Les autorités camerounaises doivent libérer immédiatement 84 enfants – dont certains n’ont que cinq ans – qui sont détenus depuis six mois à la suite de descentes effectuées dans des écoles coraniques de l’extrême nord du pays, a déclaré Amnesty International vendredi 19 juin.
Le 20 décembre 2014, les forces de sécurité camerounaises ont effectué des descentes dans plusieurs écoles de la ville de Guirvidig ; elles ont arrêté 84 enfants et 43 hommes, dont de nombreux enseignants. Seuls trois de ces enfants ont plus de 15 ans, et 47 ont moins de 10 ans. Les autorités affirment que les écoles en question servaient de couverture à des « camps d’entraînement de Boko Haram ».
Six mois après leur arrestation, les enfants concernés sont toujours détenus dans un centre pour mineurs à Maroua, la principale ville du nord, alors qu’ils n’ont été inculpés d’aucune infraction. Pour pallier la défaillance des autorités locales, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a fourni des matelas au centre, et le Programme alimentaire mondial (PAM), de la nourriture – dont les stocks commencent à s’épuiser.
« Il est impensable de maintenir des enfants de cet âge loin de leurs parents pendant si longtemps, en leur apportant si peu de soutien. Ils ne veulent rien d’autre que rentrer chez eux et être avec leurs familles. Ils ne méritent pas de subir les dommages collatéraux de la guerre contre Boko Haram », a déclaré Steve Cockburn, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour l’Afrique occidentale et centrale.
« Détenir de jeunes enfants ne permettra aucunement de protéger les Camerounais qui vivent sous la menace de Boko Haram. Le gouvernement doit tenir son engagement à respecter les droits humains dans la lutte contre Boko Haram, et libérer ces enfants afin qu’ils puissent retrouver leurs familles sans délai. »
L’année dernière, le Cameroun a considérablement renforcé la présence des forces de sécurité dans l’extrême nord du pays à la suite d’une série d’attaques de grande ampleur perpétrées par Boko Haram sur son territoire. De nombreux civils avaient été exécutés et enlevés.
Le 20 décembre, une force mixte réunissant des policiers, des gendarmes et des militaires a bouclé des quartiers de Guirvidig et effectué des descentes dans des écoles que les autorités locales accusaient de recruter des enfants pour le compte de Boko Haram. Or, aucune attaque n’avait été signalée dans la ville.
Des témoins ont rapporté que, pendant l’opération, les hommes et les garçons avaient été rassemblés et avaient attendu plusieurs heures sur une place publique, avant qu’on ne les fasse monter de force dans des camions. Les enfants ont été maintenus en détention au quartier général de la gendarmerie pendant quatre jours, puis transférés dans un centre pour mineurs dirigé par le ministère des Affaires sociales. Les hommes ont été emmenés à la prison centrale de Maroua, où ils sont toujours détenus dans des conditions extrêmement précaires.
Un enfant a expliqué à un chercheur d’Amnesty International ce qui s’était passé : « Nous étions en train de lire le Coran lorsque des agents des forces de sécurité ont fait irruption dans notre école. Ils ont demandé nos cartes d’identité et nous ont interrogés. Ils ont dit qu’ils allaient creuser une tombe et nous jeter dedans. Nous étions terrorisés. Ensuite, ils ont brutalisé nos professeurs... certains avaient le visage couvert de sang. »
Selon les témoignages recueillis par Amnesty International, les agents sont aussi entrés de force dans plusieurs maisons, où ils ont confisqué des biens et réclamé des pots-de-vin. Un père a vu des personnes remettre de l’argent aux forces de sécurité pour faire relâcher leurs fils. « Ce jour-là, je n’avais pas d’argent alors ils ont emmené mon fils », a-t-il déclaré.
Plusieurs hommes ont été battus au moment de leur arrestation, notamment un professeur de 39 ans enseignant dans une école coranique. Des délégués d’Amnesty International l’ont rencontré à la prison de Maroua. Il n’arrivait pas à tenir sa tête droite et avait besoin d’aide pour marcher. Il a été hospitalisé pour traiter une tuberculose mais ses blessures n’ont pas encore été soignées.
Les chercheurs d’Amnesty International ont soulevé directement la question des mineurs détenus auprès de nombreuses autorités camerounaises. Bien que la plupart d’entre elles reconnaissent que ces enfants ne constituent pas une menace, aucune n’a pris la responsabilité de faciliter leur libération ni leur réintégration, les laissant ainsi dans le flou.
Amnesty International demande que tous les enfants de moins de 15 ans soient immédiatement libérés et rendus à leurs familles et que ceux de plus de 15 ans soient libérés sans délai, à moins qu’ils ne soient inculpés d’une infraction dûment reconnue par la loi. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle le Cameroun est partie, fixe l’âge de la responsabilité pénale à 15 ans.
En outre, Amnesty International appelle les autorités camerounaises à diligenter une enquête indépendante sur les arrestations collectives qui ont eu lieu à Guirvidig et les placements en détention qui ont suivi, ainsi qu’à veiller à ce que les hommes interpellés pendant l’opération bénéficient d’un procès équitable et de conditions de détention respectueuses de la dignité humaine.