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Cameroun : violente bataille judiciaire entre Pr Bahebeck et Fame Ndongo

C’est un combat de titan qui perdure entre l'universitaire et le ministre

Wed, 20 Apr 2022 Source: Kalara du 18-4-2022

Six ans après la décision suspendant le professeur de chirurgie de ses activités à l’Université de Yaoundé I pour une durée 4 ans, le tribunal administratif de Yaoundé ordonne une nouvelle enquête pour mieux cerner le litige qui l’oppose au ministre de l’Enseignement supérieur avant de se prononcer. Les juges donnent un délai de 15 jours au parquet pour que les faits au centre de la procédure judiciaire soient cernés.

C’est un combat de titan qui perdure entre le Pr Jean Bahebeck, agrégé de médecine et enseignant à l’université de Yaoundé I et le ministère de l’Enseignement supérieur (Minsup). Au cœur de cette bataille judiciaire, la contestation d’une sanction prononcée le 3 juin 2016 contre l’universitaire. Par la décision querellée, le Pr Jacques Fame Ndongo avait suspendu le professeur agrégé de chirurgie de toutes fonctions au sein de l’université de Yaoundé I pour une durée de 4 ans. Une suspension qui avait finalement été limitée à une année. Estimant malgré tout que la décision prononcée à son égard était émaillée d’une multitude de vices de forme, le Pr Bahebeck entend toujours que cette sanction soit annulée. Mais le tribunal administratif de Yaoundé, qui est chargé du dossier, vient de s’offrir une prolongation avant de se prononcer. Contre l’avis du chirurgien, le tribunal a ordonné une enquête complémentaire pour mieux cerner tous les contours du litige.

Et pourtant, cette affaire était inscrite au rôle de la juridiction administrative le mardi, 12 avril dernier, et a donné lieu à un vif débat entre les parties, via leurs mandataires respectifs. Le tribunal a décidé d’ajourner sa décision dans cette procédure judiciaire, le temps que soit bouclée l’enquête complémentaire confiée au parquet général près la Cour d’appel du Centre. En fait, le trio des juges a imparti un délai de 15 jours au parquet pour qu’il dépose son rapport. On peut comprendre après coup pourquoi, à l’appel du dossier, le président du tribunal a demandé à Me Mpeck, l’avocat du Pr Jean Bahebeck, pourquoi son client n’a pas comparu. «Le tribunal souhaite avoir le concerné à l’audience en matière disciplinaire», a dit le président Anaba Mbo. Il avait probablement des doutes à dissiper de son esprit pour asseoir sa conviction au sujet du litige à trancher.

Pour ouvrir malgré tout les débats la semaine dernière entre les parties dans le dossier en cause, le tribunal a fait une économie du rapport de l’instruction menée depuis l’introduction de la requête contentieuse du Pr Bahebeck le 12 décembre 2016. Il a donc rappelé que le professeur de chirurgie, à l’origine de la procédure judiciaire, reproche à la décision querellée du Minesup d’avoir été prononcée sur la base du rapport de la session du conseil de discipline de l’Université de Yaoundé I présidé par le Pr Maurice Sosso en sa qualité de recteur de l’Université de Yaoundé. Un conseil de discipline ayant aussi pour membre, entre autres, le Doyen de la Faculté de médecine. Ces deux responsables avaient fait l’objet d’une récusation de la part de M. Bahebeck, ce dernier estimant qu’ils ne pouvaient pas faire preuve d’impartialité à son égard, le premier étant en procès en ce moment-là avec lui devant un tribunal correction et le second s’étant rendu coupable d’un conflit d’intérêt dénoncé par le chirurgien. Ils étaient en «mission commandée», va-t-il ajouté.

Droits de la défense

La requête du Pr Bahebeck reprochait également à la décision du Pr Fame Ndongo d’avoir été prise sur la base d’une procédure au cours de laquelle son droit d’être informé des faits précis mis à sa charge avait été bafoué avant sa comparution devant le même conseil de discipline. La convocation de l’intéressé pour le conseil de discipline était muette sur lesdits faits, ce qu’il estime être une violation de ses droits. Le tribunal a donc demandé aux parties de dire si l’exigence de la communication des griefs au mis en cause pouvait être considéré comme «une formalité substantielle», si son droit à la défense avait été bafoué et si les faits finalement reprochés au chirurgien étaient «matériellement constitués».

Dans une longue prise de parole, Me Mpeck est revenu dans le menu détail sur ce qui s’était passé, estimant que le conseil discipline querellé «était destiné à sanctionner», son client. Il évoque, pour étayer son propos, une correspondance du ministre de l’Enseignement supérieur adressée au recteur de l’Université de Yaoundé I où il est prescrit «d’accélérer l’instruction de ce dossier et de convoquer le conseil de discipline, première étape pour la solution de ce problème qui perdure…» Puis l’avocat s’est interrogé : «Lorsque vous êtes convoqué à un conseil de discipline qui a pour but de solutionner un problème que vous constituez, que vous reste-t-il ? Une chose : exiger que la procédure soit scrupuleusement respectée, car, si vous ne bénéficiez pas de la protection des droits de la défense, vous n’avez plus de protection contre l’arbitraire».

Pour Me Mpeck, qui dit avoir personnellement accompagné son client pendant toutes les étapes de la procédure disciplinaire querellée, tout a été accéléré selon les instructions du ministre. De ce fait, précise-t-il, les textes et les faits à l’origine de la convocation du Pr Bahebeck ne lui ont jamais été notifiés en dépit d’une demande insistante de sa part. Il rappelle que la convocation servie à son client en vue de sa comparution devant l’instance disciplinaire ne mentionnait que les charges retenues contre lui : «insubordination et comportement violent présumés». L’instruction préalable à la tenue du conseil de discipline ne s’est pas faite en deux étapes comme le prévoit le statut spécial des personnels de l’enseignement supérieur, le texte qui devait être appliqué à son client, dit-il, puisqu’il est celui qui protège le mieux l’enseignant selon une jurisprudence établie et que «le spécial prime sur le général».

Par ailleurs, a poursuivi l’avocat, «la demande de récusation produite en pleine audience, avant toute ouverture des débats, avec des griefs à l’encontre du président du conseil de discipline, d’une part, et de Mme le doyen de la faculté de médecine, a été balayée par le Pr Edgard Patrick Abane Engolo, représentant du Minesup au conseil de discipline et devant le Tribunal administratif, qui écoute en silence son contradicteur. Me Mpeck va lire la déclaration du Pr Abane Engolo contenue dans le PV du conseil de discipline pour illustrer son propos : «Nous ne sommes pas dans un tribunal. Ici, nous sommes devant une instance consultative et pas une instance de décision», avait dit le représentant du Minesup.

Caractère difficile

L’avocat conteste cette prise de position en évoquant l’alinéa 3 de l’article 22 du décret organisant l’Université de Yaoundé I. Le conseil de discipline, relève-t-il, «se prononce sur la culpabilité du mis en cause et propose des sanctions». Pour clore son propos, l’avocat va rappeler au tribunal qu’il y a eu vices de forme dans le processus de prise de décision du Minesup et qu’il n’est pas nécessaire que l’on s’attarde sur la matérialité des faits à l’origine de la sanction de son client.

En prenant la parole, le Pr Abane Engolo prend le contre-pied de son contradicteur en interpellant pratiquement l’assistance : «Que voulons-nous pour notre pays ? Nous voulons quels genres d’enseignants pour nos enfants ?» Pour lui, il faut s’interroger sur ce qui arrive au Pr Bahebeck, l’un des rares enseignants du supérieur sur les 4.500 qui émargent au budget de l’Etat à se retrouver régulièrement devant les juridictions. Il explique qu’il s’agit d’un enseignant au caractère difficile, avant de rappeler les faits précis reprochés à son collègue et à l’origine de sa sanction : ce sont 14 griefs qu’il lit (voir encadré).

Le Pr Abane Engolo dit au tribunal que la défense est constante dans le refus de l’évocation des faits reprochés au Pr BahebecK. «Tous les éléments se trouvent dans le rapport d’instruction», dit-il. Puis, il revient sur la récusation du recteur et du doyen à siéger au sein du conseil de discipline en assumant ses propos tenus lors de la tenue de cette instance disciplinaire. «C’est une habitude de ce monsieur, fait-il à l’égard de l’enseignant de chirurgie, dès qu’il se sent en difficulté, il récuse. Il a même récusé les autres chirurgiens qui étaient dans le conseil», précise-t-il. Plus loin, il va s’interroger : «que vaut une récusation dans une instance qui évolue en toute collégialité ? On ne doit pas intervenir face à la récusation comme des robots», ajoute-il.

Il déclare que la récusation n’est pas prévue dans les textes qui régissent le fonctionnement de l’université, avant de poser la question de savoir, dans le cas où la récusation était envisagée, qui pourrait présider le conseil de discipline dès lors que le recteur le fait es qualité ? Le même problème se pose avec le doyen de la faculté de médecine, dans sa qualité de membre dudit conseil. Il soutient encore que «la récusation n’est pas obligatoire, parce que ce n’est pas substantiellement dit.

C’est une instance collégiale qui compte des enseignants de rang magistral, lesquels jouissent d’une certaine liberté… Le conseil de discipline n’est qu’une force de proposition qui donne un avis obligatoire mais pas conforme». Le Pr Abane Engolo va soutenir, dans la conclusion de son propos, la demande d’une enquête complémentaire.

Dans ses réquisitions, le ministère public demande une investigation pour clarifier les faits querellés. Le Tribunal, avant de faire sortir l’affaire du rôle, c’est-à-dire d’ajourner sa décision en attendant un nouvel examen, a accédé à sa demande en lui concédant 15 jours pour faire lumière sur la situation. Le dossier reviendra sur la table du TA à une date ultérieure.

Les faits reprochés au Pr Bayebeck

Soutien affiché des étudiants qui refusent de se soumettre aux autorités administrative et académiques de la Faculté de médecine et de sciences biomédicales (Fmsb)

Instrumentalisation des étudiants

Perturbation des évaluations (le 14 juillet 2014)

Insubordination car il a refusé d’obéir aux instructions sur l’évaluation collégiale des protocoles de thèses

Insulte publique (voire rapport 14 de son chef de département et témoignage possible des professeurs Essomba Arthur, Tetanye et Takongno Samuel notamment)

Surenchère des services orthopédiques (surfacturation des implants à l’ Hcy)

Détournement de malades de l’Hcy

Faute éthique ayant conduit au décès d’une patiente (voir lettre d’observation du directeur de l’hôpital central de Yaoundé)

Harcèlement psychologique des apprenants. Les résidents placés sous son autorité doivent obéir au doigt et à l’œil. Il leur refuse tout contact avec d’autres enseignants

Demandes d’explications répétitives et fantaisistes, econduite non justifiée des résidents

Actes violents. Il a cravaté le Pr Bob’Oyono et le Pr Leke. Il a verbalement agressé le Pr Afane Ela

Perturbation des jurys d’audition le 7 avril 2016. Il est entré violemment dans la salle muni d’un appareil photo et a déclaré « je suis Upciste; on fait les jurys en catimini. je le dénoncerai publiquement »

Endoctrinement des étudiants. Il déclare en audition préalable, à la tenue du conseil de discipline et devant le Pr Pondi le 16 mai 2016 que : « il me vouent un culte sans limite même quand on cherche à les détourner. Si un ordre leur est donné par la hiérarchie, les étudiants préfèrent suivre mes instructions »

Insubordination vis-à-vis de son chef de département Pr Bob Oyono

Source: Kalara du 18-4-2022