Covid-19: des petits meurtres signalés à Etoudi

Au Palais d'Etoudi

Thu, 21 Oct 2021 Source: La Voix du Centre

Ferdinand Ngoh Ngoh crée un effet boule de neige en obligeant le vaccin au palais d’Etoudi alors même que le président n’y est pas favorable.

Les habitués du palais d’Etoudi le savent : partir du bureau du secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr) pour celui du président vous oblige à emprunter un interminable couloir qui débouche sur un ascenseur, c’est ce dernier qui vous conduit un étage plus haut.

Cet itinéraire aux allures de carte au trésor illustre bien la distance à parcourir sur l’échelle du pouvoir entre Ferdinand Ngoh Ngoh et son patron muré un étage au-dessus de son bureau. Paul Biya, en 39 ans de présence à la tête de l’État, a d’ailleurs toujours veillé à faire respecter cette distance entre lui et tous les Sgpr qui sont passés à Etoudi. Et pourtant, ces derniers jours, la chronique populaire a le sentiment que Ngoh Ngoh a franchi la ligne rouge… crânement. Pourquoi ?

Dans un document devenu viral sur les réseaux sociaux, ce diplomate de 60 ans a décidé d’imposer la vaccination contre la Covid-19 à tous les personnels de la présidence de la République. Une décision pour le moins curieuse quand on sait que Paul Biya, jusqu’ici, n’a jamais cru bon de parler de vaccination obligatoire.

Appelé à s’exprimer sur la lutte contre la pandémie actuelle, le président a clairement fait savoir que « la vaccination est certes nécessaire, mais elle n’est pas obligatoire ». En clair, le locataire du palais d’Etoudi évite de trancher quitte à rester ambigu.

Un périlleux exercice d’équilibre pour ne pas se mettre à dos l’opinion nationale, réfractaire à toute idée de vaccination obligatoire, et pour ne pas s’attirer les critiques acerbes de la communauté internationale et des puissantes firmes pharmaceutiques, favorables à la vaccination pour tous. C’est du moins l’analyse d’un observateur de la vie politique du Cameroun.

Dans la hiérarchie du pouvoir, l’entonnoir a-t-elle fini par s’inverser ? Un proche du Sgpr proteste contre cette analyse qu’il trouve ridicule. Il évoque à la place l’urgence de « l’ordre public sanitaire ». Un argument recevable quand on sait que la pandémie est encore loin d’être éradiquée et que l’hypothèse de la propagation de nouveaux variants n’est pas à exclure.

Seul problème : même dans le cas de l’ordre public sanitaire la vaccination obligatoire ne s’explique pas. Le personnel sanitaire indique que d’autres mesures sont toutes aussi efficaces tout en laissant à. chaque Camerounais le choix de se vacciner ou non.

A titre d’exemple, à la Société de presse et d’édition du Cameroun (Sopecam), Marie Claire Nnana, le directeur général, exige de ses employés soit la vaccination obligatoire, soit un test contre la Covid-19 datant de moins de cinq jours. Ceux qui ne veulent pas se faire vacciner renouvellent leur test chaque semaine pour ne pas mettre leurs collègues en danger.

En évacuant définitivement cette hypothèse sanitaire d’urgence, il ne reste plus sur la table de nombreuses explications. La plus répandue dans l’opinion est celle d’une défiance manifestée par cette envie de niveler la différence de pouvoir entre les deux hommes forts de la République. Une analyse soutenue par plusieurs observateurs attentifs de la vie politique camerounaise.

Ces derniers en veulent pour preuve le fait que d’autres patrons d’administration ont commencé à imiter Ngoh Ngoh. Sa décision a en tout cas créé un effet boule de neige. « Le, Sgpr est le1 patron de l’administration du pays, il ne peut donc pas avoir parlé que pour la présidence. Le mal est plus profond que cela », tance justement un de ces observateurs.

Il n’est donc pas étonnant de voir Grégoire Mvongo, le gouverneur de la région de l’Est, faire « le tour de certaines administrations pour obliger les gens à se vacciner », comme le fait savoir un enseignant en poste à Bertoua, la principale ville de la région de l’Est. « Il [le gouverneur] peut le faire ailleurs, mais s’il vient au lycée, nous les enseignants nous allons effectivement rentrer et lui abandonner les élèves parce que personne parmi nous ne souhaite se vacciner », poursuit l’enseignant, un tantinet moqueur.

C’est la preuve même que la vaccination forcée reste très impopulaire au Cameroun, et plus largement en Afrique subsaharienne. Mais les propos railleurs de cet enseignant interrogent surtout « outrecuidance » de ce Sgpr omniprésent et à qui on prête une influence sans cesse croissante. Pour la presse, Ngoh Ngoh tire sans aucun doute des plans sur la comète. C’est à tél point qu’un confrère, qui a pignon sur rue, n’a pas hésité à le comparer au « vice-président ».

Il est vrai que cet originaire de Minta, dans la Haute-Sanaga, est de tous râteliers politiques. C’est lui l’homme derrière la Task-force chargée de préparer l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) Total Energie 2021, qui s’ouvre le 9 janvier prochain’ en terre camerounaise. Ce n’est- pas tout. Ngoh Ngoh gère aussi les dossiers prioritaires du régime Biya.

C’était le cas lors des revendications d’une frange de l’opposition qui appelait à marcher pour dénoncer « la victoire volée » de Paul Biya à la présidentielle de 2018. On le retrouve aussi à la manœuvre des dossiers économiques sensibles. Au plus fort du contentieux entre la Direction générale des impôts et Société anonyme les brasseries du Cameroun (SABC), c’est encore Ngoh Ngoh qui a été appelé à concilier les deux parties…

A force de trancher et de décider le Sgpr en est-il arrivé à se permettre des largesses inenvisageables ? La question est posée. Au point où beaucoup n’hésitent plus à dire que « Ngoh Ngoh gouverne dans un gouvernement ». Un jeu sémantique qui inquiète.

Pour le moment, le président est resté silencieux. -Un silence qui se fait de plus en plus lourd. A moins qu’il ait décidé d’utiliser son Sgpr comme fusible dans cette affaire de vaccination obligatoire. « Nous sommes en plein dans la diplomatie du- vaccin. Les gouvernants partout dans le monde doivent trancher quitte à se mettre le peuple à dos. Un choix que Paul Biya n’a plus à faire », indique une de nos sources.

En sortant du rang, Ngoh Ngoh a sans doute choisi de se mettre une balle dans le pied. Et pour ne rien arranger, le président ne bouge pas le petit doigt pour créer un cadre juridique à la vaccination obligatoire. Sur les foras d’avocats, les robes noires discutent justement sur la légalité d’une telle mesure.

« Cette mesure ne peut pas prospérer. Les lois sont votées à l’Assemblée nationale et à ma connaissance ce n’est pas le’ cas de la vaccination obligatoire. Il s’agit-là d’un excès de pouvoir, un contentieux qui se règle au tribunal administratif », explique justement un avocat inscrit au barreau des avocats du Cameroun.

Ce dernier est convaincu que cette mesure va faire pschitt, alors même que d’autres responsables publics s’apprêtent eux aussi à imposer la vaccination à leur personnel

Source: La Voix du Centre