Crise anglophone: depuis la prison, Olanguena Awono veut sauver le Cameroun

12357 Olanguena Awono 45 1671 Ns 500 Nous ne devons pas nous séparer - Urbain Olanguena Awono, ex-Ministre de la Sante

Fri, 29 Sep 2017 Source: cameroon-info.net

CRISE ANGLOPHONE: "Nous ne devons pas nous séparer"

La conscience politique qui se manifeste et s’exprime de façon massive dans les deux Régions anglophones du Cameroun interpelle chaque camerounais soucieux du devenir de la Nation sur les grands défis de notre temps.

Parti des revendications catégorielles mal gérées dans les domaines de la justice puis de l’éducation, le mouvement s’est répandu progressivement dans la profondeur sociale jusqu’au chaos actuel, nourri constamment par la dynamique délétère et pernicieuse du déni, du pourrissement, des demi-mesures, de la menace et de la répression dans le cadre de la loi anti-terroriste. Ces mauvais ingrédients inflammables ont ajouté la crise à la crise, que certains collaborateurs anglophones du Chef d’État ont eu l’outrecuidance provocatrice de considérer comme un épiphénomène.

Pourtant, la fracture et la perte de confiance vis-à-vis des décideurs étatiques sont d’une ampleur telle que toutes les institutions au travers desquelles l’État exerce son autorité dans la sphère anglophone sont contestées. Il y a là une illustration nette d’une gouvernance myope qui n’a rien su anticiper et qui est confrontée à ses insuffisances, un peu comme le disait Michel Crozier: «quand on affronte les problèmes de demain avec les organisations d’hier, on récolte les drames d’aujourd’hui». Ces drames en termes de coûts humains, de pertes économiques, de déchirure du vivre-ensemble et de l’unité du Cameroun, sont des remises en cause et des menaces graves pour notre destin en tant que Nation. Chaque patriote doit donc se ressaisir et s’engager pour contribuer à la recherche d’une solution qui préserve les fondamentaux historiques, le devenir et le destin commun.

Tous les Camerounais, francophones et anglophones, sont concernés par le déficit grave de gouvernance et de leadership, l’absence de vision et d’orientation claire dont souffre le pays. Il faut donc être solidaire et se mobiliser.

L’enjeu est un enjeu d’avenir, il nous concerne tous

Car il s’agit de bien réfléchir sur les événements présents, les trajectoires à prendre et anticiper le Cameroun de demain. Dans cette compréhension, la cause anglophone est notre cause à tous, c’est la cause camerounaise. Comme toute cause des libertés et des droits, elle est légitime. Elle doit être entendue et défendue pacifiquement parce que c’est une bonne cause. Le sentiment inégalitaire qu'elle exprime correspond à une exigence forte de l'égalité républicaine sur la base du seul mérite. La diversité culturelle qu’elle défend est une richesse, un atout que le Cameroun a tant intérêt à valoriser sur tous les plans et dans tous les domaines. Ceux qui voyagent dans le monde, et plus encore ceux qui ont, à un moment donné de leur vie, représenté le Cameroun à l’international savent apprécier l’avantage de maîtriser nos deux langues officielles. C’est une plus-value évidente pour notre diaspora dans les organisations internationales.

Dans un monde plus globalisé que jamais, le Cameroun doit assurer à sa jeunesse la formation et les outils de maîtrise des savoirs fondamentaux, des sciences et des technologies. Le bilinguisme est l’un des outils essentiels, et il est important que nos programmes pédagogiques à tous les niveaux du système éducatif en fassent une priorité. L’administration camerounaise doit revoir ses règles et pratiques pour faire du bilinguisme une réalité et une exigence visant à offrir un service public égal à tous les camerounais. Car une part de la crise est due aux frustrations des camerounais anglophones dans leur contact avec une administration dominée par les camerounais francophones peu ou pas bilingues.

Face à cette crise que personne n’a intérêt, au vu des événements récents, qu’elle dégénère davantage, la tâche la plus urgente des autorités en charge consiste, de notre point de vue, à apaiser, à rétablir la confiance et à jeter les bases d’un dialogue national inclusif, dans un format représentatif de toutes les sensibilités. Notamment, les acteurs politiques, les acteurs de la société civile, les chefs religieux, les chefs traditionnels, les milieux d’affaires, les milieux universitaires et intellectuels, la presse indépendante, les écrivains, les représentants de la diaspora etc… pourraient configurer le format d’une nouvelle construction politique et sociale.

Dans cette perspective raisonnable, la martialité et la menace des propos de certains responsables ne sont pas à la hauteur. En revanche, pour s’ouvrir les portes du dialogue, des mesures immédiates d’apaisement consisteraient entre autres, en:

- la retenue et la cessation de la répression des manifestations pacifiques;

- le rétablissement des libertés fondamentales d’aller et venir, et de manifester;

- la libération des prisonniers;

- l’ouverture d’une enquête pour les disparus;

- une déclaration politique d’apaisement du Chef d’État et sa volonté ou décision d’ouvrir le dialogue national salutaire tant souhaité.

A vrai dire, les nécessités d’un dialogue national aujourd’hui rencontrent les nécessités du changement, plus pressantes que jamais. Dès lors, il faut bien convenir que des réponses crédibles, sérieuses et pérennes à la crise actuelle ne peuvent être trouvées que dans le cadre des réformes constitutionnelles et institutionnelles globales. C’est dire que la constitution devrait être rediscutée autour de quelques principes, notamment :

- Rétablir les dispositions clés de la constitution de janvier 1996, malencontreusement supprimées, relatives à l’élection présidentielle ;

- Améliorer le système électoral, avec le scrutin à deux tours et une dose de proportionnelle, et y renforcer les mécanismes de transparence et d’intégrité ;

- Sanctuariser une vraie décentralisation, garantissant une autonomie renforcée des Régions, sans parasitage des délégués du gouvernement, et s’appuyant sur une fiscalité locale bien fixée.

En clair, il faut en finir avec une structure étatique verticale et hyper centralisée autour de la prépotence du Chef d’État et de son administration à Yaoundé.

Les réformes structurelles indispensables pour mieux traduire la bi-culturalité dans l’organisation des secteurs de l’éducation et de la justice devraient figurer dans l’agenda des discussions. Sur ce dernier point, les questions de l’indépendance de la justice, de l’opportunité des tribunaux d’exception en démocratie, du positionnement et du périmètre de la justice militaire, de l’application à tort et à travers de la loi anti-terroriste ne sauraient être éludées. Dans ce cadre, aucun agenda crédible sur l’avenir du Cameroun ne saurait écarter la question des prisonniers politiques, toutes ces personnalités ayant servi le Cameroun et injustement condamnées à travers l’alibi et le mensonge judiciaire de détournement de deniers publics. Pourtant, on connaît leur patriotisme et leur intégrité.

Au total, la marche à suivre est celle de l’Histoire.

Le pays doit se réconcilier avec lui-même, rétablir ses ancrages historiques et les assumer sans effacer les repères. En même temps, le pays doit avancer, la marche à suivre est alors celle de la création, la création d’une Nouvelle République à la mesure des défis contemporains de gouvernance démocratique et économique efficace, de primauté du droit, de maîtrise des progrès technologique et numérique, et capable d’assurer le rêve d’émergence de la jeunesse camerounaise. Dans cette vision, le séparatism sécessionniste, aventuriste et de courte vue, ne fait naturellement pas partie de la solution. Il faut éviter cette extrémité. Nous ne devons pas nous séparer.

Source: cameroon-info.net
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