L’élection présidentielle est prévue pour octobre. Tous les partis se préparent en connaissance de cause. Pour le lanceur d’alerte Boris Bertolt dans une opinion, à la veille de cette élection présidentielle, le Cameroun s’effondre sous un pouvoir figé dans le déni.
À quelques mois de l’élection présidentielle de 2025, le Cameroun donne l’image d’un État vidé de sa substance, dirigé par procuration, rongé par la corruption, la paralysie institutionnelle et l’indifférence des élites. Alors que Paul Biya, très affaibli, ne dirige plus réellement le pays, ceux qui gravitent autour du pouvoir s’acharnent à le maintenir en poste pour continuer à régner en son nom. Le Cameroun est un pays à bout de souffle. Les signes cliniques de l’effondrement sont visibles à l’œil nu, dans les rues de Yaoundé jonchées d’ordures, dans les hôpitaux publics sans médicaments, dans les tribunaux en attente de magistrats valablement nommés, et surtout dans le silence pesant d’un président absent.
Paul Biya, 92 ans, ne gouverne plus. Il est là, sans être là. Les affaires de l’État sont entre les mains d’un duo informel mais omniprésent : Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, et Chantal Biya, figure désormais incontournable du clan au pouvoir. Depuis l’élection présidentielle de 2018, aucun véritable Conseil des ministres n’a été convoqué. Le gouvernement fonctionne en roue libre, sans pilotage collectif, sans cap visible. Des ministres décédés tels que Dodo Ndoke, Clémentine Ananga Messina ou Alim Hayatou, ne sont toujours pas remplacés. D’autres ont démissionné comme Issa Tchiroma Bakary ou Bello Bouba Maïgari, dans une indifférence glaciale.
Le système ne respire plus, il se contente de se maintenir. Dans l’administration, le même immobilisme s’installe : des directeurs généraux et présidents de conseils d’administration sont en poste depuis 15, 20 ou 30 ans, parfois en violation manifeste de la législation sur les mandats. Les postes deviennent des héritages, les entreprises publiques des fiefs. Les gouverneurs et préfets, bien souvent en âge de retraite, continuent de servir un système qui ne se renouvelle jamais. À la tête de l’armée, c’est le général René Claude Meka, en poste depuis 2001, qui continue de diriger une institution vieillissante dans un contexte sécuritaire explosif : attaques djihadistes dans l’Extrême-Nord, séparatisme armé dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, insécurité urbaine dans les grandes villes. Le système judiciaire, quant à lui, est doublement sinistré.
Instrumentalisée pour régler des comptes politiques, la justice n’est plus perçue comme indépendante. Mais plus grave encore : depuis cinq ans, aucun Conseil supérieur de la magistrature n’a été tenu. Les jeunes magistrats, pourtant formés et affectés, croupissent dans les couloirs des parquets d’instance, sans nomination officielle, sans statut, sans perspective. Ils sont devenus des figurants d’un théâtre judiciaire paralysé. Les scandales financiers, eux, se suivent et se ressemblent. L’affaire du Covidgate reste sans issue judiciaire claire malgré les centaines de milliards envolés.
Les marchés fictifs, les détournements dans les ministères et les universités, les surfacturations sont devenues normaux. Mais c’est le scandale des CAN qui a révélé au monde l’étendue du cancer. Des milliards engloutis dans des stades non achevés ou déjà en ruine, des travaux bâclés, des surfacturations à répétition. Pire : un mandat d’amener a été lancé contre Ferdinand Ngoh Ngoh, toujours en fonction comme SGPR, dans le cadre de ces enquêtes. Le mandat n’a jamais été exécuté. Le pays entier a vu l’impunité se dresser en rempart protecteur de l’oligarchie.
Pour masquer l’état de vacance du pouvoir, une véritable comédie a été mise en scène hier. Le président, invisible depuis des mois, a soudainement accordé une audience soigneusement chorégraphiée au Nonce apostolique. La diffusion officielle des images visait moins à rassurer qu’à entretenir l’illusion d’un chef de l’État encore actif. Dans la même veine, une série de décrets nommant des officiers généraux a été publiée, sans communication présidentielle, alimentant davantage les soupçons d’une gouvernance fantôme. Comme dénoncé par plusieurs sources internes, ces nominations ont été pilotées en coulisses par Ferdinand Ngoh Ngoh et le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense, Joseph Beti Assomo, qui en ont profité pour placer leurs fidèles et verrouiller les leviers sécuritaires à l’approche du scrutin.
À cela s’ajoutent les règlements de comptes internes, notamment entre le clan de Laurent Esso, ministre de la Justice, et celui de Ferdinand Ngoh Ngoh, chacun positionnant ses pions dans la perspective d’une succession inéluctable. Mais au lieu de préparer une alternance ordonnée, ces rivalités entretiennent le pourrissement. Le pouvoir se déchire pour hériter d’un pays en lambeaux. Et sur le terrain, le peuple s’effondre en silence. La pauvreté n’est plus une exception, elle est devenue norme. Les enseignants attendent toujours leur intégration.
Les retraités meurent sans pension. Les jeunes diplômés vendent des téléphones, des beignets, ou migrent à tout prix. Les hôpitaux sont devenus des mouroirs, les écoles des abris de fortune, les villes de vastes décharges à ciel ouvert. Le Cameroun souffre, mais personne ne répond. Et pourtant, une élection présidentielle approche. Mais dans quelles conditions ? Avec quels moyens ? Sous quelle autorité ? Comment peut-on parler d’élection libre et crédible dans un pays où l’État ne fonctionne plus, où les institutions sont en coma profond, où l’élite au pouvoir se maintient par l’inertie et la peur, et où le peuple est réduit au silence par la misère et la lassitude ? La République est vidée de son contenu, mais le régime continue, accroché à lui-même. Il n’a plus de projet, plus d’idéal, plus de souffle. Seulement la volonté de durer, quel qu’en soit le coût humain, moral, ou historique. Le Cameroun est un corps debout, sans âme. Un pays en survie prolongée. Et chaque jour qui passe sans sursaut collectif est Une victoire de plus pour le néant.