Avant sa mort en exil, l'ex premier président Ahmadou Ahidjo a eu regretté son erreur d’avoir choisi Paul Biya comme successeur à Etoudi. Il n'a plus reconnu son dauphin avant son départ du Cameroun.
C’était le 5 Mars 1986 à Paris, deux ans après l’échec du coup d’État et sa condamnation par contumace par Paul BIYA, que le premier président du Cameroun, Ahmadou AHIDJO accordait une interview au journal Afrique-Asie. Au cours de cet entretien, il regrette avoir laissé le pouvoir à son successeur et dévoile les subterfuges usés par ce dernier pour conserver le fauteuil présidentiel.
AHIDJO le 5 Mars 1986 à Paris
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie de votre aimable attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions si vous en avez à me poser.
<< Vous me pardonnez de retenir un peu longuement votre attention. Je voudrais vous parler le plus simplement possible de mon pays, le Cameroun ; et de ce qui s’y passe actuellement et dont les échos vous parviennent filtrés et déformés.
La grande mascarade qui vient de s’y dérouler, abusivement appelée « Procès », ne mériterait aucun commentaire, tellement les faits parlent d’eux-mêmes, accusent et condamnent ceux-là mêmes qui se voulaient les accusateurs, et les mensonges officiels ne risqueraient d’abuser quelques hommes de bonne foi et une opinion publique à qui, je le pense, la vérité est due.
La mascarade en question s’articule autour d’un objectif principal et central : atteindre Ahidjo dans sa réputation, dans son honneur, dans ses biens. Pour y parvenir et mobiliser l’opinion intérieure et internationale dans le sens souhaité, les apprentis sorciers qui mènent la danse ont fait une trouvaille, malheureusement pour eux, vieille comme le monde : ils ont inventé un complot.
Partant de certains faits vrais, absolument légaux et parfaitement justifiés tels que: réunion des ministres mécontents, et pour cause, comme nous le verrons plus loin et réunion d’officiers du Nord-Cameroun, dont nous parlerons tout à l’heure et se servant de deux membres du personnel attachés à mon service, deux officiers, le commandant Ibrahim Oumarou et le capitaine Salatou Adamou qui, ayant été arrêtés, ont subi des pressions, des sévices, des tortures inavouables.
Le pouvoir a cru qu’il tenait en ses mains les moyens de parvenir à ses fins. Sûr de lui, il a sous-estimé et tenu dans le plus grand mépris, l’intelligence du Camerounais et celle de tous ceux qui nous observent. Comment expliquer autrement le caractère sommaire, artisanal, incohérent et inepte de la construction mise sur pied ?
Outre votre serviteur et les deux officiers dont je viens de parler, les personnes les plus visées telles que Monsieur Bello Bouba Maïgari, ancien Premier ministre, Monsieur Maikano Abdoulaye, ancien ministre des Forces armées, Monsieur Ibrahim Wadjiri, ancien délégué général de la Gendarmerie nationale, ont fait justice, dans leurs déclarations devant le tribunal spécial au cours du procès des accusations portées contre eux. Je n’y reviendrai d’un mot au cours de ce propos que pour la bonne intelligence des faits.
Avant de sombrer dans le délire actuel et d’en arriver au point d’orgue que constitue le soi-disant procès, le pouvoir avait préparé le terrain: insinuations de rumeurs de toutes sortes, mensonges éhontés, ont été déversés à flots sur le peuple camerounais: j’aurais été acculé à la démission de mon poste de président de la République par des médecins qui m’auraient induit en erreur en agitant l’épouvantail d’une maladie extrêmement grave ne me laissant aucun autre choix.
Je me serais aperçu par la suite que je n’étais nullement à l’article de la mort et du coup, j’aurais vivement regretté mon départ et nourri le projet de revenir au pouvoir. A de telles stupidités, que voulez-vous que je réponde? Aucun médecin français ou étranger ne m’a proposé, ni suggéré, ni recommandé de démissionner, aucun. II m’a été prescrit, c’est vrai, de modifier mon rythme de travail, de réduire celui-ci pendant quelques temps afin de prendre un repos nécessaire, réparateur du surmenage qui m’avait fatigué. J’ai pris moi-même et tout seul, la décision de démissionner parce que je crois que le pouvoir n’est pas un apanage personnel, mais un service de l’Etat et que l’on ne doit pas s’y accrocher envers et contre tout, alors même que l’on n’éprouve, du point de vue de la santé, des difficultés, celles-ci fussent-elles curables et passagères.
Les miennes n’étaient pas insurmontables. Des nombreux chefs d’Etat sont encore en exercice dans le monde, sans préjudice pour leur pays, qui sont bien plus malades que moi. Je pensais simplement que 25 ans à la tête du Cameroun m’autorisaient à croire et à dire que j’avais fait de mon mieux, suffisamment servi mon pays, pour aspirer au repos. Je le pensais d’autant plus qu’au moment de démissionner, le Cameroun était un pays uni, en plein progrès et bénéficiait d’une situation économique et financière enviable si on le compare à celle de nombreux Etats d’Afrique et même d’ailleurs.
Je vous prends à témoins, Mesdames, Messieurs, de ce que j’ai laissé un Etat qui était l’un des rares, en Afrique francophone, dont le monde entier saluait la situation saine, gage de nombreux progrès dans un monde où le marasme économique et les difficultés financières étaient très répandues et ; si tous les Etats n’en mourraient pas, tous étaient durement frappés.
Une délégation du comité central de l’UNC dont Monsieur Paul Biya faisait partie, est venue me supplier de revenir sur ma décision alors qu’elle n’était pas encore rendue publique. Cette délégation pensait que le travail du gouvernement pouvait être organisé de telle sorte que pendant le temps nécessaire, je puisse me reposer davantage, et refaire mes forces. Ce qui évidemment était tout à fait possible et ne faisait aucun problème. J’ai pris ma décision, comme le dictait ma conception du service de l’Etat au niveau où je l’exerçais.
Il y aurait un compte secret en Suisse ouvert au nom du président de la République du Cameroun où seraient versés les redevances et revenus provenant du pétrole de notre pays. J’ai le droit d’être indigné ! Non seulement je m’inscris en faux contre un tel mensonge qui ne vise qu’à me salir mais je mets au défi quiconque de prouver une telle accusation. Si un compte secret a été ouvert en Suisse au nom du président de la République, il ne peut l’avoir été qu’après ma démission. D’ailleurs, si c’était vrai, un compte ouvert au nom du président de la République du Cameroun serait automatiquement tombé sous la responsabilité de mon successeur. Par contre, ce qui est vrai, c’est que les recettes pétrolières étaient pour partie budgétisées et pour partie hors budget, ce, conformément à une loi votée par l’Assemblée nationale.
J’avais pris cette décision que tout le monde approuvait uniquement par souci d’éviter qu’au Cameroun, ne naissent un climat de faillite et de démobilisation préjudiciable au développement et de surprises désagréables que réservent parfois les fluctuations des prix, comme cela s’est vu dans la plupart des pays pétroliers. Les recettes pétrolières étaient alors gérées non pas par le président de la République, mais par la société des Hydrocarbures dont le directeur est, à ma connaissance, toujours en place. Le président du conseil d’administration de ladite société n’étant autre que le secrétaire général de la présidence de la République en l’occurrence M. Samuel Eboua de mon temps. Ce dernier, dont je connais l’intégrité morale, contrôlait régulièrement l’usage de ces recettes. Lesquelles étaient gérées en partie par la Banque Morgan aux Etats-Unis, en partie par la BNP en France et par la Bicic pour ce qui est au Cameroun. Tout cela était parfaitement connu de mes principaux collaborateurs, en particulier du premier d’entre eux, M. Paul Biya. Dans ces conditions, vous comprendrez mon indignation devant les villes calomnies qu’on distille actuellement.
Des hommes d’affaires peu scrupuleux auraient bénéficié de mon soutien pour de prêts bancaires importants qu’ils se sont peu souciés de rembourser.
Tous mes anciens collaborateurs, à commencer par M. Paul Biya, savent qu’il n’en est rien. Ayant appris que des trafics malsains se développaient entre les banques et certains affairistes, j’avais convoqué plusieurs mois avant ma décision, une importante réunion regroupant autour de moi et en présence du ministre de la Justice, tous les responsables des banques établies au Cameroun. Ce, pour faire toute la lumière sur les bruits que j’avais perçus. Nombre des personnes présentes à cette réunion se trouvent aujourd’hui aux côtés de M. Paul Biya. A commencer par M. Etienne Ntsama, actuel ministre des Finances et M. Sadou Hayatou, actuel ministre de l’Agriculture, alors directeur de banque; tous deux assistaient à la réunion dont je parle.
Tous peuvent attester que je leur avais posé publiquement la question de savoir si une seule fois le président de la République ou un de ses représentants étaient intervenus auprès d’une banque en faveur d’hommes d’affaires, qu’il soit du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. Ayant tous répondu par la négative, j’avais alors donné l’ordre à tous les banquiers présents de poursuivre les débiteurs auprès des tribunaux et j’avais dit au ministre de la Justice de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de faciliter l’action judiciaire contre tous les coupables. Et non pas seulement parmi les El Hadj du Nord comme on voudrait le faire croire…
A cela, il faudrait ajouter quelques autres balivernes que je citerais d’un mot ; vous faisant grâce d’un développement à leur sujet : ainsi serais-je parti du Cameroun le 19 juillet 1983 avec toute ma famille, emportant quatre tonnes de bagages !
Comment un départ qui a eu lieu par un vol régulier de la Camair et non pas par avion spécial, un départ donc, fait qui vu et su de tout le monde, dont on peut retrouver tous les éléments dans les manifestes de la Camair, peut-il donner chez des esprits sains, lieu à de telles affabulations ? Je me le demande. Il y en a pour qui mentir est une seconde nature.
Je serais responsable de la faillite de certaines sociétés d’Etat alors qu’attentif à leur situation, j’avais expressément confié le dossier des sociétés d’Etat à mon Premier ministre M. Paul Biya Avec mission de suivre et de contrôler leur fonctionnement de façon à rétablir rapidement la situation de celles où se posaient des problèmes.
Mais Mesdames, Messieurs, quittons tout cela qui est tout fait méprisable pour aborder, ce que j’ai dit au début de mon propos, l’objectif principal que le procès devait permettre d’atteindre. Car, après avoir semé et nourri les rumeurs, on en est arrivé à des accusations : j’aurais décidé d’institutionnaliser la suprématie du parti sut le pouvoir exécutif ; je me serais livré à la subversion en invitant les ministres du Nord à démissionner ; j’aurais ourdi un complot en vue d’éliminer du pouvoir M. Paul Biya par tous les moyens y compris la suppression physique ; je serais en fuite à l’étranger, etc.
SUPRÉMATIE DU PARTI SU L’ETAT
Il a été dit à plusieurs reprises que les raisons qui ont amené la rupture entre le président Paul Biya et moi-même tenaient au fait que j’aurai voulu mettre le Parti au-dessus de l’Etat. Je n’ai .jamais fait déposer et cela est vérifiable, aucun texte de ce genre devant l’Assemblée nationale. Au cours d’une de ces réunions, à laquelle assistait M. Paul Biya, le comité central de l’UNC, sur ma proposition, a demandé à M. Paul Biya de déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale un amendement au texte en vigueur tendant à porter de 120 à 150 le nombre des députés
Au cours de la, même réunion, il fut décidé que l’UNC serait jusqu’à nouvel ordre, le seul parti, non pas le parti unique, mais le seul parti légal au Cameroun.
C’est M. Paul Biya et le secrétaire politique du parti, M. Sabal Leco, qui ont rédigé le communiqué rendant compte de cette réunion. Par la suite, une réunion du Bureau politique eu lieu à laquelle M. Paul Biya n’assistait pas en personne. A l’unanimité, et après un débat où chacun a pu amplement exprimer son point de vue, il a été décidé que le président de la République proposerait un nouvel amendement stipulant que l’autorisation de créer un parti au Cameroun serait du domaine de la loi.
Il ne s’agissait, dans l’esprit d’aucun d’entre nous, de mettre l’UNC au-dessus de l’Etat, mais d’éviter la prolifération des micros partis et surtout la création des partis sur la base ethnique, régionale, … qui serait une menace pour l’Unité Nationale chèrement acquise et toujours à préserver. Je devais apprendre ces derniers temps que M. Paul Biya prétend s’être énergiquement opposé à la procédure qui visait à mettre le parti au-dessus de l’Etat. Il n’a pas pu le faire ni énergiquement, ni mollement, pour deux raisons :
1 – Parce qu’un tel projet n’existait pas,
2 – Parce que, comme nous l’avons vu haut, il n’était personnellement pas présent à la réunion incriminée.
Si j’avais voulu que le parti soit au-dessus du gouvernement, j’aurais pu entériner cette décision sans la moindre difficulté, avant ma décision de démissionner. Si j’ai voulu une démission par surprise avec installation de mon successeur dans les 48 heures, je l’ai fait au bénéfice exclusif de M. Paul Biya afin qu’aucune manœuvre, aucune intrigue, aucune compétition, rien, ne puisse gêner sa venue au pouvoir. Peut-être ne se sou-vient-il plus de l’état où il était quand je lui ai fait part de ma décision ni des déclarations de filial attachement et d’éternelle reconnaissance (et je ne dis que cela) dont il m’a gratifié.
Usant des prérogatives que me reconnaissait, en tant que président de l’UNC, les statuts et règlement intérieur du Parti, j’ai nommé M. Biya membre du comité central, dans le même temps, je lui ai donné tout pouvoir pour diriger le parti pendant mes absences ou empêchements. Tout cela, le jour même de ma démission et avant celle-ci
Je l’ai dit, je n’étais pas au courant. J’aurais pu, si je l’avais voulu, ne rien dire, rester encore quel9ues temps à la tête du pays, procéder à un remaniement ou à la constitution d’un nouveau gouvernement avec un nouveau Premier ministre et ne démissionner qu’après. M. Biya serait rentré dans l’anonymat d’où je l’ai sorti pour le conduire à la tête de l’Etat, sans conquérir, lui qui était inconnu de l’immense majorité ou de la quasi- totalité des Camerounais, y compris ceux de son village, lui qui n’avait jamais reçu aucun mandat du peuple, pas même celui de conseiller municipal. Le Cameroun aurait continué son chemin.
M. Biya et ses amis qui se comportent et parlent comme s’ils avaient été de tout temps des opposants déclarés et déterminés du régime que je présidais et qu’ils avaient triomphé et m’avaient chassé du pouvoir !
Je reconnais humblement m’être trompé sur la personne que j’avais estimée, protégé, comblée et portée tout seul à la tête de l’Etat. Mais cela est une autre histoire que mon propos n’est pas d’approfondir aujourd’hui. Je tiens quand même à remercier les Camerounais de s’y être trompés également en l’élisant, à ce qu’on dit avec 99,98% des voix. S’il est vrai qu’il en a été ainsi, ils me libèrent moralement de la culpabilité que je ressentais en me considérant comme le seul responsable.
Il est vrai que beaucoup disent, avec raison, que si M. Biya n’avait pas été en position de me remplacer constitutionnellement et si je ne l’avais pas installé en vertu des dispositions constitutionnelles que j’avais moi-même fait adopter, il n’aurait jamais eu la moindre chance de devenir président de la République.
DEMISSION DES MINISTRES DU NORD
M. Paul Biya, président de la République, reçoit son Premier ministre M. Bello Bouba Maïgari. Ils s’entretiennent de tous les problèmes de leurs charges. Ils se quittent apparemment en confiance et bonne harmonie, Et c’est environ deux heures après cet entretien que le Premier ministre, à sa grande surprise, apprend par la radio nationale, à l’émission de la mi-journée, qu’il venait d’être procédé à un remaniement, tel et tel autre entrant. Le Président ne lui en avait soufflé le moindre mot au cours de leur entretien. Ce remaniement touchait notamment le ministre secrétaire général de la Présidence dont les bureaux se trouvent à la présidence de la République même. Il y avait travaillé toute la matinée jusqu’à 13 heures avec le Président et, c’est quelques minutes après, en arrivant à son domicile, qu’il apprenait par la radio la nouvelle de son départ du gouvernement.
Considérant que c’était la preuve d’une absence totale de la -confiance et d’estime du Président à son endroit, Bello Bouba Maïgari a estimé que sa dignité lui recommandait oie rendre son tablier. D’autres ministres qui avaient aussi des raisons de penser qu’ils ne bénéficiaient eux non plus de l’estime, ni de la confiance du Président, voulaient également démissionner. D’où leur décision de se concerter avant de mettre leur projet à exécution, de venir m’en parler en tant que .1D-résident de l’UNC et tout de même, on me permettra de le penser, s’agissant du Cameroun et dans le contexte que voilà, un homme à qui il n’est pas impensable qu’on puisse demander conseil.
Malgré le bien-fondé de leur mécontentement, après réflexion, de Garoua où je m’étais rendu le jour même, j’envoyais un message au Premier ministre leur recommandant de ne pas démissionner pour éviter d’ouvrir une crise qui aurait pu être préjudiciable aux intérêts du Cameroun.
Aucun de ceux qui ont participé à cette réunion, même ceux qui sont des hommes de confiance de M. Biya et qui sont toujours membres de son gouvernement, n’ont pu dire autre ose. Et pour cause !
On permettra de poser quelques questions : Chef de l’Etat pendant 25 ans, venant à peine de quitter librement et volontairement le pouvoir ; Président en exercice de l’UNC, parti dont je suis le créateur, ne pouvais-je donc recevoir ou réunir telles ou telles personnes et parler avec elles des questions qui les concernent, que ces questions soient privées, politiques ou sociales ? Les ministres n’ont-ils pas le droit de démissionner ? La loi camerounaise interdit-elle ceci ou cela ? Où est le délit ? Où est la subversion ?
Quant à la réunion à laquelle ont participé certains officiers du Nord, le commandant Abdoulaye a pu affirmer devant le tribunal sans qu’on lui ait opposé le moindre démenti, que deux réunions similaires regroupant des officiers de l’ancienne province du Centre-Sud (province dont M. Biya est originaire) s’étaient tenues au bureau et au domicile du général Semengue sans qu’on y ait trouvé à redire.
Dans ce contexte, si réunir certains officiers du Nord et leur dire c’est l’essentiel de ce qui a été dit au cours de cette réunion et qui fut répété devant le tribunal spécial, si donc leur dire : «nous allons démissionner du gouvernement. C’est une affaire politique qui ne vous concerne pas, et dont vous ne devez pas vous mêler» est subversif, c’est que les mots n’ont plus de sens.
Le cas du général Pierre Semengue mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est éclairant. Le général Semengue avait ordonné, alors qu’aucune circonstance ni aucune raison ne le justifiait, une marche des troupes de différentes garnisons du territoire sur Yaoundé. Et cela, non seulement sans l’autorisation du ministre des Forces armées, mais à l’insu de ce dernier, en violation flagrante des règles impérieuses régissant tout déplacement de troupes au Cameroun.
Le ministre, informé de ce qui se passait par les autorités préfectorales des villes et villages traversés, comme elles en avaient l’obligation, eu juste le temps d’arrêter cet étrange déploiement avant l’arrivée des troupes à Yaoundé. Interrogé, le général Semengue ne sut donner aucune explication valable. Le président de la République nie avoir eu connaissance du mouvement ou l’avoir autorisé. Sur rapport de son cabinet militaire, le Président ordonna qu’il soit pris une sanction sévère et exemplaire contre le général pour faute grave. Comédie et mensonges indignes d’un chef d’Etat. La suite devait établir que le général avait bien agi sur ordre du Président. Pour apaiser sa colère et sa déception, et rattraper le «lâchage» dont il avait été l’objet, il reçut, avant même la fin des arrêts qui lui furent infligés, une promotion tout à fait inattendue pour quelqu’un qui venait d’être sanctionné pour faute grave : il fut nommé chef d’État-major général de toutes les Forces armées, poste nouvellement créé.
Pendant ce temps, le ministre des Forces armées était lui, démissionné. Curieuse promotion pour un officier général qui venait d’être sanctionné pour faute grave !
JE SUIS EN FUITE A L’ÉTRANGER
C’est le tribunal spécial qui l’affirme, sans craindre, semble-t-il, de sombrer dans le ridicule.
J’ai en effet quitté le Cameroun le 19 juillet dernier pour venir en France suivre un traitement médical et me reposer. M. Biya savait si bien où j’étais et comment me trouver qu’il m’a dépêché, pendant que j’étais encore à la clinique, dans le Midi, un membre de son cabinet, chargé de mission à la présidence de la République, pour m’apporter une lettre.
Je suis en fuite et j’ai quitté le Cameroun normalement avec un passeport diplomatique et des visas en règle, ainsi qu’une partie du personnel civil et militaire à mon service, personnel payé par le gouvernement camerounais.
Depuis que je suis en France, certains d’entre eux sont rentrés au Cameroun, d’autres sont venus les remplacer, ils ont été mis en route par le gouvernement camerounais avec feuille de route officielle, visas.., et leurs salaires régulièrement payés par le Cameroun. Je suis en fuite, mais l’ambassade du Cameroun en France sait où me joindre.
Je suis en fuite et ai cependant, de Dakar où j’étais, envoyé au mois de janvier 1984 un télégramme à M. Paul Biya pour protester contre la violation de mon domicile de Garoua sans aucun mandat l’autorisant.
Je suis en fuite et le. Président Abdou Diouf a eu l’occasion à plusieurs reprises, de dire à M. Biya que j’étais à Dakar depuis le 1er novembre 1983. Vous le voyez, la stupidité le dispute au grotesque.
M. Paul Biya lui, après avoir monté son affaire, quitte subrepticement le Cameroun quelques jours avant l’ouverture du procès pour se réfugier dans les montagnes de Suisse et attendre en Europe, le déroulement des choses. On peut poser la question : qui de nous deux a fui ?
LE COMPLOT EN VUE DE L’ELIMINATION DE M. BIYA ET LE PROCÈS
Comme je l’ai dit plus haut, j’avais fait de M. Paul Biya membre du comité central et vice-président du parti. Je lui avais donné tout pouvoir pour me remplacer et diriger le Parti en cas d’absence ou d’empêchement. Je lui avais dit que le président, étant élu par le congrès, je quitterais la présidence à son profit avant- le congrès prochain.
Ma surprise a été grande, dans ces conditions, de recevoir de M. Biya, alors que j’étais à la clinique à Nice, et qu’il avait tous les pouvoirs, une lettre par laquelle il me demandait de lui abandonner la présidence de l’UNC.
Je lui répondis que ce problème qui n’en était pas un en réalité si l’on veut bien se reporter à ce que je viens de répéter ne concernait pas que moi et que, aucun péril ne menaçant, nous en déciderons ensemble dès mon prochain retour au pays. C’est après la réception de ma réponse que mon aide de camp, Salatou, a été arrêté. Quant au commandant Ibrahim, il fut inquiété et se vit retirer son passeport.
Quelques jours après, il est arrêté.
Quand le commandant Ibrahim et le capitaine Salatou ont été arrêtés, tout avait déjà été préparé. Avant même qu’ils aient été interrogés, un document qu’ils n’avaient plus qu’à signer était déjà établi. Les menaces, les sévices, la torture ont convaincu les deux malheureux d’avoir à s’exécuter. Ce sont là, les « aveux spontanés ». Mais à vouloir trop faire, on finit par faire des bêtises et par se trahir.
Voici donc deux personnes sur qui pèsent des accusations graves qui risquent leur tête. Elles font tout, et leur famille avec elles, pour avoir un bon avocat pouvant échapper aux pressions du pouvoir et capable de leur apporter la défense efficace qui les tirerait d’affaire. Leurs épouses écrivent pour solliciter le concours de Me Bournazel de Paris. Ce dernier n’a jamais reçu de réponse toutes les demandes adressées par lui au président du tribunal pour savoir la date du procès. Mieux, les détenus qui encouraient la peine de mort, refusent subitement le concours de tout avocat y compris l’avocat camerounais commis d’office pour eux. Vous avez pu lire dans la presse française que le commandant Ibrahim Oumarou tremblotait lorsqu’il a fait savoir ce refus à Me Pierre Fouletier, avocat camerounais, qui seul, a pu rendre visite aux deux accusés en prison.
Est-il nécessaire, parlant à des hommes avertis comme vous, d’insister sur le misérable marché de dupes passé par le pouvoir avec les accuses. Nul au Cameroun comme à l’extérieur ne s’y est trompé. Quant à moi, c’est par la presse internationale et par des témoins qui me l’ont rapporté que j’ai appris que j’étais l’objet, comme inculpé, du procès qui se déroulait à Yaoundé. Je n’ai jamais été avisé de l’ouverture d’une information me concernant. Je n’ai non plus jamais reçu notification de la moindre citation à comparaître. Aucune convocation, aucun document d’aucune sorte ne m’a été adressé, ni à mon domicile à Garoua, ni en France. Nulle part et l’on prétend me juger en arguant que je suis en fuite !
Mieux encore, l’avocat commis d’office pour assurer ma défense, le bâtonnier Black Yondo, a reçu l’avis de sa désignation le 22 février, veille de l’ouverture du procès ! (Le Monde 29/02/84). Et «Le Monde» qui relate ces faits ajoute : «Etant dans l’impossibilité de vérifier les conditions de la contumace, il a demandé – sans succès – le renvoi du procès». Tout est clair.
Oui il y a eu un complot, un complot contre Ahidjo et probablement aussi contre le Nord Cameroun comme cela ressort lumineusement de tout ce que nous venons de voir.
Et pourtant, le Nord, comme toutes les régions, n’a jamais manqué à ses devoirs nationaux, et je me suis considéré comme l’homme de tout le Cameroun et non celui d’une région.
POURQUOI ET COMMENT, ME DIREZ-VOUS, EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
L’explication ici aussi est simple. C’est un fait qu’il ne faut pas nier, que le climat, à la suite de plusieurs frictions, s’était bien détérioré entre M. Biya et moi. M. Biya a pris peur pour son pouvoir, peur de le perdre. Il lui fallait, a-t-il cru, coûte que coûte, trouver quelque chose d’assez énorme pour provoquer un choc, soulever le peuple d’indignation et le mobiliser à son profit en le faisant, apparaître comme l’innocente victime d’une monstrueuse machination.
L’opération, du même coup, grâce au choc et à l’ambiance ainsi créés, lui permettait de se saisir complètement du parti et d’asseoir son pouvoir en m’éliminant, comme lui recommandaient sans cesse certains de ses conseillers politiques et occultes. Faire assassiner Biya ! Plus j’y réfléchis et plus je découvre à quelles aberrations le désarroi et la peur peuvent conduire. M. Biya croit-il seulement à cette ineptie ?
Admettre que je sois l’homme vouloir cela est une injure quelconque. Même en admettant cette hypothèse, comment expliquer qu’un homme, qui n’est peut-être pas plus intelligent qu’un autre, mais qui n’est pas habituellement tenu pour un parfait idiot, qui connait un peu le Cameroun, son pays, et l’a gouverné pendant 25 ans, s’y prenne de façon aussi enfantine, improvisée, ridicule ?
PAUL BIYA : « UNE GRAVE ERREUR D’APPRÉCIATION »
Je l’avais pris, à la fin de ses études, auprès de moi, dans l’équipe de mon cabinet. Je l’avais confié à un moment donné à M. Eteki Mboumoua, alors ministre de l’Education nationale, pour être son directeur de cabinet. Puis je l’avais repris à mon cabinet, où il devait faire toute sa carrière.
Quoi que je pense aujourd’hui de l’homme et de la grave erreur d’appréciation que j’ai commise le concernant, rien ne m’empêche de dire qu’il était sérieux, travailleur, pondéré et, selon toute apparence, dévoué.
Je n’ignore pas que ses camarades du séminaire l’appelaient «Mademoiselle», ni que les ministres se plaignaient souvent de ce qu’il ne tranchait jamais un problème de quelque importance, si cela impliquait de prendre une responsabilité. Je me disais que, mis en situation et la fonction aidant, je le croyais sincèrement, pourrait devenir un président conformément aux espoirs que je mettais en lui pour le plus grand bien du Cameroun.
Comme il n’était pas du Nord, qu’il était chrétien, qu’il descendait d’une petite ethnie du Centre-Sud, il m’a semblé qu’il pouvait, plus facilement que d’autres, être un trait d’union dans le pays que l’on ne m’accuserait pas de privilégier le Nord, de confisquer le pouvoir aux mains des hommes du Nord et de ma religion. Arrivé au poste suprême, l’homme ne mit pas longtemps à se découvrir, tel qu’en lui-même il était vraiment.
Parvenu au pouvoir, M. Biya ne courait pas d’autres risques que ceux inhérents à sa charge et n’était pas plus menacé que les autres chefs d’Etat, ses pairs. La vérité, je l’avais dite dans la seule déclaration que j’ai faite depuis le début de la rupture entre M. Biya et moi. Certains ont trouvé mon propos excessif.
J’ai parlé des phobies des complots et d’assassinats. J’aurais dû dire hantise. Mais depuis, les choses n’ont fait que croître. Tout le monde reconnaîtra que nous sommes maintenant réellement en pleine phobie pour employer un euphémisme.
Une véritable psychose en tout cas. M. Paul Biya est littéralement tenaillé par la peur morbide de perdre le pouvoir et, depuis qu’il a monté son coup, par celle d’être assassiné. C’est dommage, car chacun sait à quels actes irresponsables sont conduites les personnes atteintes de ce mal.
Une preuve supplémentaire de la panique dans laquelle vit M. Biya, je la trouve dans la réforme constitutionnelle à laquelle il vient de procéder quant aux modalités de remplacement du président de la République en cas de vacance survenant en cours de mandat. Comment quelqu’un qui vient de se faire élire, étant déjà président et exerçant pleinement la fonction avant et pendant les élections, peut-il trouver la chose inacceptable quand il s’agit d’un autre ? Pourquoi ce qui est bon pour lui ne le serait-il pas pour un autre, notamment pour le président de l’Assemblée nationale assurant l’intérim pendant la vacance, interdit lui, de candidature ! Parce qu’il croit s’être ainsi protégé contre la perte du pouvoir et la perte de la vie.
La succession n’étant plus automatique et l’élection devenant totalement ouverte, il ne servirait à rien, pense-t-il de provoquer sa chute d’une manière ou d’une autre. Ces explications, nous assure-t-on, proviennent de bonnes sources : de ses amis et inspirateurs.
M. Paul Biya veut passer pour un vrai démocrate, l’homme qui aura rendu, disent ses thuriféraires, la parole, la liberté au peuple camerounais, celui avec qui chacun pourra exprimer librement et tout haut sa pensée sans phare et sans risque; celui avec qui fleurira l’information objective, pluraliste et contradictoire. Bravo !
Voyons maintenant les faits dans leur cruelle et aveuglante réalité. Ecoutez Radio Cameroun, lisez la presse et dites si vous y trouverez, même édulcorée, une opinion, une relation de faits autres que celles voulues et ordonnées par le pouvoir. Voyagez au Cameroun et vous me direz en quoi ce qui s’y passe actuellement correspond à un régime de liberté.
J’ai fait deux mises aux points adressées aux Camerounais. Il était facile, simple-et honnête de les publier intégralement quitte à en réfuter telle ou telle partie. On en a rien fait sauf extraire une ou quelques phrases de leur contexte pour abuser le lecteur ou l’auditeur, laissant ceux-ci dans l’ignorance du vrai propos. Même ma lettre de démission de Président de l’UNC adressée aux militants et militantes n’a pas été publiée. On s’est contenté de dire que j’ai démissionné : C’est tout. On appréciera l’élégance et l’honnêteté du procédé.
Notre parangon de justice, de liberté, de l’égalité espère tromper tout le monde, promettant blanc et faisant noir. Les faux espoirs qu’il a créés au sujet des partis et des élections parlent éloquemment.
Il croit, avec son procès, avoir donné des gages à ceux qui réclamaient qu’il soit lancé un mandat d’arrêt international contre moi. Que ceux-là ne se dépêchent pas de se réjouir. Ils déchanteront bientôt.
D’ailleurs, on fait tout un plat de l’UPC ; cela devient une véritable tarte à la crème. On leur fait des clins d’œil par là, tout en prenant des textes de lois électorales ou autres qui les éliminent en fait, non seulement des compétitions électorales, mais aussi de la participation à la vie politique. Il semble qu’après un moment d’euphorie, les plus lucides d’entre eux se sont aperçus de la supercherie.
On oublie, mais moi Je dois le rappeler, que de nombreux Upcistes sont rentrés au Cameroun de mon temps et qu’ils ont trouvé leur place dans la société comme tous les enfants du pays. Le père de Moumié est revenu. Non seulement il n’a pas été inquiété, mais encore je lui ai fait donner un emploi à l’agriculture. Je ne m’en vante pas. Je rétablis simplement la vérité.
M. Biya devrait méditer le mot d’Abraham Lincoln : «On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps. Mais l’on ne peut tromper tout le peuple tout le temps.»
A bon entendeur salut !
ADIEU MONDE CRUEL, MONDE INGRAT !
Mesdames, messieurs,
Il me faut conclure, en vous remerciant de votre aimable attention. Pourquoi dissimuler la tristesse, la très grande tristesse qui m’envahit devant ce qui se passe au Cameroun et qui constitue non seulement une honte pour Mon pays qui ne la mérite pas, mais aussi selon les nombreux et émouvants témoignages que je reçois de toute part, une honte pour l’Afrique.
Il ne s’agit pas de ma personne. Ce qui me préoccupe, c’est le Cameroun. Je l’ai servi de mon mieux, de toutes les capacités de mon être et lui ai consacré tous mes efforts.
Beaucoup se souviennent de ces temps difficiles de troubles et de sang où mon pays était en proie au terrorisme, aux déchirements, à l’insécurité.
Personne n’oubliera que le 4 novembre 1982, quand j’ai décidé librement d’abandonner le pouvoir, il était un pays pacifié, unifié, calme, paisible, prospère. Comment pourra-t-on parler de tout cela en effaçant totalement Ahidjo ? Et comment Paul Biya s’y prendra-t-il pour faire croire aux générations qui viennent, à ceux pour qui nous avons travaillé, ceux pour qui nous devons travailler, qu’il est sorti le 6 novembre 1982 président de la République, tout droit et par une génération spontanée de la cuisse de Jupiter et non de la volonté d’Ahidjo ?
J’ai confiance dans mon pays ; J’ai confiance dans sa jeunesse ; confiance dans les hommes et les femmes du Cameroun. Ma foi dans celle-ci et dans celle-là demeure intacte et inébranlable. Dieu protège le Cameroun !
Je sais qu’il y a eu des parricides dans l’histoire ; ce sont les Grecs qui ont tué Socrate. Mais il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser. Trop c’est trop ! »
Afrique-Asie – Paris 5 Mars 1984
Ahmadou Ahidjo, Premier Président de la République du Cameroun, a été poursuivi, jugé et condamné par le tribunal militaire de YAOUNDE par contumace à la peine de mort le 28 Février 1083 pour avoir conspiré pour faire assassiner Paul Biya qui lui a succédé en novembre 1982 ; deux de ses collaborateurs plaideront coupables devant le même tribunal et seront également condamnés à « être fusillés sur la place publique ».
Le 14 mars, ces peines sont commuées en « détention » par Paul Biya.
La contumace est l’état de l’individu qui est absent lors de son procès devant la cour d’assises soit parce qu’il n’a pu être arrêté, soit parce qu’il ne s’est pas volontairement présenté, ou parce qu’il s’est évadé en cours de procès.
Aux termes du code de procédure pénale, pour qu’un individu soit jugé par contumace il faut qu’il ait été cité à personne ou à domicile…, mais refuse volontairement de comparaître.
Tout le monde sait qu’au moment des faits, Ahmadou Ahidjo résidait à Grasse dans le midi de la France où il a eu à échanger plusieurs fois avec son illustre successeur. Si les citations lui ont été délivrées à Garoua, cela n’aura été que l’expression d’une volonté délibérée de ne pas le voir comparaître. Du reste, j’avais été désigné d’office par le Président du Tribunal pour l’assister et cette commission d’office ne m’était parvenue à DOUALA où je résidais qu’à16heures, pour une audience qui commençait à YAOUNDE le lendemain matin. Je vous laisse imaginer la gymnastique que qu’il m’a fallu faire pour répondre présent à l’heure à cette audience, connaissant l’état de nos routes et les moyens de communication de l’époque.
Lorsque le Président du tribunal fait appeler la cause à l’audience, il fait délibérément fi du fait de ma désignation d’office et voulant passer la parole au Commissaire du gouvernement pour ses développements, je l’interromps pour annoncer ma constitution et inviter le tribunal à me laisser consulter le dossier pour vérifier si les conditions de la contumace sont réunies, auquel cas, je n’aurais pas à prendre part aux débats. Cette brève intervention a surpris tout le monde me faisant passer pour un perturbateur qui venait comme un cheveu dans la soupe empêcher les choses de tourner en rond. Mon intervention a entraîné une suspension d’audience qui a duré près de trois heures, le temps sans doute de prendre des instructions au Palais d’Etoudi, et reprenant le cours de son audience, je me suis tout simplement laissé entendre dire : ‘’Maître, nous avons consulté le dossier, les conditions de la contumace sont réunies’’. Cela signifiait en clair que les droits de la défense ne seront pas respectés dans cette procédure et que nous étions en face d’une justice expéditive devant laquelle la cause était d’avance entendue. Un simulacre de justice donc.
Cette interview Illustre plus qu’à suffire le personnage Biya qui, chaque fois qu’il est confronté à une quelconque résistance, en réponse, il en appelle à des manœuvres de sa déstabilisation et de la déstabilisation du Cameroun qui seraient dictées de l’extérieur. De son vocabulaire, il s’agit bien là d’un disque rayé.
Mandataire du Cameroun pour présider aux destinées du pays, Paul Biya feint d’ignorer qu’à ce titre, il n’a pas que des droits ; il a aussi des obligations, notamment celles de rendre comptes, d’assurer la paix et la sécurité des biens et des hommes, le bonheur du peuple, le développement et la bonne tenue des finances du pays, la justice sociale, la juste répartition des fruits de la croissance, l’équilibre régional, que sais-je encore !
A la place, l’on voit le pays voler en lambeaux, offrir un spectacle de désolation, de misère, le népotisme, le favoritisme, les clans, la corruption et autres dépravations des mœurs s’installer en mode de gouvernance. Rien d’étonnant donc que le Président AHMADOU AHIDJO termine son propos par cette interrogative « Pourquoi dissimuler la tristesse, la très grande tristesse qui m’envahit devant ce qui se passe au Cameroun et qui constitue non seulement une honte pour mon pays qui ne la mérite pas, mais aussi selon les nombreux et émouvants témoignages que je reçois de toute part, une honte pour l’Afrique ».