L’homme d’affaires «Longchamp» accusé avec son avocat et son huissier de justice d’avoir orchestré un faux en écritures publiques et profité de déclarations mensongères et de fabrications de preuves pour accaparer un lopin de terre à Banka dans l’Ouest du pays.
Dans quelles conditions la Cour d’appel de l’Ouest avait-elle rendu l’arrêt N°22/civ, le 17 mars 2021, dans une affaire opposant M. Jean-Claude Nguemeni aux ayants-droit de feu Mme Monkam Elise, décédée le 6 juin 2019 ? Cette question est au centre d’une enquête judiciaire ouverte en juin 2022 devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Haut-Nkam à Bafang. Un homme d’affaires, M. Nguemeni Jean-Claude plus connu sous le petit nom de Longchamp, un avocat, Me Ngadjui Siko Louis Nestor, et un huissier de justice, Me Djoumgoue Benjamin, sont les principales cibles d’une plainte avec constitution de partie civile déposée par un certain M. Monkam Nitcheu Guy Faustin, frère et héritier de la défunte Monkam Elise. Ces derniers doivent répondre de trois infractions au total : «faux en écritures publiques et authentiques, déclarations mensongères et fabrication de preuves». Les actes incriminés ont été posés dans le cadre d’une bataille judiciaire pour la dispute d’un lopin de terre à Banka dans l’arrondissement de Bana.
M. Monkam Nitcheu accuse les deux hommes de loi d’avoir usé de tricherie pour faire obtenir à l’homme d’affaires une décision de justice prétendument contradictoire. L’arrêt querellé avait été rendu par un trio des juges conduit par M. François Xavier Mbono, le président de la Cour d’appel lui-même. Mais le processus ayant abouti à cette décision est jonché d’actes de faux. C’est que, de son vivant, Mme Monkam Elise avait elle-même interjeté appel contre deux décisions de justice rendues en sa défaveur par le TGI de Bafang le 7 mars 2016 et le 15 février 2017 (lire encadré). Sauf qu’après le décès de la recourante, ni sa famille, si son conseil n’avaient reçu l’ordonnance fixant les frais de reproduction du dossier et l’avis d’audience de la Cour d’appel. C’est à la suite des recherches engagées après la découverte de l’arrêt du 17 mars 2021 que le pot aux roses sera découvert.
Sommation interpellative
Quelles sont les découvertes faites par la famille de Mme Monkam à la suite de ses recherches ? Elle découvre que le président de la Cour d’appel avait effectivement rendu l’ordonnance N°342 le 8 octobre 2020 pour fixer au 14 octobre suivant la date de la première audience de l’affaire. Et, dans le dossier de la procédure, cette ordonnance est réputée avoir été transmise (signifiée) le 13 octobre à Mme Monkam Elise, pourtant décédée en juin 2019, avec la précision que cette signification a été faite par exploit d’huissier de justice au domicile de la concernée à Banka, précisément entre les mains de «son frère», le nommé Kolloko, qui devrait lui transmettre l’acte en question. L’huissier de justice instrumentaire, Me Djoumgoue Benjamin, aurait agi à la demande du greffier en chef de la Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam.
M. Kolloko étant inconnu de la famille de Mme Monkam Elise et cette dernière étant disparue longtemps avant la prétendue signification de la date d’audience de la Cour d’appel, une «sommation interpellative» sera servie à Me Djoumgoue Benjamin le 22 juin 2021, pour qu’il s’explique sur l’authenticité de ce qui est déclaré en son nom dans le dossier judiciaire. L’huissier de justice ayant contesté sa signature et les énonciations contenues dans l’exploit qui lui est attribué, des investigations supplémentaires seront menées dans les services du greffe de la Cour d’appel. Elles permettent de découvrir que la correspondance du greffier en chef destinée à Mme Monkam Elise et signée le 9 octobre 2020, a été «déchargée le même 9 octobre 2020 pour notification par voie d’huissier de justice par Me Ngadjui Siko Louis Nestor». Or, Me Ngadjui Siko Louis Nestor, qui est avocat, est connu de la famille Monkam comme le conseil et petit frère de M. Nguemeni Jean-Claude. L’avocat n’ignore pas que Mme Monkam n’est pas de ce monde, disent les membres de la famille Monkam, qui le reconnaissent comme leur voisin.
Incongruités…
Il se trouve que le 13 juillet 2020, par un autre exploit fait au nom de Me Djoumgoue Benjamin, huissier de justice à Bafang, la défunte Mme Monkam Elise est réputée avoir reçu notification, toujours par l’entremise de «Kolloko, son cousin ainsi présenté», d’une ordonnance de M. le président du TGI du Haut-Nkam datée du 4 octobre 2018 par laquelle celui-ci a fixé «les frais de reproduction du dossier à 30.000 francs». Cet autre exploit d’huissier de justice réputé faux est à la base de la délivrance le 7 septembre 2020 par le greffier en chef dub TGI du Haut-Nkam, d’un procès-verbal de carence ayant servi dans l’enrôlement de la procédure de recours initiée par Mme Monkam Elise à la Cour d’appel de l’Ouest dont l’issue a été favorable à M. Nguemeni Jean-Claude. Ce sont toutes les incongruités rassemblées par la famille Monkam qui sont à l’origine de la plainte avec constitution de partie civile introduite le 30 mai 2022 devant le juge d’instruction du TGI de Bafang.
Rappelons que l’arrêt N°22/civ rendu le 17 mars 2021 par la Cour d’appel de l’Ouest précédé par tous ces actes argués de faux avait confirmé le jugement N°06/civ du TGI du Haut-Nkam. Par ce jugement ; le tribunal déclare que «l’immeuble objet du Titre foncier N°2423/H-N est attribué en toute propriété à Nguemeni Jean-Claude». Il ordonne aussi «à M. le conservateur de la propriété foncière du Haut-Nkam de procéder à la mutation au profit de Nguemeni Jean-Claude du Titre foncier N02423/H-N». La copie-grosse (expédition définitive) de cet arrêt avait été signifiée à M. Monkam Nitcheu Guy Faustin par l’entremise de son avocat le 1er juin 2021, lui permettant de constater les conséquences des manigances faites au niveau du TGI de Bafang et à la Cour d’appel de l’Ouest dans le dossier de sa défunte sœur. M. Monkam Nitcheu avait alors fait pourvoi et saisi, avec succès, le président de la Cour suprême pour paralyser les effets de l’arrêt du 17 mars 2021. L’affaire est loin d’être achevée.
Aux sources du scandale judiciaire…
Feue Elise Monkam avait hérité de sa grand-mère trois lopins de terre au lieu-dit Marché-Banka. En service au Port Autonome de Douala (PAD), elle signait en juillet 2006 une procuration non notariée à un certain Joseph Kwepe, notable à la chefferie supérieure de Banka au moment des faits, afin que le concerné conduise en ses lieu et place les procédures d’immatriculation de son patrimoine. En 2011, l’administration des Domaines allait délivrer au profit de Mme Monkam trois titres fonciers.
Muni des titres fonciers, M. Kwepe entreprenait de vendre l’un des trois terrains à M. Nguemeni. Il s’agit d’un espace de de 5368 mètres carrés objet du titre foncier N° 2423. Pour cette transaction qui ne ressortit pas de la procuration obtenue de Mme Monkam, la procédure clandestine échoua au moment de sa finalisation au cabinet de Me Nzeale Kemajou, notaire à Bafang. Cela n’empêchera pas M. Nguemeni de prendre possession du terrain litigieux et d’y entamer la construction d’un palace. Il prétend s’être engagé dans son investissement après avoir versé entre les mains du défunt chef de Banka, le père de Elise Monkam, une somme totale de 22 millions de francs. Le chef, prétend M. Nguemeni, agissait sur la base d’une procuration signée par sa fille. Un document qui s’avèrera faux à la suite des recherches faites à la sous-préfecture.
Lorsque Mme Monkam Elise est informée de la situation en mars 2015, elle initie, dès avril 2015 et devant le Tribunal de première instance (TPI) de Bafang, une procédure judiciaire pour obtenir aussi bien la suppression de l’ouvrage de M. Nguemeni sur son terrain que la nullité de transaction que ce dernier a eue avec le chef et M. Kwepe. Elle précise n’avoir jamais donné à quiconque le pouvoir de ventre son terrain. Plusieurs autres procédures parallèles sont engagées pour mettre à nu la fraude dont elle se dit victime.
En réaction, M. Nguemeni va saisir le président du Tribunal de grande instance (TGI) du Haut Nkam d’une requête dite «d’injonction de payer valant action en validité d’inscription d’hypothèque provisoire» sur le terrain qu’il occupe sans titre. Dans son recours, il déclare que Mme Monkam lui doit une somme de 28 millions de francs ; des fonds qu’il dit lui avoir remis pour l’achat de son terrain. Mais toutes «les démarches entreprises pour recouvrer son argent sont demeurées vaines», dit-il. Il demande au juge de contraindre la dame à lui verser cet argent dans les 15 jours ou, à défaut, qu’une inscription hypothécaire soit portée à son profit sur le titre foncier de Mme Monkam. Les 28 millions de francs revendiqués représentent en fait la somme totale prétendument versée entre les mains du chef Monkam Tientcheu augmentée des frais de procédures pour l’achat du terrain.
Entre le 15 novembre et le 10 décembre 2015, le président du TGI de Bafang a rendu en faveur de M. Nguemeni deux ordonnances : la première autorise l’homme d’affaires à prendre en hypothèque le terrain de Mme Monkam Elise au prix de 28 millions de francs. La seconde valide une «injonction de payer valant action en validité d’inscription d’hypothèque provisoire». L’opposition de Mme Elise Monkam aux deux ordonnances ne va rien changer. Outre ces revers, la dame constate que toutes ses procédures introduites devant les tribunaux de Bafang contre M. Nguemeni se soldent à chaque fois par un échec.
Mme Monkam avait sa petite idée au sujet de ce qu’elle considère comme des faveurs indues accordées à l’homme d’affaires sur la place judiciaire de Bafang : «Le président John John (président du TGI du Haut-Nkam à l’époque des faits) tire les ficelles dans l’ombre au profit de Jean Claude Nguemeni», écrivait-elle. Elle déclarait que le magistrat incriminé l’avait invitée dans son bureau pour l’obliger à «arranger l’affaire». Elle ne s’y était pas rendue. Elise Monkam, qui disait craindre pour sa vie dans de multiples correspondances adressées aux autorités, est décédée en juin 2019, deux semaines après une garde à vue à la brigade de Banka.