Marie, elle, a suivi le chemin inverse. Son fils a commencé par l’école publique. Beaucoup plus par manque d’argent que par confiance à cet ordre d’enseignement. Mais elle a dû, après la maternelle, la Sil et le cours préparatoire, opter pour une école privée. Elle avait l’impression que son fils n’était pas suffisamment encadré. Elle était obligée, en plus, de payer les enseignants de son fils pour des cours d’appui. Et même lorsque son fils est arrivé au terme du cycle primaire, elle a préféré qu’il postule pour un collège privé plutôt que pour l’un des lycées de la ville de Yaoundé.
Au Cameroun, les parents préfèrent pour leurs enfants l’enseignement privé. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. L’école publique a connu meilleure presse. Sa désaffection aujourd’hui par les parents relève-t-elle d’un simple caprice, d’une erreur d’appréciation ou alors l’école publique a-t-elle véritablement reculé ? « C’est évident », répond Thobie Mbassi Ondoua, professeur de lycées à la retraite. « On peut le voir à travers l’explosion en nombre des collèges privés. Dans les villes de Douala et de Yaoundé, le nombre de lycées est largement inférieur au nombre de collèges privés. Et lorsque l’on regarde le classement de l’Office du baccalauréat, ceux qui font les meilleurs scores sont les établissements privés. L’école publique a reculé », constate-t-il. Et cette désaffection de l’école publique n’est pas que le fait du parent ordinaire. « Tous ceux qui ont un peu de moyens envoient leurs enfants au privé, y compris les dirigeants des établissements publics. Même ceux qui sont en charge du service public ne font plus confiance à l’enseignement public. Aucun ministre n’a son enfant au public », poursuit Thobie Mbassi Ondoua.
Le prestige que revêtaient autrefois les lycées a n’est plus qu’un lointain souvenir. « Finalement les grands lycées de référence avec des enseignants de réputation ont disparu au profit d’une multitude d’établissements qui rivalisent de médiocrité. Assez ironiquement, ce sont les établissements privés, confessionnels ou même laïcs qui, en dépit de la modestie des moyens mis en œuvre, semblent faire courir élèves et parents. Même les établissements leaders au lendemain de l’indépendance ont presque tous sombré dans l’anonymat et la médiocrité, victimes du nivellement par le bas », écrit Ambroise Kom, enseignant.
Marchandise
Pour Thobie Mbassi Ondoua, deux principales raisons expliquent le recul de l’enseignement public. La première est le sous-financement. «Depuis un certain nombre d’années, au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (Omc) on tente d’inscrire l’éducation parmi les marchandises. L’enjeu est que dès que l’éducation est considérée comme une marchandise, elle ne relève plus du service public. Comme il y a des résistances, avec la complicité des Etats, on baisse la qualité de l’enseignement public», explique-t-il. Et la baisse de la qualité de l’enseignement se fait principalement à travers la baisse des subventions allouées aux établissements publics : «Un établissement qui recevait 16 millions de Fcfa se retrouve avec 600 000 Fcfa. Il faut puiser dans les réserves pour fonctionner. Désormais ce sont les parents qui font tourner l’enseignement public. En dehors des salaires des enseignants, ce sont les parents qui financent maintenant les établissements publics».
Les questions de gouvernance expliquent également, pour Thobie Mbassi Ondoua, la perte de vitesse de l’enseignement public. Et celles-ci se manifestent à plusieurs niveaux. Au niveau des promotions dans les établissements qui reposent souvent sur des bases subjectives plutôt que sur des critères de compétences. Les dirigeants que l’on nomme ainsi, sur des bases familiales ou financières, ne peuvent pas contribuer à un enseignement de qualité : «On ne les place pas pour faire rayonner l’établissement, c’est une rente qu’on leur donne ». La gouvernance intervient également au niveau de la discipline. « Dans les établissements privés, il y a une discipline qui s’applique aussi bien au fils du ministre qu’à tout autre élève. Dans un lycée, lorsqu’on renvoie un fils de ministre, on appelle le proviseur pour lui demander de reprendre l’enfant. A force de subir de telles humiliations, on préfère laisser faire. On a transformé les établissements publics en écuries », ajoute l’enseignant à la retraite.
Comme autre raison au recul de l’enseignement public, Ambroise Kom a évoqué la création en grand nombre de lycées : « La démultiplication des établissements scolaires, surtout des lycées, est certes une mesure que ses initiateurs ou même certains utilisateurs peuvent considérer comme un facteur de progrès. Mais à de nombreux égards, le foisonnement des établissements a obéi à des facteurs électoralistes et ne s’est presque jamais fait pour des raisons d’efficacité ».