Corruption : le Cameroun éventré aux yeux du monde

Corruption ou motivation

Fri, 25 Aug 2023 Source: Le Jour n°3987 du 25 août 2023

Notre pays, plus exactement notre administration, s’enfonce dans de petites combines qui sont en passe de devenir de véritables lois tacites. Pour le moment, elles ne sont que des habitudes, de très mauvaises habitudes, dans la mesure où, sans être ni des obligations, ni des droits, elles prospèrent au vu et au su de tout le monde.

Le plus curieux est le fait que tout le monde semble s’en plaigne, pendant que tout le monde fait comme tout le monde… C’est précisément dans cette situation, déplorable et pénible, que nous nous trouvons aujourd’hui, lorsque, au niveau de l’administration, nous avons un service à solliciter.

À tous les coups, nous avons, afin que notre dossier soit traité dans de bonnes conditions et relativement vite, le devoir de nous rendre intéressants auprès de la personne qui en a la charge. Et il n’y a pas mille manières de plaire à ces fonctionnaires placés sur la route difficile qu’emprunte notre dossier : il faut donner de l’argent…

Pour adopter le langage qu’on utilise, on parle alors de « motivation ». Que celui qui peut comprendre comprenne ! Une bonne « motivation » ne se négocie pas. Elle est plutôt discrète ; elle prend souvent la forme élégante d’un merci adressé au bienfaiteur qui vous a rendu service, à votre entière satisfaction, sans vous poser quelque condition que ce soit, ni vous harceler de quelque manière.

En fait, le fonctionnaire ou l’agent que l’on remercie ainsi n’a fait que son travail, tel que l’avait prévu le texte de sa nomination… Généralement, la « motivation » arrive après le service rendu ; il peut aussi le précéder exceptionnellement, afin que le rythme du travail connaisse une plus grande accélération.

De plus, le montant de la motivation est laissé à l’entière discrétion de chaque donateur. Cependant, plus le volume de la « motivation » est conséquent, mieux vous huilez le circuit, en vous faisant, au passage, des amis qui sauront montrer, demain, beaucoup plus de zèle, quand d’autres dossiers vous concernant tomberont dans leurs mains…

Compte tenu de la manière plutôt originale dont les Africains, en général, et les Camerounais, en particulier, gèrent leurs relations sociales, la « motivation » proprement dite ne fait de mal à personne. Malheureusement, les « motivations » d’aujourd’hui sont devenues vicieuses. Pire, elles sont désormais presque aussi exigeantes que les fruits de la corruption… La corruption reste, elle, ce qu’elle a toujours été : détestable, contraignante et brutale.

Elle est illégale ; mais, des Camerounais en raffolent et la pratiquent à ciel ouvert. On pourrait dire que la corruption est définitivement entrée dans nos mœurs. Tout le monde en rit, pour ne pas pleurer. En banalisant l’affaire, au niveau de la Fonction publique, nos compatriotes disent, en rigolant, que la corruption trouve sa justification dans le fameux Article 2, qui insiste sur les avantages liés à la Fonction.

Et ces avantages vont chercher dans tous les sens, dans tous les domaines et dans tous les services. Prenez, par exemple, le sous-préfet du coin. Si ce chef de terre est invité à aller présider une palabre de famille où deux cousins se chamaillent à cause d’un bout de terrain, les deux antagonistes sont tenus de réunir chacun des dizaines de milliers de francs, pour un règlement à l’amiable qu’on va leur proposer.

Bien entendu, ils ne devront pas oublier, non plus, le repas grâce auquel le sous-préfet et tous ceux qui l’accompagnent vont se refaire les forces. Le même parcours du combattant attend le paysan du village, qui ira prier le commandant de Brigade de venir constater la mort suspecte d’un voisin, dont le corps a été découvert, par hasard, dans un bosquet.

L’homme en tenue ne pourra pas se déplacer, comme ça, tant qu’il n’y a pas de carburant dans le réservoir, même si la brigade ne dispose d’aucun véhicule… Dans ce chapitre, c’est, dit-on, les fonctionnaires qui s’occupent de nos problèmes fonciers qui font le plein : là-bas, ils seraient payés en… hectares de terrain. Corruption ou motivation ? La ligne qui sépare les deux maux est de moins en moins nette…

Patrice Etoundi Mballa

Source: Le Jour n°3987 du 25 août 2023