Démissionnaire du Social democratic Front en novembre 2016, l’homme politique réputé pour son franc-parler vient de mettre un terme à sa fonction de conseiller municipal. Dans cette interview accordée à La Voix Du Koat, Elimbi Lobe fait le point sur sa démission. Et fustige vertement l’opposition, qu’il accuse d’avoir participé à la victoire de Paul Biya à la présidentielle de 2018.
Vous avez démissionné le 16 octobre 2018, de votre fonction de conseiller municipal à la mairie de Douala V. Expliquez-nous cette décision…
Tout le monde sait que je n’ai jamais été d’accord avec la décision du président de la République de proroger les mandats. J’estime que c’est lui qui s’est organisé depuis 2011-2012, pour que les mandats soient prorogés. En 2013 il y a eu les élections sénatoriales, municipales et législatives. Son mandat étant de sept ans et qu’il a été élu en 2011, le président s’était organisé pour que tous les mandats correspondent à 2018. Lui-même, dans son discours à la nation de décembre 2017, a présenté 2018 comme une grande année électorale, après avoir pris des dispositions pour que dans le budget de Finances de 2018, on inscrive 50milliards de Fcfa. Ce qui a permis à tout le monde de voir que 2018 allait effectivement être une grande année électorale. On a été surpris qu’au dernier moment, le président, pour ses calculs personnels et les intérêts de son parti, décide de reporter les élections législatives et municipales.
Une énième fois que le président refuse de respecter le calendrier électoral et que cette récurrence de la violation du calendrier constitue des actes de mauvaise gouvernance. Ayant compris qu’il n’était pas bon pour nous de tirer profit des actes de mauvaise gouvernance, puisque la prorogation du mandat rapporte environ 800milles à 1million de Fcfa pour les conseillers municipaux, et au moins 20millions Fcfa pour les députés. J’ai décidé que, mon mandat se terminant le 16 octobre 2018, et qu’à la fin de ce mandat je n’ai pas besoin du mandat que le président de la République m’ajoute –ce que je lui demande c’est d’organiser des élections et respecter les échéances-, j’ai estimé qu’il était temps de partir. Je n’ai pas besoin de profiter de ses décisions de mauvaise gouvernance, qui s’accompagnent d’une rente financière et qui amènent les gens à adhérer, parce que dès qu’il y a l’argent, l’opposition a tendance à adhérer. Je ne fonctionne pas comme ça. Mon mandat est terminé. Je m’en vais.
Depuis votre démission du Sdf, des voix vous pressentent au Mrc. Où déposerez-vous votre valise ?
Je suis comme la Bible. Chacun me lit et il interprète ce qu’il veut. Il y en a qui me pressentent au Mrc, d’autres qui me pressentent dans un mouvement dont je ne comprends pas bien le rôle, à savoir 11Millions d’Inscrits. D’autres me pressentent ailleurs. Que chacun me pressente où il veut mais que chacun sache que ce que je veux c’est l’unité de l’opposition, à l’occasion des élections législatives qui arrivent en 2019. Si nous recommençons ce que nous venons de faire aux élections présidentielles, pour lesquelles j’ai sonné le tocsin, d’autres avec moi. Nous avons attiré l’attention des uns et des autres que le désordre est une source d’échec ; qu’il n’y a nulle part au monde où le désordre a permis aux gens de construire quelque chose de viable, et que si nous allons en désordre nous allons échouer. Maintenant chacun pense qu’il peut se tirer des affaires en recrutant tel meilleur. La compétition semble être la compétition au recrutement, mais il ne s’agit pas de ça. Il est question d’une union des forces, des ressources humaines. Voyez le contentieux post-électoral. Il a montré que l’opposition avait beaucoup de défaillance, un manque d’hommes bien qualifiés et bien préparés. Une batterie d’avocats qui ne pratiquent pas le Code électoral ne nous sert absolument à rien. Tout le monde a vu qu’il parlait de tout, sauf de ce qui concerne les élections.
Est-ce que c’est raisonnable que vous plaidiez pendant 15heures de temps, qu’on vous réponde en 5minutes et vous tombez ? Ça veut dire que tout ce que vous avez dit pendant ces 15heures ne correspondait pas à ce que le Conseil Constitutionnel attendait. Il vous attend sur le terrain des preuves de vos allégations. Vous ne les avez pas parce que vous n’étiez pas dans les bureaux de vote. Et pourtant on vous a prévenu qu’il y aura au moins 25mille bureaux de vote.
Et que vous –les différents candidats- n’avez pas les moyens de mettre individuellement 25mille personnes dans les bureaux de vote. Fallait-il qu’ils échouent d’abord pour que, toute honte bue, ils reconnaissent aujourd’hui leur incapacité ? L’opposition est responsable de notre échec, et bientôt vous les verrez courir sur les plateaux, chacun pour soutenir qu’il voulait la coalition mais les autres pas. Ce que nous savons, c’est qu’ils ont tout dit vouloir la coalition, qu’il y avait une prolifération des mains tendues pour la coalition. Il y a donc tellement eu de mains tendues, qu’ils n’ont pas fait de coalition. Ils avaient d’autres agendas, d’autres intérêts. On doit retenir que nous savons aujourd’hui ce qui nous fait échouer, et précisément pour cette élection qui vient de se terminer, nous savons ceux qui nous ont fait échouer. Nous devons les avoir à l’œil par rapport à l’année prochaine, qui reste la seule opportunité que nous avons de pouvoir contrôler une partie du pouvoir et empêcher Biya de régner en maître absolu.
Vous martelez qu’il n’y a pas eu de coalition. On a bien vu Akere Muna se rallier au le Mrc de Maurice Kamto…
Pour nous ce n’était pas une coalition. Pour nous, une coalition avait pour objet d’avoir un candidat autour de qui nous nous mobilisons. Nous avons dit à nos différents pairs de s’asseoir, de s’entendre, qu’il y ait un candidat à la présidence, qu’il y ait un futur premier ministrable, que les autres prennent les responsabilités de souveraineté pour pouvoir mettre en œuvre le programme de transition que nous aurons arrêté ensemble. Est-ce que ce que monsieur Akere Muna a fait avec monsieur Maurice Kamto obéit à ce programme ? Non. Est-ce que Akere Muna a battu campagne avec Maurice Kamto ? Non. Pendant quatorze jours ils étaient ennemis. C’est au quinzième jour, alors que la campagne s’achève, qu’Akere Muna n’a battu aucune campagne avec Kamto, ils n’ont rien échangé publiquement ensemble, personne ne l’a vu soutenir Kamto… que monsieur Akere Muna décide de soutenir Kamto. Il le fait dans une confusion totale contre laquelle nous avons attiré l’attention des uns et des autres en disant que si vous vous désistez après l’impression des bulletins de vote, vous allez bien plus nous compliquer les choses. Les faits ne commencent pas aujourd’hui. C’est peut-être le cas pour monsieur Akere Muna, qui ne savait rien du système électoral, parce qu’il y allait pour la première fois. Mais nous qui savons comment ça se passe, qui savons qu’Ekindi a eu à désister en 2004 en faveur de monsieur John Fru Ndi à la dernière minute, alors que les bulletins étaient imprimés. Ça n’avait pas empêché que les bulletins d’Ekindi soient dans les bureaux de vote, et qu’il ait des suffrages. L’histoire se répète, à cause des impénitences du mal, des têtus, qui croient que c’est le jour qu’ils arrivent en politique que la politique commence.
Mais la politique a commencé longtemps, bien avant eux tous. Nous sommes dans la politique pendant qu’ils étaient au pouvoir. Nous savons comment ils nous ont combattus quand ils étaient au pouvoir, au profit du Rdpc. Leur ralliement à l’opposition aujourd’hui est pour nous un épiphénomène. Nous savons comment par leurs comportements ils peuvent être dangereux. Nous voyons aujourd’hui que ce n’est pas avec un candidat qui était ministre de Biya pendant sept ans ; un Akere Muna qui était client du régime des années durant ; un Paul Eric Kingue qui était un militant du Rdpc et jouissait des privilèges que la fraude électorale pouvait conférer à des tiers et se faisait élire dans la fraude électorale pendant que nous pleurions ; ce n’est pas un monsieur Penda Ekoka, qui a participé pendant plus d’une vingtaine d’années à bâtir le régime, qui viendra nous aider à le défaire. Vous avez donc vu qu’ils ne nous ont pas aidés à le défaire. Ils ont fragilisé l’opposition. L’opposition vient d’être battue. Il appartient donc à chacun d’entre nous, certes de tourner la page, mais d’en tirant les leçons. Il n’y a nulle part dans le monde où l’union a été une source de faiblesse.