Paul Biya est un président imprévisible. Son prédécesseur qui lui a laissé sa place dresse de lui, un portrait peu flatteur. Rusé, froid Paul Biya n’a de considération pour personne. L’ancien président Ahidjo se rappelle encore de la manière dont il avait humilié le premier ministre Bello Bouba Maïgari.
M. Paul Biya, président de la République, reçoit son Premier ministre M. Bello Bouba Maïgari. Ils s’entretiennent de tous les problèmes de leurs charges. Ils se quittent apparemment en confiance et bonne harmonie, Et c’est environ deux heures après cet entretien que le Premier ministre, à sa grande surprise, apprend par la radio nationale, à l’émission de la mi-journée, qu’il venait d’être procédé à un remaniement, tel et tel autre entrant. Le Président ne lui en avait soufflé le moindre mot au cours de leur entretien. Ce remaniement touchait notamment le ministre secrétaire général de la Présidence dont les bureaux se trouvent à la présidence de la République même. Il y avait travaillé toute la matinée jusqu’à 13 heures avec le Président et, c’est quelques minutes après, en arrivant à son domicile, qu’il apprenait par la radio la nouvelle de son départ du gouvernement.
Considérant que c’était la preuve d’une absence totale de la -confiance et d’estime du Président à son endroit, Bello Bouba Maïgari a estimé que sa dignité lui recommandait oie rendre son tablier. D’autres ministres qui avaient aussi des raisons de penser qu’ils ne bénéficiaient eux non plus de l’estime, ni de la confiance du Président, voulaient également démissionner. D’où leur décision de se concerter avant de mettre leur projet à exécution, de venir m’en parler en tant que .1D-résident de l’UNC et tout de même, on me permettra de le penser, s’agissant du Cameroun et dans le contexte que voilà, un homme à qui il n’est pas impensable qu’on puisse demander conseil.
Malgré le bien-fondé de leur mécontentement, après réflexion, de Garoua où je m’étais rendu le jour même, j’envoyais un message au Premier ministre leur recommandant de ne pas démissionner pour éviter d’ouvrir une crise qui aurait pu être préjudiciable aux intérêts du Cameroun.
Aucun de ceux qui ont participé à cette réunion, même ceux qui sont des hommes de confiance de M. Biya et qui sont toujours membres de son gouvernement, n’ont pu dire autre ose. Et pour cause !
On permettra de poser quelques questions : Chef de l’Etat pendant 25 ans, venant à peine de quitter librement et volontairement le pouvoir ; Président en exercice de l’UNC, parti dont je suis le créateur, ne pouvais-je donc recevoir ou réunir telles ou telles personnes et parler avec elles des questions qui les concernent, que ces questions soient privées, politiques ou sociales ? Les ministres n’ont-ils pas le droit de démissionner ? La loi camerounaise interdit-elle ceci ou cela ? Où est le délit ? Où est la subversion ?
Quant à la réunion à laquelle ont participé certains officiers du Nord, le commandant Abdoulaye a pu affirmer devant le tribunal sans qu’on lui ait opposé le moindre démenti, que deux réunions similaires regroupant des officiers de l’ancienne province du Centre-Sud (province dont M. Biya est originaire) s’étaient tenues au bureau et au domicile du général Semengue sans qu’on y ait trouvé à redire.
Dans ce contexte, si réunir certains officiers du Nord et leur dire c’est l’essentiel de ce qui a été dit au cours de cette réunion et qui fut répété devant le tribunal spécial, si donc leur dire : «nous allons démissionner du gouvernement. C’est une affaire politique qui ne vous concerne pas, et dont vous ne devez pas vous mêler» est subversif, c’est que les mots n’ont plus de sens.
Le cas du général Pierre Semengue mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est éclairant. Le général Semengue avait ordonné, alors qu’aucune circonstance ni aucune raison ne le justifiait, une marche des troupes de différentes garnisons du territoire sur Yaoundé. Et cela, non seulement sans l’autorisation du ministre des Forces armées, mais à l’insu de ce dernier, en violation flagrante des règles impérieuses régissant tout déplacement de troupes au Cameroun.