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Cameroun : au cœur des assassinats et trafics d’organes humains

Le musicien détenu à la prison de Meiganga a interjeté appel

Fri, 18 Aug 2023 Source: L'Oeil du Sahel N°1834

Albert Bello aura désormais deux marques à vie sur le visage et la nuque. Les points de suture de ses blessures se referment progressivement ce 16 août. Ce conducteur de mototaxi à Meiganga, âgé de 26 ans, a échappé belle à une agression le 04 août 2023. Mais le vent de la terreur semble souffler à Meiganga, chef-lieu du département du Mbéré. Au 16 août dernier, soit sept jours après la sentence tombée le 09 août 2023 contre le nommé Aliou Garga, de son nom d’artiste Ali Square, le débat est toujours aussi vif dans les chaumières. Il y en a qui estiment que condamner à 40 ans un présumé trafiquant d’ossements humains, accusé de complicité d’assassinat, c’est insignifiant ; ils auraient souhaité la prison à vie ou la condamnation à mort. D’autres par contre, préfèrent ne pas se prononcer, laissant transparaître une once de compassion pour Ali Square, connu comme artiste musicien dans la ville de Meiganga.

De sources concordantes, le musicien détenu à la prison principale de Meiganga, après sa condamnation le 09 août dernier, a interjeté appel le 10 août 2023, par le biais de son avocat, Me Kassiya. Le célèbre avocat basé à Ngaoundéré reste convaincu de la non-implication de son client Ali Square dans cette macabre histoire de trafic d’ossements humains. «Ce qu’il faut comprendre est que Ali Square n’est pas impliqué dans cette affaire. C’est un montage. Le père de l’enfant dit que trois jours après la fête ou le jour de l’assassinat, Ali Square est à Ngaoundéré depuis 14h. Il a fait une prestation avec un certain monsieur à Dibi ; on a vu la vidéo où ils étaient en train de prester. Le lendemain, Ali Square était reçu par un autre monsieur au bar laitier à Ngaoundéré. Il n’était pas à Meiganga. Et le listing d’appels ne révèle aucunement qu’Ali Square était à Meiganga», plaide l’avocat. Il reste que tout part de la disparition du petit Aliou, 7 ans. Il est enlevé à la sortie de la mosquée au quartier Sabongari, trois jours après la fête du Ramadan. Le 15 avril 2023, son père dépose une plainte contre inconnu pour signaler la disparition de son fils. L’enquête est ouverte et suit son cours. Quelque temps après, le corps d’une petite fille nommée Aissatou est découvert dans un sac dans le même quartier.

Il est constaté qu’après avoir été enlevée, elle est violée et cruellement sodomisée, puis assassinée. Entre temps, le père du petit garçon reçoit un coup de fil. Son interlocuteur, par une approche terrifiante, lui annonce qu’il va réserver le même sort au petit Aliou comme à la petite Aissatou. «Il a appelé le papa du petit garçon plusieurs fois, lui demandant de l’argent. Il a demandé 500 000 FCfa. Le papa a essayé de l’amadouer, de négocier, lui faisant savoir qu’il ne peut avoir 500 000 FCfa, mais peut se débrouiller à lui trouver 200 000 FCfa», révèle une source. Le père chagriné a au moins le réflexe d’avoir à nouveau recours à la gendarmerie. Le numéro qui le contacte est tracé et la personne est retrouvée dans la ville de Tibati, département du Djérem. Il s’agit du nommé Mohamadou Nassirou. Il est arrêté, ramené et placé en garde à vue à Meiganga. Au départ, Mohamadou Nassirou clame son innocence. Il est déféré à la prison principale de Meiganga et une information judiciaire est ouverte. Après quelques mois en prison, Mohamadou Nassirou décide d’avouer les faits.

«Il a confié au régisseur qu’il a tué le petit garçon, mais pas parce qu’il le voulait. Il a dit avoir été payé par Aliou Garga, plus connu sous le nom d’artiste Ali Square. Il a dit qu’Ali Square a un studio de musique dans lequel il allait souvent. Et que c’est dans le cadre de leurs causeries qu’il lui avoue que ce n’est pas la musique qui lui donne de l’argent ; qu’il vend des ossements humains. Il lui dit que s’il lui ramène un petit garçon, il va lui donner 10 millions FCfa. Mohamadou Nassirou dit qu’au début, il a refusé, mais que sur insistance d’Aliou Garga, il a décidé de passer à l’acte. Et ayant des antécédents avec le père du petit Aliou, il a enlevé ce dernier, l’a amené dans sa chambre», relate une source. Les déclarations de Mohamadou Nassirou sont pour le moins effroyables sur la manière dont il a ôté la vie au petit Aliou. Il est manifestement pris de remords et préfère s’enfuir, laissant le corps de l’enfant dans un sac qu’il place dans une armoire. Mais ce sont ces déclarations, quand il se retrouve entre les mains des enquêteurs, qui mènent à l’arrestation d’Ali Square. Aliou Garga est donc arrêté, déféré, inculpé et placé en détention. Ce dernier soutient ne pas connaître Mohamadou Nassirou et dit être victime de jalousie. Il affirme même n’avoir pas été présent dans la ville de Meiganga le 11 avril 2023, ayant fait un déplacement à Ngaoundéré. «Mais il y a deux faits troublants dans cette affaire.

Quand Mohamadou Nassirou est arrêté et gardé à vue, Aliou Garga est allé lui rendre visite. Il lui a apporté à manger et à boire. Ce geste-là a beaucoup attiré l’attention des compagnons de Mohamadou qui lui ont recommandé de ne pas boire et manger ces provisions, car certainement empoisonnées. D’ailleurs, quand Aliou Garga apporte ces provisions, il ne veut pas goûter comme cela est exigé, prétextant être en période de jeûne. C’est le premier élément troublant. Maintenant, tout au long des débats, Aliou Garga soutient mordicus ne pas connaître Mohamadou Nassirou. Pourtant, ce dernier décrit au détail près le studio de musique d’Ali Square et son véhicule dans lequel il porte des sacs “banco” dans la malle.

Et le soir du 11 avril 2023, il est établi qu’Aliou Garga était bel et bien dans la ville de Meiganga. De fait, il a trois numéros de téléphone et les trois sont signalés par le relais implanté dans la ville. Le plus troublant, c’est qu’on n’a jamais retrouvé, jusqu’à ce jour, le corps du petit Aliou. La petite Aïssatou, au moins, bien que déchiquetée, a été retrouvée et sa famille a vu la dépouille», confie une source

UN FAR WEST ?

Les enquêteurs n’auront donc pas désarmé. Ils ne se sont pas simplement fiés aux seules déclarations de Mohamadou Nassirou, ayant pu établir de nombreuses coïncidences troublantes. Selon toute vraisemblance, la pomme de discorde entre Aliou Garga et Mohamadou Nassirou part de ce que «le jour où Mohamadou est allé remettre le corps du petit garçon à Aliou, il ne lui a remis qu’une somme de 100 000 FCfa sur les 10 millions conclus à la base, promettant de lui remettre le reste après. Il dit que quand il a appris que ça chauffait dans la ville de Meiganga, il est allé se réfugier à Tibati. Et il dit qu’il a appelé le père du petit Aliou quand on a retrouvé le corps de la petite Aissatou parce qu’il avait besoin d’argent pour quitter le pays», explique une source. En tout cas, le tribunal de Meiganga a infligé une peine de 40 ans à Aliou Garga dit Ali Square, et 30 ans à Mohamadou Nassirou.

«On peut se poser la question de savoir pourquoi Aliou a pris une peine plus forte que Mohamadou. Cela s’explique par l’article sur la complicité», explique une juriste. Ainsi, le juge estime que Mohamadou Nassirou n’avait réellement pas un mobile pour tuer le petit garçon. Il n’aurait agi que sur instruction d’Aliou Garga. Entre disparitions de personnes, découvertes macabres et agressions diverses, la ville de Meiganga s’apparente à un far west. Leaders d’opinion et autorités diverses montrent particulièrement leur anxiété face à la recrudescence des actes de criminalité dans la ville.

Il y en a qui voient comme cause de ce phénomène la levée de la barrière de contrôle mixte à l’entrée de la ville de Meiganga. D’autres dénoncent le manque de collaboration d’une frange de la population qui connait très bien certains malfaiteurs, mais s’abstient de les dénoncer aux autorités compétentes. De mémoire, le nommé Hamadama Zatao, porté disparu depuis près de deux ans. On ne l'a jamais retrouvé, encore moins sa dépouille. Ces derniers temps, Meiganga vit au rythme des agressions et assassinats, quand ce ne sont pas des découvertes de corps mutilés.

Source: L'Oeil du Sahel N°1834