Le message de félicitations publié par l'Ambassade des États-Unis au Cameroun après la prestation de serment de Paul Biya, le 6 novembre, cache une subtilité diplomatique majeure que peu d'observateurs ont relevée. Washington félicite "le président Paul Biya pour son investiture", mais omet délibérément de le qualifier de "Président de la République du Cameroun".
Cette omission, loin d'être anodine, relève de ce que les diplomates appellent le "service minimum" : une reconnaissance protocolaire de la cérémonie sans validation explicite de la légitimité du mandat. En droit diplomatique, les nuances de formulation sont toujours porteuses de sens, et celles-ci ne font pas exception.
Le communiqué américain se contente d'une formulation générique : "Les États-Unis félicitent le président Paul Biya pour son investiture. Nous sommes impatients de poursuivre notre solide partenariat avec le Cameroun afin de faire progresser nos objectifs communs, tels que la paix et la sécurité régionales ainsi que la prospérité de nos deux peuples."
Nulle part il n'est écrit que Paul Biya est reconnu comme "Président de la République du Cameroun" pour un nouveau mandat.
Pour comprendre la portée de cette formulation, il suffit de la comparer avec le traitement réservé par Washington à d'autres leaders africains récemment réélus. Lors de la réélection d'Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire, les États-Unis avaient explicitement mentionné qu'il avait été "réélu Président de la République de Côte d'Ivoire".
Cette différence de traitement est révélatrice. Dans le cas ivoirien, Washington actait clairement la réélection et la qualité de chef d'État pour un nouveau mandat. Dans le cas camerounais, l'expression "président Paul Biya" relève davantage d'une appellation de courtoisie accordée à toute personne ayant occupé les fonctions présidentielles, qu'elle soit encore en exercice ou non.
Aux États-Unis, les anciens présidents conservent d'ailleurs le titre de "President" à vie (President Carter, President Clinton, President Obama, etc.), sans que cela signifie qu'ils exercent encore le pouvoir. C'est précisément cette ambiguïté que le Département d'État américain semble avoir voulu préserver dans son message.
Cette formulation laisse délibérément une "porte ouverte" dans la position américaine. En ne reconnaissant pas explicitement Paul Biya comme "Président de la République du Cameroun", Washington se donne la possibilité de reconnaître ultérieurement un autre président, si la situation politique devait évoluer.
Cette prudence diplomatique prend tout son sens dans le contexte de contestation portée par Issa Tchiroma Bakary qui, selon les révélations de Jeune Afrique, affirme qu'il existe "deux présidents au Cameroun, le président élu que je suis et le président nommé par le Conseil constitutionnel".
Si demain la communauté internationale devait basculer en faveur de l'opposant – scenario peu probable mais pas totalement exclu dans un contexte de contestation intense –, les États-Unis pourraient arguer qu'ils n'ont jamais formellement reconnu Paul Biya comme "Président de la République" pour ce nouveau mandat, mais simplement salué sa cérémonie d'investiture.
Ce que les diplomates appellent le "service minimum" consiste à honorer les obligations protocolaires sans pour autant engager pleinement la position politique de son pays. C'est exactement ce que fait Washington dans ce communiqué.
Les États-Unis félicitent une cérémonie, pas une élection. Ils saluent une investiture, pas une légitimité. Ils reconnaissent la tenue d'un événement protocolaire, pas la validité du processus électoral qui l'a précédé.
Cette posture permet à Washington de maintenir ses relations diplomatiques et ses intérêts stratégiques au Cameroun – notamment en matière de sécurité régionale et de lutte antiterroriste – tout en conservant une distance critique vis-à-vis du processus électoral contesté.
Cette prudence lexicale est parfaitement cohérente avec l'attitude qu'avaient adoptée les représentants occidentaux lors de la proclamation des résultats. Jeune Afrique avait révélé que "les ambassadeurs des pays occidentaux" avaient brillé par leur absence à cette étape cruciale, un signal diplomatique fort de leur malaise face au processus électoral.
Leur présence à la cérémonie d'investiture du 6 novembre représentait donc un retour minimal aux conventions diplomatiques, sans que cela signifie une validation du scrutin. Le communiqué américain s'inscrit dans cette même logique de présence protocolaire sans reconnaissance explicite.
Cette formulation diplomatique minimaliste résonne également avec les critiques virulentes formulées par des élus américains ces derniers jours. Jeune Afrique rapportait que le sénateur Jim Risch, président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, avait publié un "violent et très remarqué réquisitoire contre 'le régime corrompu de Biya'", qui, selon lui, "a organisé une mascarade de réélection".
Le Département d'État, en choisissant une formulation aussi prudente, semble avoir voulu trouver un équilibre entre le maintien des relations bilatérales et le respect des préoccupations exprimées par le Congrès sur la qualité démocratique du scrutin.
Une stratégie qui préserve la marge de manœuvre américaine
En ne qualifiant pas Paul Biya de "Président de la République du Cameroun", Washington se donne une flexibilité diplomatique précieuse. Si la pression internationale devait s'intensifier – notamment à travers les saisines d'instances internationales que prépare le collectif d'avocats d'Issa Tchiroma Bakary, selon Jeune Afrique –, les États-Unis pourraient ajuster leur position sans avoir à se dédire d'une reconnaissance formelle.
Cette prudence est d'autant plus compréhensible que, comme l'avait révélé Jeune Afrique, deux membres du Congrès américain, Jonathan L. Jackson et Sydney Kamlager-Dove, ont écrit le 4 novembre au secrétaire d'État Marco Rubio pour exiger de Yaoundé "la libération des prisonniers politiques ou la promotion d'un dialogue politique inclusif".
En formulant son message de félicitations de manière aussi minimaliste, l'Ambassade américaine évite de contredire frontalement ces appels tout en maintenant les canaux diplomatiques ouverts.
Cette approche du "service minimum" pourrait devenir un modèle pour d'autres chancelleries occidentales confrontées au même dilemme : comment maintenir des relations avec des régimes autoritaires sans légitimer des processus électoraux douteux ?
La formule américaine – féliciter une cérémonie sans reconnaître explicitement la qualité de chef d'État légitime – offre une voie médiane entre la rupture diplomatique et la validation inconditionnelle. Elle permet de "sauver les apparences" protocolaires tout en gardant une distance critique documentée par l'absence de mots-clés cruciaux.
Dans le contexte camerounais, où Jeune Afrique révèle qu'Issa Tchiroma Bakary se trouve "non loin de la frontière camerounaise, côté nigérian" et continue de contester la légitimité de Paul Biya, cette ambiguïté diplomatique américaine laisse toutes les options ouvertes.
En définitive, le message de l'Ambassade des États-Unis au Cameroun constitue une forme sophistiquée de non-reconnaissance déguisée en félicitations protocolaires. Washington honore les conventions diplomatiques sans engager sa crédibilité sur la légitimité du mandat.
C'est un exercice d'équilibriste qui permet aux États-Unis de préserver leurs intérêts stratégiques au Cameroun tout en se ménageant une porte de sortie si la situation politique devait évoluer défavorablement pour Paul Biya. Dans le langage feutré de la diplomatie, le silence sur le titre exact de "Président de la République du Cameroun" en dit souvent plus long que les mots prononcés.