Le livre "Au Cameroun de Paul Biya" expose les complicités entourant le régime de Paul Biya. Cette particularité camerounaise se manifeste par la joie exprimée à Douala et à Yaoundé à chaque but encaissé ou partie perdue par l'équipe de France de football, en signe de ressentiment envers la France. Selon de nombreux Camerounais, Paris est en partie responsable de la longévité du régime Biya en ayant soutenu le président lors de moments critiques.
Au début des années 1990, alors que la contestation populaire menaçait la présidence de Biya, la France a joué un rôle déterminant pour maintenir le président au pouvoir. Elle a accordé un soutien financier considérable en augmentant son aide annuelle, permettant ainsi à Biya de faire face aux difficultés économiques et de réprimer l'opposition avec les forces de sécurité. La France est intervenue pour sauver le régime à plusieurs reprises en accordant des prêts et en évitant des sanctions internationales.
Même lorsque le Cameroun ne respectait pas ses engagements avec les institutions financières internationales, la France est intervenue pour l'aider à éviter les conséquences négatives. À un moment donné, le programme post-dévaluation du franc CFA conclu avec le FMI a échoué après seulement six semaines, mais Paris a continué à soutenir le régime.
Les diplomates français présents à Yaoundé veillent à éviter toute tension avec le régime Biya et reprennent parfois le discours du pouvoir, notamment en excluant toute possibilité d'un président bamiléké. La France a également apporté un soutien technique sur le plan sécuritaire en aidant à réformer l'armée sous la direction du général Raymond Germanos.
Des personnalités politiques françaises, tant de la gauche que de la droite, ont été impliquées dans des interactions avec Biya et ont été invitées à des événements officiels au Cameroun pour renforcer la stature internationale du président.
Cette analyse met en évidence les liens étroits entre la France et le régime de Paul Biya, soulevant des questions sur l'indépendance politique du Cameroun et les intérêts en jeu dans cette relation complexe entre les deux nations.
Complicités
C’est sans doute une particularité camerounaise : à Douala et à Yaoundé, une clameur de joie accueille chaque but encaissé ou chaque partie perdue par l’équipe de France de football, quelle que soit l’importance du match et quel que soit son adversaire. Ainsi s’exprime le profond ressentiment qu’éprouvent beaucoup de Camerounais vis-à-vis de l’Hexagone. Pour eux, Paris, après avoir violé les termes du mandat confié par l’ONU, organisé la sévère répression contre l’UPC et favorisé l’arrivée au pouvoir d’Ahidjo, est en partie responsable de la longévité du régime Biya. Tout en se montrant toujours extrêmement indulgente à son égard, la France a en effet sauvé à plusieurs reprises le président de la chute, et tout particulièrement au début des années 1990 alors que la contestation populaire menaçait de l’emporter.
À l’époque, le soutien français était d’abord passé par Elf: le pétrolier avait financé la campagne électorale de Biya, alors à cours d’argent, pour la présidentielle de 1992. Il s’était ensuite manifesté au lendemain de cette élection contestée: Paris avait envoyé à Biya un message de félicitations pour sa réélection alors que plusieurs autres partenaires internationaux du Cameroun contestaient avec virulence les résultats du scrutin, accusant le pouvoir d’avoir fraudé. Pour protester contre l’attitude des autorités camerounaises, Berlin avait même annoncé la suspension d’une grande partie de son aide bilatérale : cette dernière était passée de 50 millions de dollars en 1992 à un peu plus de 30 millions en 1993. Les États-Unis avaient fait de même : ils avaient multiplié les condamnations et demandé que l’état d’urgence instauré après l’élection soit levé, ainsi que la mise en résidence surveillée de Fru Ndi. Ils avaient également considérablement réduit leur aide1 . De son côté, le Parlement européen avait invité la Commission européenne à faire une enquête sur le respect des droits de l’homme au Cameroun. Il était allé jusqu’à affirmer que Biya ne pouvait « se prévaloir d’aucune légitimité démocratique ». Les bailleurs de fonds du Cameroun avaient alors largement la possibilité de faire plier le régime : celui-ci était complètement asphyxié financièrement, avec d’importants arriérés de paiements dus aux institutions financières internationales. Mais la France n’a pas voulu voir Biya quitter la tête du pays. Se méfiant de l’Anglophone Fru Ndi et voyant l’ombre de Washington derrière l’opposition et le FMI, elleachoisi de remettre Biya à flots en l’aidant sur le plan financier: son aide annuelle a plus que doublé, passant de 175 millions de dollars en 1991 à plus de 407 millions en 1992. Le Cameroun, qui avait déjà eu en 1991 le soutien de la France pour obtenir du FMI un nouveau prêt, est devenu à cette période le deuxième plus grand bénéficiaire de l’aide financière française, derrière la Côte d’Ivoire. Grâce à l’argent donné par Paris, Yaoundé a pu payer les salaires des fonctionnaires et tout particulièrement celui des forces de sécurité engagées dans la répression de l’opposition. Oubliant le discours mitterrandien de La Baule sur la démocratie, le gouvernement français a ainsi sapé les efforts fournis par les opposants camerounais et les autres bailleurs de fonds du pays en vue d’un changement démocratique.
L’appui de Paris ne s’est pas démenti par la suite : début 1993, la France a de nouveau fait au Cameroun un prêt de 600 millions de francs français, qu’elle a en grande partie directement versé à la Banque mondiale pour payer les arriérés camerounais. Même chose l’année suivante, en 1994 : elle a soutenu le Cameroun face aux institutions financières internationales, qui menaçaient d’arrêter leurs décaissements en sa faveur, Yaoundé ne respectant toujours pas ses engagements. « Paris couronne la banqueroute camerounaise. Ceux qui avaient la certitude de l’exclusion cette fois du Cameroun doivent déchanter. Les intérêts néo-coloniaux l’emporteront toujours puisque la mise en accusation du pays au Tribunal du FMI n’est qu’une mise en scène à laquelle il faut se familiariser. Nous sommes les dindons de la farce des emmerdeurs: le FMI et le régime en place », a commenté le journal camerounais Génération . Cette année-là, le Cameroun a battu un « record mondial » : le programme post-dévaluation du franc CFA conclu avec le FMI « a périclité six semaines seulement après sa conclusion » 3 . Au même moment, Paris a évité au président Biya une autre mauvaise surprise en l’aidant à déjouer un coup d’État: « Il s’agissait d’une révolte de palais qui, au sein d’un État totalement “patrimonialisé” par les Beti, l’ethnie de Paul Biya, devait raffermir l’emprise du groupe en écartant le roi fainéant. Mis au courant, François Mitterrand a aussitôt prévenu Paul Biya, par le canal de... son fils aîné, aujourd’hui dans le privé. Ensuite, le patron des services secrets (DGSE), Jacques Dewattre, a fait le voyage de Yaoundé pour “déminer” le terrain » 4 . Entre Paris et Yaoundé, il y a juste eu une brève période de froid après l’élection de Jacques Chirac, en 1995 : Biya avait plutôt misé sur Balladur, suivant les avis de l’ex-ambassadeur de France au Cameroun (1984-1993) Yvon Omnès, devenu... son conseiller. Mais l’erreur a été vite réparée, si bien qu’au lendemain de l’élection présidentielle de 2004 Chirac a félicité Biya pour sa réélection, alors que le résultat du scrutin présidentiel n’avait pas encore été officiellement publié. Les diplomates français présents à Yaoundé veillent de manière générale à éviter toute tension avec le régime Biya : selon leurs homologues européens, ils ont tenté, début 2009, de faire échouer un projet de déclaration commune de l’Union européenne critiquant la nomination des membres d’Elecam. Le communiqué a dû finalement passer par Bruxelles pour être adopté.
Il arrive aussi que les représentants de Paris à Yaoundé reprennent à leur compte le discours du pouvoir. « Les Camerounais ne sont pas prêts à avoir un président bamiléké », expliquait l’un d’eux au cours des années 2000, reprenant ainsi en substance l’exclamation de Joseph Owona en 1994 : « Un bamiléké à Étoudi ? Jamais! » La France appuie aussi techniquement Yaoundé, notamment sur le plan sécuritaire: elle a aidé à une réforme de l’armée en 2001 sous la direction du général Raymond Germanos5 . Entre 2008 et 2010, le ministre de la Coopération Alain Joyandet s’est quant à lui rendu à plusieurs reprises au Cameroun. Plusieurs personnalités de la scène politique française ont également participé à une conférence organisée par la présidence en 2010, à Yaoundé, à l’occasion du Cinquantenaire des indépendances africaines, et destinée à donner une stature internationale à Biya à un an de la présidentielle. Les socialistes Michel Charasse et Michel Rocard, par ailleurs régulièrement reçu par Biya à la présidence , ou les membres de l’UMP Alain Juppé et Jacques Toubon faisaient partie de ceux qui avaient répondu à l’invitation de Yaoundé.