Un flic a raconté devant la barre comment le chef de service des enquêtes au cabinet du patron de la police, le célèbre commissaire Meva, l’a instruit de faire un faux témoignage visant à clouer le directeur de la police des frontières. Ayant refusé l’offre, il l’a fait jeter en prison.
Le commissaire de police Meva Vincent de Paul n’est-il qu’un coupeur de tête ? Chef de service des enquêtes dans le cabinet de Martin Mbarga Nguele, le Délégué général à la Sûreté nationale (Dgsn), et qu’on a coutume de présenter comme étant son homme de main, il est sans doute le fonctionnaire à la police le plus craint et le plus haï par ses collègues. En fait, il est souvent accusé de se servir de sa position auprès du «chef de corps» pour «abattre» ses adversaires.
Dans la longue liste des détracteurs de ce haut gradé, on compte l’officier de police Mbita Mbita Jean Paul Désiré. Ce dernier est incarcéré à la prison centrale de Yaoundé Kondengui depuis mars 2018, suite à une histoire de «fabrication de faux passeport». Une histoire que le concerné estime fabriquée de toute pièce par le commissaire Meva en janvier 2017 à cause de son refus répété de «livrer» le commissaire divisionnaire André Mbondja, alors directeur adjoint de la police des frontières. Ce dernier a néanmoins perdu son poste pour ces faits puis mis à la retraite en février 2018, cinq mois avant la date effective.
Cette affaire a été débattue devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi le 31 août 2022. L’officier Mbita est en effet en jugement aux côtés de Jean Pierre Mussibe Tchawo aussi en détention. Tous répondent du faux allégué. M. Mbondja a quant à lui été élargi, du moins il avait bénéficié d’un non-lieu au terme de l’information judiciaire.
En plantant le décor du procès, le procureur a rappelé qu’avant 2021, obtenir un passeport au Cameroun relevait de la croix et de la bannière. Face à la situation, beaucoup en ont profité pour se remplir les poches sur le dos des usagers en créant des réseaux de facilitation de délivrance de ce titre de voyage auquel ils avaient donné le nom de «passeport express». Il fallait verser parfois plus de 100 mille francs à des intermédiaires pour obtenir ce document.
Passeport express
Grâce à des «renseignements fournis», indique le procureur, le service du commissaire Meva avait été informé que des policiers extorquaient de l’argent aux usagers au sujet de la délivrance des passeports. Ce qui avait permis l’interpellation de M. Mbita, alors en service à la sous-direction informatique à la Dgsn, dont la «fouille au corps» et la perquisition de son domicile avaient permis de récupérer une soixantaine de pièces appartenant à des tiers : des copies d’acte de naissance, de carte nationale d’identité, une demande de passeport dûment remplie avec un faux timbre de 75 mille francs, des demies cartes de photos, entre autres. Selon l’accusation, l’exploitation de son téléphone portable par les enquêteurs avait davantage étayé les faits.
Les investigations menées sur les pièces saisies, poursuit le procureur, ont permis de découvrir que M. Mbita, M. Mussibe Tchawo et M. Mbondja avaient constitué un réseau autour de la délivrance des «passeports express». Ainsi, M. Mbita avait pour tâche de trouver les clients dont il portait les dossiers auprès de M. Mussibe Tchawo qui les transmettait à son tour à M. Mbondja. Le passeport était délivré trois jours plus tard et récupéré par M. Mussibe, au contraire des autres demandes qui attendaient parfois de très longs mois.
Le procureur a salé l’accusation en donnant lecture de larges extraits des déclarations faites par M. Mbita dans le rapport dressé par le commissaire Meva. On retient grosso modo, d’après ces extraits, que M. Mbita avait décrit le mode opératoire en indiquant que le réseau exigeait à chaque client 120 mille francs par dossier, 200 mille francs lorsque le client avait un «problème de double identification». Il percevait 30 mille francs comme rétribution, le reste de l’enveloppe était «géré» par son coaccusé et M. Mbondja. C’est sur la base de ces déclarations que M. Mussibe avait été mis aux arrêts. Cependant, le procureur n’a présenté au tribunal aucune des pièces prétendument saisies lors de l’interpellation de M. Mbita.
Pour sa défense, M. Mbita a opposé que ses ennuis résultent de son refus catégorique d’être mêlé aux «problèmes particuliers» qu’avaient les commissaires Meva et Mbondja. Il déclare avoir travaillé avec M. Mbondja pendant près de 15 ans dans le même service, raison pour laquelle M. Meva pensait sans doute qu’il était la personne idéale pour l’aider à «abattre» son ancien patron. Le 18 janvier 2017, raconte-t-il, alors qu’il se rendait dans son bureau, les éléments de M. Meva l’ont brutalement interpelé à l’entrée de la Dgsn. Ses effets saisis, il était ensuite soumis à un interrogatoire musclé mené par M. Meva, puis placé en garde à vue durant trois jours. C’est pendant sa détention, dit-il, que les preuves fabriquées ont été ajoutées dans son sac.
Le dossier avait été gelé pendant un an, période pendant laquelle M. Mbita dit avoir normalement repris service. «Comment vous arrêtez un bandit en flagrant délit et vous le laissez continuer son travail ?», ironise M. Mbita, précisant qu’il n’a «jamais» été traduit au conseil de discipline pour cette affaire, ni reçu de demande d’explication, ni écoper de la moindre sanction. «Je reconnais que j’ai signé les PV sous pression du commissaire Meva», avoue M. Mbita révélant que ce dernier lui «a dit dans les couloirs de la [Dgsn] qu’il veut la tête de Mbondja. Et il faut que je l’aide. Il ne veut pas le louper cette fois.» Un faux témoignage qu’il aurait refusé de faire.
Gradé derrière les barreaux
L’affaire a rebondi en mars 2018, indique M. Mbita : M. Meva «a promis me montrer qu’il est plus grand et puissant», lance M. Mbita ajoutant que c’est d’ailleurs sur la base du rapport d’enquête dressé par M. Meva qu’il a été jeté en prison, son salaire suspendu. La curiosité, relève M. Mbita, est qu’il a été promu officier de police derrière les barreaux et, chaque deux mois, son nom figure sur la liste des policiers en faction à la Dgsn. M. Mussibe Tchawo a également rejeté tous les griefs.
Le procureur a épaissi l’intrigue lors de son réquisitoire en regrettant le fait que M. Mbondja ait été élargi bien qu’étant «fortement impliqué». Il explique que lorsque l’affaire éclate, le Dgsn, Martin Mbarga Nguele, face aux convocations incessantes de M. Mbondja au parquet, a préféré intimer l’ordre au concerné de «libérer son bureau sur le champ et de prendre sa retraite anticipée pour couvrir l’image de la police. C’est la police elle-même qui a mis le pied dans la fourmilière en démasquant le réseau de passeport». «Nous ne disons pas que ces passeports sont faux, recadre le procureur, mais c’est la procédure de délivrance qui n’a pas été respectée.» «Le commissaire Meva est considéré comme celui qui abat les têtes, chacun abat son travail», estime le procureur rejetant l’argument de règlement de compte.
A contrario, les avocats des accusés dans leurs plaidoiries ont opposé que la procédure est émaillée d’irrégularités, car le service du commissaire Meva n’est pas une unité de police judiciaire. De plus, les supposées saisies ont été fait en violation de la loi. «Est-ce une infraction de détenir les pièces personnelle d’autrui ?», se sont-ils interrogés, priant le tribunal d’acquitter leurs clients face au «système de règlement de compte» monté par le bourreau de ces derniers. Le verdict est prévu ce 23 septembre.