La localité accueille des hommes et des femmes de plusieurs nationalités, adeptes de la magie, du mysticisme et de la sorcellerie, qui proposent la réussite par des voies obscures.
Une influence satanique règne dans les airs de Kyé-Ossi…!» Tels sont les propos de Hervé N. Fonctionnaire d’État dans la ville du département de la Valléedu-Ntem dans la région du Sud du Cameroun depuis 2015, Hervé N. connait tous les contours de la ville aux trois frontières. À l’écouter, la vie et les affaires de la majorité de la population sont gérées, voire influencées, par les pratiques de sorcellerie, de magie et de spiritualité. «Ici, c’est le sport favori des hommes et des femmes qui veulent émerger dans les affaires», souligne-t-il. Pour lui, cette ville d’échange de biens et des personnes est également «une ville d’intégration des pratiques mystico-spirituelles de divers horizons». Et de poursuivre:
«Cela est simple à concevoir: parce que Kyé-Ossi est une ville cosmopolite essentiellement pour les affaires, donc, les hommes et les femmes, de différentes tribus du Cameroun, de différentes nationalités des pays de la sous-région, importent leurs culturelles traditionnelles et procèdent, sans retenue, aux pratiques de sorcellerie et de magie». La présence de Salif dans la ville frontalière au Gabon et à la Guinée Équatoriale justifie les propos de Hervé N. Originaire de l’Extrême-nord du Cameroun, Salif réagit avec fougue: «…Quoi?... KyéOssi?... Kyé-Ossi?... Ça ne blague pas! Ma marchandise finissait dans ma boutique sans que je ne voie la recette avec mes yeux! J’ai compris qu’il fallait que j’utilise les herbes et les écorces de chez moi, voilà comment je suis resté en vie ici, voici dix ans déjà».
À fis de la République Centrafricaine n’est pas en reste. Il a aussi importé des pratiques magico-traditionnelles centrafricaines au Cameroun. «Je suis arrivé ici avec mes écorces, je les ai toujours avec moi, je les consomme tout le temps et mes affaires marchent», avoue-t-il. Quant à Boubé Kabako, «le docteur naturopathe», venu du Niger pour participer à la 14ème édition de la Foire transfrontalière annuelle d’Afrique centrale (Fotrac), tenue du 20 au 30 juillet 2023, «je suis venu promouvoir et vulgariser «la médecine traditionnelle nigérienne» à base d’argile, des racines, des écorces et des plantes».
Il s’en vante d’ailleurs: «en matière de pharmacopée traditionnelle, nous sommes les meilleurs… Même les envoûtements et les sors lancés, je règle le problème… Les gens n’ont qu’à venir découvrir». Il dit s’engager, vu la circonstance, «à soigner gratuitement» pour démontrer les vertus de la culture traditionnelle nigérienne en particulier et africaine en général. «S’il y a des gens qu’ils veulent des chances, qu’ils viennent les prendre. J’ai tout: la chance pour les affaires, le mariage, la réussite dans la vie et dans les affaires…», confesse-t-il. Un gendarme en service dans la ville frontalière témoigne qu’«à la brigade, ils sont constamment confrontés à gérer des problèmes où les victimes disent avoir subi des tours de magie ou de sorcellerie… Et lorsque des enquêtes menées sur les faits que nous présentent les concernés nous conduisent aux crimes, la procédure est mise en place pour envoyer les coupables en prison». L’homme en tenue informe qu’«ils sont nombreux, de différentes tribus et nationalités, «ces sorciers», dans la prison d’Ambam», ville située à environ 30 kilomètres de KyéOssi et chef-lieu du département de la Vallée-du-Ntem. Pratiques Arnold K., fonctionnaire, affecté dans cette ville frontalière depuis l’année 2019, raconte que ses premières nuits étaient agitées par des faits insolites. «Il y avait des bruits bizarres sur la toiture de ma maison…
On entendait des voix qui résonnaient bruyamment et qui disparaissaient aussitôt qu’on les percevait», relate-t-il. Fervent chrétien catholique, le ressortissant de la ville balnéaire de Kribi dit avoir pu trouver des astuces «pour chasser «les sorciers» de son camp d’habitation». Première astuce: «j’ai demandé à abattre le grand palmier qui se trouvait dans ma cour, car c’était là leur aéroport». Mais, à maintes reprises, des abatteurs professionnels ont décliné l’offre, craignant pour leur vie. «Tout le monde me disait qu’il fallait avoir quatre yeux pour abattre ce palmier… et il fallait d’abord le faire mystiquement. Mais moi, «fils des eaux de Kribi», j’ai décidé de mener le combat à la manière de mes ancêtres…», relate-t-il. Les explications sur les actions entreprises pour «abattre mystiquement» ce palmier révèlent d’un véritable film nocturne dont les actions sont mystérieuses, épiques, accompagnées d’hyperboles surdimensionnées. «Puis, nous avons déraciné l’arbre… en plein jour… C’était du venez-voir…», narre-t-il. Deuxième astuce: «j’ai demandé qu’on extrait son nectar pour en faire le «matango»… et je l’ai consommé surtout avec les natifs d’ici».
Certainement, cette consommation s’est faite mystiquement au préalable, dans tous les cas, «voici quatre ans, je suis là et en bonne santé… Contrairement à ce que les gens disaient qu’il m’arriverait malheur», souligne victorieusement «le tradi-praticien», non sans dire qu’il a «embrouillé les sorciers en semant la confusion parmi eux». Il argumente: «j’ai mis de la peinture dans mon camp pour qu’ils ne reconnaissent plus jamais leur aéroport mystique». C’était là la troisième astuce «qui a été le dernier coup de massue». Le Kribien ajoute que tout cela a eu des conséquences quelques jours et des mois plus tard: «des gens sont morts de causes mystérieuses… Un est allé se jeter dans la rivière Kyé, un autre est allé dans le fleuve Ntem… d’autres par des accidents rocambolesques». D’après son expérience, «la plupart des sorciers sont des jeunes, natifs de Kyé-Ossi. Ils ont tous la même taille, entre 1 mètre 50 et 1 mètre 60, ils ne font rien en longueur de journée, leur seul activité c’est la sorcellerie».
Initiation
Anne Medou, Bulu d’Ebolowa au Sud du Cameroun, 32 ans, ne cache pas ses exploits de pratiques magicomystiques au Cameroun, au Gabon et en Guinée Équatoriale. Elle dit être initiée au rite Bwiti avec l’Iboga à Bitam au Gabon, il y a de cela trois ans à peine. «J’ai acquis le pouvoir de charme et de séduction pour contrôler les hommes», affirme-t-elle. La femme Bulu confirme qu’elle a déjà usé de «ses pouvoirs pour envoûter les hommes» afin d’avoir tout ce dont elle a besoin. Son expérience débute un mois après son initiation à Libreville au Gabon. «Un homme m’a dit être tombé amoureux de moi.
Il m’a hébergé, nourrit et me donnait de l’argent sans compter… En même temps, j’ai rencontré d’autres… Et j’envoyais des millions de francs CFA à ma famille et à ma mère pour s’occuper de mes enfants». À en croire Hervé N, c’est ainsi la vie des filles de Kyé-Ossi qui pratiquent la magie. «Elles le font pour devenir de grandes prostituées et gagnent par la suite beaucoup d’argent qu’elles mettent dans des tontines. Elles cotisent des centaines de mille chaque semaine et ne vivent que de fêtes», confie-t-il. Il avoue par la suite que, «avant que la Guinée Équatoriale ne ferme ses frontières, il y avait des cohortes de prostituées déjà initiées à ce rite d’Iboga qui arrivaient chaque jour à KyéOssi pour procéder aux pratiques magico-spirituelles».
Voyage astral
Après le Gabon, Anne Medou a d’autres projets et doit les réaliser: «les esprits de la forêt me montrent tout le temps que je suis en Europe». Elle séjourne donc au Cameroun pour mieux se préparer dans «cette aventure qu’elle voit tout le temps en esprit». Le rite Bwiti, d’après la dame, la connecte en tout temps avec les esprits de la forêt. Une fois qu’elle consomme une petite quantité de poudre de l’arbre Iboga, «la porte du monde des esprits m’est ouverte». Chaque nuit, elle va dans la forêt, consommant la poudre de l’Iboga, pour «causer avec les esprits de la forêt» afin de «mieux voir clair» sur son futur.
Après avoir passé près de deux semaines de pratiques magico-spirituelles à KyéOssi, la jeune dame Bulu a eu enfin «des réponses concernant son aventure». Elle a rencontré un monsieur qui lui a proposé de lui rendre visite à Malabo en passant par Bata en Guinée Équatoriale. «Il m’a demandé d’aller chercher un visa de sortie au commissariat de la frontière…», narre-t-elle, tout en soutenant qu’elle a dû faire au préalable des lavements avec des plantes et attacher la poudre de l’Iboga comme talisman autour de sa taille. «…Arrivée à la frontière, le policier camerounais ne m’a rien demandée et m’a signée un visa de sortie», avoue-t-elle. Étant confiante en «ses bains et prières» pour que la route lui soit fluide, elle s’en va traverser la frontière Cameroun-Guinée Équatoriale sans difficultés:
«j’ai seulement regardé un policier équato-guinéen droit dans les yeux et je lui ai dit tout simplement que je veux passer de l’autre côté. Il m’a prise par la main, puis m’a emmenée jusqu’au carrefour où on prend le taxi pour l’agence Kassav d’Ebibeyin». Tel qu’on connait la Guinée Équatoriale, réputée difficile pour les étrangers de circuler librement à l’intérieur de son territoire, surtout sans papiers, la Camerounaise dit qu’elle n’a pas été inquiétée quand elle s’est faite identifiée par un policier, à qui elle a avoué qu’elle n’avait pas de papier. Partant d’Ebibeyin, elle parcourt près de 247 kilomètres, pour joindre Bata, sans être inquiété. «Dix-huit postes de contrôle. J’ai pris la peine de compter. J’ai passé une nuit à Bata et le lendemain, je suis montée dans un bateau pour Malabo. Et là, je ne sais pas comment le voyage a été géré financièrement. Je sais seulement que je suis arrivée à Malabo».
À peine deux semaines passées dans la capitale de la Guinée Équatoriale, l’aventurière avoue qu’elle s’est retrouvée associée à d’autres réseaux magico-spirituels dont les pratiques l’ont amené à prendre un vol pour l’Europe, avec «son ami». Aux dernières nouvelles, Anne Medou serait actuellement à Hendaye, commune française du département des Pyrénées-Atlantiques, au Sud-ouest de la France ; c’est la dernière ville côtière avant l’Espagne. À l’en croire, ses exploits proviennent de son initiation au rite Bwiti «qui m’a permis d’aller dans le monde des morts pour rencontrer mes ancêtres qui m’ont donnée le pouvoir d’arranger ma vie», relate la Camerounaise.