selon notre analyse les limites du système Biya. Car si elle permet de maintenir une façade de soutien populaire, elle nourrit aussi la frustration d'une jeunesse éduquée qui dénonce cette "fossilisation politique". Yvanna Chantal Bessecke l'a résumé avec ironie sur ses réseaux sociaux, suivie par des centaines de milliers d'abonnés : "43 ans au pouvoir, un 8e mandat en perspective... et des jeunes lui offrent 40 millions pour l'encourager. Bienvenue sur le continent !"
L'enquête de Jeune Afrique révèle ainsi que derrière l'apparente unanimité de la cérémonie du 12 juillet se cache une jeunesse camerounaise profondément divisée, où la ligne de fracture ne passe plus seulement entre pro et anti-Biya, mais entre ceux qui peuvent se permettre de résister et ceux qui négocient leur survie quotidienne avec un système qu'ils ne cautionnent pas forcément mais dont ils dépendent économiquement.