Cameroun : quand les femmes de la diaspora deviennent les générales de l'opposition

Cameroun Diaspora Image illustrative

Mon, 6 Oct 2025 Source: www.camerounweb.com

Elles ne figurent pas dans les manuels d'histoire politique africaine. Pourtant, ces femmes camerounaises exilées en Europe mènent aujourd'hui l'une des offensives les plus virulentes contre le régime de Yaoundé. Dans une enquête exclusive, Jeune Afrique a rencontré ces « générales » de l'opposition qui ont transformé leurs tragédies personnelles en combat politique. Leurs histoires révèlent comment la mal-gouvernance camerounaise détruit des vies et forge des ennemies irréductibles.

Elle a juré de ne plus remettre les pieds au Cameroun tant que Paul Biya restera au pouvoir. Un serment qui n'a rien d'une posture politique, mais qui s'enracine dans une succession d'épreuves que Jeune Afrique révèle en exclusivité pour la première fois dans leur intégralité.

En 2013, Marcelle Makam se rend au Cameroun pour deux raisons : honorer la mémoire de son oncle décédé et acquérir un terrain. Résidant en France, elle souhaite préparer son retour au pays. Confiante, elle ouvre un compte à Afriland First Bank et y dépose 15 000 euros, persuadée que son argent y sera en sécurité.

Mais Jeune Afrique a pu reconstituer ce qui s'est passé ensuite : quelques jours après son dépôt, une secrétaire de la banque falsifie sa signature et transfère l'intégralité des fonds sur son propre compte. Le choc est terrible. On lui promet un remboursement, mais les mois passent sans qu'aucun franc CFA ne soit restitué.

Ce n'est que le début d'un calvaire que Jeune Afrique documente avec précision. Toujours à Bafoussam, lors du deuil familial, Marcelle Makam est prise de fortes douleurs à la gorge et d'intenses crampes abdominales. Transportée d'urgence à l'hôpital provincial, elle découvre un établissement plongé dans l'obscurité.

Le témoignage exclusif recueilli par Jeune Afrique est édifiant : avant tout traitement, le personnel médical lui intime d'acheter un carnet administratif. Face à son état critique, elle insiste pour être conduite dans une clinique privée. Ce choix lui sauve probablement la vie. Elle attribue sa crise à une eau contaminée consommée à l'hôtel. « J'ai pris la pleine mesure de la gravité de la situation dans laquelle se trouvent les Camerounais », confie-t-elle à Jeune Afrique.

Un an plus tard, en 2014, un premier virement de 1 million de F CFA (1 500 euros) arrive sur son compte. Mais sur les 15 000 euros volés, il manque encore 13 500 euros. Malgré ses relances répétées, rien ne se passe. Jeune Afrique a découvert que le directeur de la banque responsable du dossier a été opportunément muté au Gabon, enterrant de facto toute possibilité de recours.

La même année 2013 marque un tournant encore plus dramatique dans la vie de Marcelle Makam. Dans des confidences bouleversantes livrées à Jeune Afrique, elle révèle que son fils est parti en Syrie. En 2014, elle apprend qu'il aurait été exécuté par l'armée de Bachar al-Assad. Cette perte irréparable s'ajoute aux déboires financiers et sanitaires vécus au Cameroun.

En 2015, elle retourne à Yaoundé, accompagnant sa fille et espérant toujours récupérer son argent. La banque lui refuse tout accès à son directeur. Elle saisit la justice camerounaise, engage un avocat. En vain. « Mon avocat a fini par abandonner », confie-t-elle à Jeune Afrique avec une amertume palpable.

Jeune Afrique révèle le rôle décisif joué par Princesse, la fille de Marcelle, dans la transformation de sa mère en activiste politique. Jeune femme sensible aux injustices, Princesse est choquée par deux drames de l'immigration survenant en Libye. Elle entraîne alors sa mère à une manifestation de soutien organisée dans le 15ᵉ arrondissement de Paris.

Au retour de cette première action militante, Princesse lance à sa mère : « Maman, il faut continuer à s'engager. » Ces mots font écho. Marcelle Makam décide de reprendre en main sa page Facebook, longtemps délaissée, et renforce massivement sa présence en ligne. C'est ainsi que naît « la générale Marcelle », comme l'a constaté Jeune Afrique en analysant l'évolution de son profil numérique.

Aujourd'hui, elle est devenue l'une des principales activistes de la diaspora camerounaise, postant quotidiennement des vidéos incendiaires contre le régime, mobilisant pour les manifestations, coordonnant les actions avec d'autres opposants.

L'histoire de Sandy Boston révèle une autre facette de cet engagement féminin. Jeune Afrique a pu établir qu'Émilie (son vrai prénom) est originaire d'Édéa et qu'elle est la nièce d'Edgar Alain Mebe Ngo'o, ancien ministre de la Défense du Cameroun.

Dans une révélation exclusive, Jeune Afrique dévoile que c'est précisément l'incarcération de son oncle, qu'elle juge abusive et politique, qui a intensifié son engagement contre Paul Biya. Issue d'une famille proche du pouvoir, Sandy Boston aurait pu choisir le silence prudent. Elle a choisi la confrontation.

Avec d'autres femmes camerounaises en exil, elle a cofondé le mouvement Bobi Tanap, une organisation qui dénonce les injustices politiques et sociales au Cameroun. Jeune Afrique a observé que ce mouvement féminin adopte des stratégies de mobilisation novatrices, mêlant actions de rue et campagnes numériques ciblées.

L'enquête de Jeune Afrique révèle l'existence d'un réseau informel mais efficace de femmes camerounaises opposantes, réparties entre Paris, Londres, Bruxelles et plusieurs villes américaines. Ces « générales » se coordonnent via des groupes WhatsApp cryptés, partagent leurs stratégies, s'entraident financièrement et émotionnellement.

Contrairement aux mouvements d'opposition traditionnels, souvent minés par les rivalités d'ego et les luttes de leadership masculines, ces réseaux féminins privilégient l'action collective et la complémentarité des compétences. Marcelle Makam excelle dans la mobilisation de rue, Sandy Boston dans l'organisation logistique, d'autres dans la communication digitale ou le lobbying auprès d'institutions internationales.

Jeune Afrique constate que toutes ces femmes partagent un point commun : elles ont vécu des traumatismes personnels directement liés, selon elles, à la gouvernance du régime Biya. Vol dans une banque, défaillance du système de santé, incarcération d'un proche, corruption judiciaire...

Ces expériences individuelles sont devenues des causes politiques. Les « générales » ne militent pas par idéologie abstraite, mais parce que le système leur a pris quelque chose d'irremplaçable : de l'argent durement épargné, un fils, la santé, un oncle, la confiance dans les institutions.

Cette dimension personnelle confère à leur engagement une intensité particulière. Comme l'a observé Jeune Afrique, lors des manifestations devant les hôtels parisiens où séjourne Paul Biya, ce sont souvent ces femmes qui mènent les slogans les plus virulents, qui résistent le plus fermement aux pressions policières.

L'analyse des réseaux sociaux menée par Jeune Afrique montre que « la générale Marcelle » cumule des dizaines de milliers de vues sur ses vidéos Facebook. Son style direct, sans filtre, qui mêle récit personnel et dénonciation politique, touche particulièrement les femmes camerounaises restées au pays.

Dans ses lives quotidiens, elle interpelle directement Paul Biya, raconte ses mésaventures de 2013, appelle à la mobilisation pour la présidentielle du 12 octobre. Jeune Afrique a comptabilisé des centaines de commentaires sous chaque publication, témoignant d'un engagement massif de sa communauté.

À quelques jours du scrutin présidentiel, ces femmes de la diaspora multiplient les initiatives. Jeune Afrique a recensé une dizaine de manifestations prévues dans différentes capitales européennes, toutes coordonnées par des collectifs féminins.

Leur objectif est clair : faire basculer l'élection en faveur de l'opposition, ou à défaut, dénoncer massivement toute tentative de fraude. Comme le confie Marcelle Makam à Jeune Afrique : « Nous n'avons plus peur. Nous avons tout perdu au Cameroun. Il ne nous reste que ce combat. Et nous le mènerons jusqu'au bout. »

Ces « générales » de l'opposition incarnent une nouvelle génération de militantes africaines : forgées dans l'adversité, connectées numériquement, déterminées politiquement. Le régime de Yaoundé a sous-estimé leur force. C'est peut-être son erreur fatale.

Source: www.camerounweb.com