Témoin de Jéhovah, elle refusait d’exécuter le chant patriotique au sein de l’établissement au prétexte que sa religion le lui interdit. Le proviseur du lycée de Ndikiniméki a assimilé l’acte à de l’indiscipline puis l’a mise à la porte après l’avoir traduite au conseil de discipline. La mère de la fille juge cette décision sévère et dépourvue de base légale. Ce n’est pas l’avis de la justice.
Qui de Dieu ou de la République vient avant l’autre ? Cette question a nourri les débats le mardi, 14 juin 2022, dans le cas d’un bras de fer que livre Annette Egnoka à l’Etat du Cameroun depuis 2017. En fait la dame a traîné le ministère des Enseignements secondaires (Minesec) devant le Tribunal administratif de Yaoundé pour faire annuler la décision prise cette année-là par le proviseur du lycée bilingue de Ndikiniméki, dans le Mbam et Inoubou, portant «exclusion définitive» de sa fille, Annick, pour «indiscipline» caractérisée. A cette époque, la petite était âgée de 16 ans et inscrite en classe de seconde A4.
A l’origine du différend, le refus répété de la jeune Annick de «chanter l’hymne national» comme ses autres camarades lors des rassemblements au sein de l’établissement. Pour justifier sa position, l’élève faisait valoir ses convictions religieuses. Fidèle de la congrégation des Témoin Jéhovah, elle disait qu’elle avait interdiction de chanter l’hymne national. Une attitude qui lui a valu d’être fichée. Ses faits et gestes étaient ainsi scrutés jusqu’à ce que le proviseur décide d’y mettre un terme, l’attitude de Annick étant assimilée à de l’indiscipline voire de rébellion. Traduite au conseil de discipline pour non-respect du «règlement intérieur» du lycée, elle fut ensuite congédiée. C’est cette décision jamais digérée par Mme Egnoka, la mère de l’élève exclue, parce que jugée extrêmement sévère et sans base légale, qui a été soumise au Tribunal administratif pour annulation. En vain.
Liberté de conscience
En fait, pour les avocats de Mme Egnoka, la décision attaquée devrait être effacée parce que se fondant sur un règlement intérieur qui viole lui-même les dispositions du Préambule de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996. Ledit Préambule garantit aux citoyens camerounais les libertés de religion, de conscience et d’expression. Des dispositions qu’ils n’ont cessé à rappeler au cours de leurs interventions. «Nul ne peut être inquiété en raisons de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve du respect public et des bonnes mœurs.» «L’Etat est laïc. La neutralité et l’indépendance de l’Etat vis-à-vis de toutes les religions sont garanties.»
Les avocats de Mme Egnoka ajoutent aussi que Annick a même été victime de discrimination, les membres du conseil de discipline l’ayant comparée aux «Ambazos», surnom des combattants séparatistes qui sèment la terreur dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du pays. Or, la loi N° 98/004 du 14 avril 1998 portant orientation de l’Education nationale reconnaît aux élèves la liberté de conscience. Les avocats ont étayé leur argumentaire en citant les dispositions de l’article 34 de la loi évoquée : «L’élève a droit aux enseignements prescris par les programmes. Ce droit s’exerce dans le stricte respect d’expression, de conscience et d’information.» Pour eux, s’abstenir de chanter nationale ne saurait être assimilé à la violation d’une loi.
Par ailleurs, lesdits avocats estiment que la peine infligée à l’élève récalcitrante n’est proportionnelle à l’acte posé. Pourtant, rappellent-ils, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant exige «de prendre en toute chose en considération l’intérêt supérieur de l’enfant». «Lorsque votre enfant refuse de puiser de l’eau, vous ne le chasser pas de la maison. Vous allez chercher à le ramener pédagogiquement à respecter vos ordres», déclare un avocat.
En face, le représentant du Minesec a balayé les arguments de l’accusation en opposant que l’école publique au Cameroun est laïque. De ce fait, «on ne tient pas compte des obédiences religieux des élèves. Les activités scolaires sont les mêmes pour tous élèves sans exception». Pour asseoir la légalité de la décision attaquée, le conseil de l’Etat s’est arc-bouté sur les dispositions de l’article 36 de la loi déjà mentionnée : «Les obligations des élèves consistent 1) en l’accomplissement des taches inhérentes à leurs études. 2) Elles incluent le respect des textes en vigueur, y compris le règlement intérieur de l’établissement scolaire fréquenté». Avant de balancer : «Si l’établissement a prescrit de chanter l’hymne, on ne peut pas se prévaloir d’un principe, d’une religion pour se soustraire à la règle».
Mauvaise habitude
Pour le conseil de l’Etat, «il y a eu une sorte de graduation» de la sentence à travers des rappels à l’ordre restés sans effet. «On n’exclut pas pour exclure. L’école est faite pour former. Mais si on accepte que chaque élève fasse valoir ses particularismes, prévient-il, on tend vers le désordre. D’où le règlement intérieur.» Il martelé que l’exclusion définitive s’imposait, car «les mauvaises habitudes se contaminent dans les établissements».
Pour sa part, le ministère public a focalisé son réquisitoire sur la problématique de l’ordre public, sans clairement définir ce concept. Selon lui, les droits de Annick ont été respectés lors du conseil de discipline. Par conséquent, la décision attaquée n’est entachée d’aucune irrégularité. Il a ensuite fait savoir que «l’Etat est indifférent des signes et appartenances religieux dans l’espace public. Vous êtes Camerounais et vous devez faire ce que la loi vous impose». Il a poursuivi en indiquant qu’à côté des libertés de religion, de conscience et d’expression, il y a l’ordre public. «L’ordre public était-il menacé ? Oui», estime-t-il. «Un élève, poursuit-il, qui sait que le règlement intérieur proscrit tel comportement peut-il opposer un autre principe à l’autre public ?» «La liberté de conscience s’efface dès lors que l’ordre public est menacé», a-t-il tranché.
Finalement, le tribunal a débouté Mme Egnoka, jugeant que son recours est recevable mais non fondé. A la fin de l’audience, on pouvait apercevoir la dame en concertation avec ses avocats et les membres de son église venus assister à l’audience. Sans doute pour s’accorder sur les suites à donner à la décision du Tribunal.