Dans le village de Fanda, les voix des enfants se mélangent au doux clapotis des barques sur la rive du fleuve Casamance. Le long du fleuve, des étendues d’herbes sauvages ont remplacé les anciennes rizières, qui s’étiraient à perte de vue.
Autrefois, les habitants de Fanda y cultivaient de quoi se nourrir toute l’année. Mais petit à petit, le sel du fleuve a envahi les terres, devenues incultivables.
Dans les villages à l’est de la capitale Casamançaise Ziguinchor « 90% des rizières sont abandonnées, on ne parvient plus à subvenir à nos propres besoins », déplore Aliou Cissé, secrétaire administratif et financier du Réseau National des Acteurs du Développement du Sénégal (RENADS).
Auto-suffisante et grenier du Sénégal il y a quelques années, la Casamance dépend désormais des produits importés, dont le riz.
Le changement climatique, notamment les baisses de pluviométrie, et les déplacements de populations dans les années 1990 en raison d’un conflit séparatiste, ont contribué à cette salinisation.
Sans entretien des rizières, le sel a pu s’immiscer davantage, alors que la déforestation de la mangrove contribuait à la montée des eaux. Des dégâts difficilement réversibles, même après le retour des populations.
Cette perte des rizières a accentué la précarité alimentaire des familles Casamançaises et favorisé l’exode rural des jeunes, qui quittent leurs villages pour se rendre à Ziguinchor voire Dakar. Elle s’ajoute à la diminution des ressources aquatiques, en raison de la pêche non régulée sur le fleuve, qui a décimé les poissons.
Aliou Cissé se souvient de l’abondance des ressources halieutiques pendant son enfance, passée sur les rives du fleuve. « Tout ce qui reste sont des petits poissons. Pour avoir un kg de poisson il va vous valoir 10-20 poissons, alors qu’avant 2 à 3 poissons faisaient 1 kg », explique-t-il.
« Il y avait beaucoup d’usines de poisson ici à Ziguinchor, de traitement de produits halieutiques, maintenant la plupart ont fermé. »
Au Sénégal, le chômage en zone rurale s’élève à près de 30% selon les chiffres de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie.
En Casamance, où de nombreux jeunes pratiquent des métiers informels tels que la conduite de taxi-motos, ce chiffre pourrait être plus élevé encore.
« Les maris sont obligés d’acheter du riz et les enfants ne peuvent pas travailler, donc ils partent », regrette Safiatou Diallo, mère de famille et ancienne rizicultrice.
Une petite usine à Niaguis fabrique les aliments de poissons à partir de matière première locale, à majorité végétale.
Des formations sont en cours pour inciter les jeunes à s’organiser en groupes. « Si ces jeunes parviennent à avoir des affectations sur ces terres ils vont eux même aménager les étangs en attendant d’avoir un financement de l’État », explique Aliou Cissé.
Il s’inquiète pour l’avenir de ses enfants, qui manquent de perspectives. « Avant il n’y avait pas de travail mais on avait de l’espace pour cultiver, au moins si on a du riz à la maison ça soulage un peu. Mais maintenant, il n’y a pas de riz et pas de travail, ça devient difficile ».
L’imprévisibilité du climat vient renforcer l’inquiétude des agriculteurs Casamançais, qui ont connu au cours des dernières décennies d’importants épisodes de sécheresse.
Mais les fortes pluies de 2022 et les campagnes de reforestation des mangroves ont apporté une note d’optimisme. Un espoir que, peut-être, la guerre contre le sel peut encore être gagnée.
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