L’ancien ministre et Député RDPC estime que la récente sortie d’Abouem à Tchoyi se limite aux constats. Pourtant, en sa qualité de témoin privilégié de l’histoire, il eut été souhaitable qu’il esquissât quelques ébauches de solutions pour permettre d’apporter une réponse durable, voire définitive, à cette lancinante question.
Nous allons nous essayer à un exercice fort risqué, celui de faire un commentaire composé du texte de S.E. Abouem à Tchoyi sur la « Question Anglophone ».
À notre sens, ledit texte soulève plusieurs questions que l’on pourrait résumer en trois, à savoir:
1- L’instauration d’un État unitaire fortement centralisé. L’autonomie des collectivités territoriales est très réduite et, sur du point de vue juridique, il n’existe qu’une seule personne morale de droit public : l’État. Ainsi, tous les pouvoirs constitutionnels sont regroupés entre les mains d'un niveau unique de gouvernement qui dispose seul du pouvoir normatif et auquel tous les citoyens sont soumis. L'État unitaire s'oppose à l'État fédéral ou confédéral où la souveraineté est partagée avec les États fédérés ou confédérés.
2- L’instauration d’un régime de type « présidentialiste », lequel est un système de gouvernement issu d'une altération à la fois du régime politique américain dit « présidentiel » et du régime français de la Vème République dit « parlementarisme rationalisé », dans lequel le chef de l'État est en même temps chef du gouvernement. Ici, dans la pratique du pouvoir, c’est le Président qui domine les autres Pouvoirs (législatif et judiciaire) et transforme le Premier ministre en premier des ministres, un « primum inter pares ».
3- Le non-respect du « Gentleman Agreement » entre les autorités du Cameroun occidental (Anglophone) et celles du Cameroun oriental (Francophone) lors de la conférence de Foumban du 16 juillet 1961 sur « Les conditions d’une réunification effective du Cameroun ». Le devoir de mémoire nous impose de relever qu’à l’issue de la conférence le 21 juillet 1961, les protagonistes ont opté pour la fédération.
Toutefois, le choix de cette option reposait sur un malentendu, car les leaders des deux délégations (celle du Cameroun oriental et celle du Cameroun occidental), n’avaient pas la même vision de la fédération. Il convient de classer ici la question de la non-pratique effective de l’anglais comme langue officielle, au même titre que le français. Au regard des positions occupées pendant sa longue et brillante carrière politique notamment en tant que gouverneur des provinces du Nord-ouest et du Sud-ouest, le papier de S.E Abouem à Tchoyi présente un intérêt évident.
Dans le fond, l’analyse de cet ancien Haut Commis de l’État ne manque pas de pertinence et permet une meilleure compréhension de la « Question anglophone ». Cependant, son papier me laisse sur la faim, car il se limite aux constats. Au vu de son expertise et en sa qualité de témoin privilégié de l’histoire, il eut été souhaitable qu’il esquissât quelques ébauches de solutions pour permettre d’apporter une réponse durable, voire définitive, à cette lancinante question.
Mon avis sur la forme de l’État
Vous me permettrez dire un mot sur la question soulevée par une faction du mouvement politique anglophone appelé Southern Cameroon national council (SCNC) et prônant la sécession des Régions « Anglophones » du Nord-ouest et du Sud-ouest et la création de l’État indépendant d’Ambazonie. Il est bon de dire haut et fort à ceux de nos compatriotes qui feraient partie de cette faction du SCNC qu’il s’agit d’un combat perdu d’avance en raison du principe de droit international appelé le « Uti possidetis » reconnu par la communauté internationale et lequel consacre le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Concernant le retour à l’État fédéral, j’observe que cette question éminemment politique n’intéresse pas que nos compatriotes anglophones. Cette éventualité fait des émules chez les compatriotes francophones.
Dès lors, il est difficile d’avoir un avis tranché sur la question et seul un sondage sérieux et indépendant pourrait permettre de se faire une idée plus précise sur le poids des Camerounaises et Camerounais qui souhaitent ce retour à l’État fédéral afin que, si nécessaire, soit organisé un référendum. Je voudrais juste me permettre de rappeler que la souveraineté appartient au peuple. Si je pouvais me risquer à faire un commentaire, je dirais que la décentralisation telle que consignée dans la Constitution de 1996 et les textes d’application aurait pu permettre de répondre à bon nombre de préoccupations. Hélas, cette décentralisation a un goût d’inachevé, tout au moins parce que l’une des deux entités décentralisées, à savoir la Région, n’existe que sur le papier. Je pense sincèrement que les Camerounais et Camerounaises pourraient bien se satisfaire d’un État unitaire, mais avec une forte dose de « Régionalisation » ; comme en France, en Italie ou en Espagne.
Sortir de la crise et trouver des solutions durables
Sortir de la crise et trouver des solutions durables à la « Questions Anglophone » passe à mon sens par un dialogue franc et sincère, tous les protagonistes étant mus par l’intérêt général et le désir du vivre ensemble. Je voudrais saisir cette occasion pour relever que dans sa Décision N°266/03 rendue au cours de sa 45e session tenue du 13 au 27 mai 2009 dans l’affaire opposant Kevin Mgwanga Gunme et al / Cameroon, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avaient fait un en semble de recommandations en direction tant de l’État du SCNC. Il est difficile de savoir s’il y a eu de part et d’autre une volonté réelle de mettre en œuvre ces recommandations.
Toujours est-il que ce serait une bonne base pour un dialogue. Et concernant la conduite de ce dialogue, je recommande que l’état du Cameroun sollicite l’assistance des Nations Unies, de l’Union africaine, de la France, de la Grande-Bretagne et du Canada. Au-delà et pour terminer, je pense sincèrement qu’il faut aller au-delà de la simple querelle sur la forme de l’État pour poser plus sérieusement la question de la protection des minorités tribo-ethniques (Pygmées, Sawa etc.) et linguistiques (Anglophones) au Cameroun. Cette protection des minorités s’impose à l’État du Cameroun qui a souscrit divers instruments juridiques internationaux prescrivant que des dispositions constitutionnelles soient prises dans ce sens.
Dieudonné Ambassa Zang
Ancien ministre et ancien Député du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), aujourd’hui en exil.