Crise anglophone: l'échec de la décapitation programmée de Ayuk Tabe

Sisiku Ayuk Tabe Sisiku Ayuk Tabe

Wed, 27 Jun 2018 Source: camer.be

La crise qui secoue le Cameroun Anglophone depuis le 12 octobre 2016 a connu un tournant décisif le 30 Novembre 2017. En effet, de retour du 05e sommet Europe-Afrique d’Abidjan, le Président Paul Biya est sorti de son mutisme habituel pour déclarer la guerre au sécessionnisme anglophone, ceci dès sa descente d’avion. Enfilant le costume de chef suprême des armées, Paul Biya a réuni son état-major autour du ministre de la défense, Beti Assomo, afin de planifier une guerre totale contre les séparatistes.

1. La décapitation du leadership séparatiste Camerounais

Au cœur de la stratégie du gouvernement, la décapitation du leadership politique de la sécession est un objectif primordial et constitue une arme redoutable de déstabilisation des sécessionnistes. Elle consiste essentiellement en la mise en branle de tous les leviers diplomatiques en vue de l’arrestation et l‘extradition au Cameroun du leader de facto de la sécession ainsi que son entourage immédiat. Contrairement à sa réputation, la célérité du gouvernement Camerounais dans l’exécution de cette opération de décapitation a été fulgurante. A peine un mois plus tard, les trésors de diplomatie déployés ont porté des fruits. Le gouvernement Camerounais a cru tenir le saint graal, lorsque le président autoproclamé de la République Fédérale d’Ambazonie, Sissiku Ayuk Tabe a été appréhendé par les forces de sécurités Nigérianes et extradé vers le Cameroun le 30 Janvier 2018.

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Considérée comme une violation du principe de non-refoulement, cette extradition a été fermement condamnée par le Haut-Commissariat aux Réfugiés. Nonobstant les critiques de la communauté internationale, le gouvernement Camerounais a considéré que les effets de la décapitation allaient se faire ressentir et sonner le glas de la crise anglophone. Les stratèges de Yaoundé ont pensé comme certains partisans de la théorie de l’action collective que la capture des leaders influents peut suffire à saper le momentum et briser une insurrection de façon décisive, ceci en érodant progressivement le moral ou la volonté collective. En effet, cette tactique prive le mouvement sécessionniste de ses têtes de proues et vise à briser son élan et sa capacité opérationnelle.

Le gouvernement espère aussi casser les leaders séparatistes en les forçant à consacrer un temps précieux et des ressources limitées pour se protéger de l’épée de Damoclès de l’extradition. Que nenni. L’arrestation de Sissiku Ayuk Tabe n’a pas produit l’effet escompté. L’insurrection a pris de l’ampleur et la crise dans les régions anglophones s’enlise un peu plus chaque jour. Ce constat tragique suscite des inquiétudes chez la majorité francophone et des interrogations nouvelles naissent sur la raison d’être même de cette guerre, qualifiée désormais de sale guerre. Pourtant, l’échec de la stratégie de décapitation et l’enlisement de la crise était prévisible.

2. Un échec programmé

Il a été prouvé à suffisance que la décapitation du leadership n’augmente pas la probabilité d’effondrement des mouvements sécessionnistes. Ainsi, des auteurs comme Jenna Jordan utilisent une série de modèles logit pour démontrer que ‘l'utilité marginale de la décapitation est négative pour de nombreux groupes’, en particulier les mouvements religieux et séparatistes. Pour elle, les successions peuvent être à l’origine de l’arrivée de nouveaux leaders encore plus radicaux et jusqu’au-boutistes. On l’a vu récemment en Espagne où la décapitation du mouvement indépendantiste Catalan, avec l’arrestation de Carles Puigdemont a permis l’émergence de Quim Torra , un leader séparatiste bien décidé à mettre en œuvre le mandat du référendum d'autodétermination d'octobre 2017 qui consacrait l’indépendance de la Catalogne avec un vote à 90%.

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Ainsi, les mouvements séparatistes opèrent à la façon des vers planaires, se régénérant systématiquement à chaque décapitation. Au Cameroun, l'arrestation de Sissiku a conduit à l'éclatement et la déconcentration du leadership de la sécession. On assiste désormais à la montée de groupuscules plus radicaux les uns que les autres. Ainsi, c’est même pipe même tabac pour l’Ambazonia Defence Force (ADF), l’Ambazonia Freedom Fighters (AFF), SOCADEF, l’Ambazonia Red Dragon et le Tigers of Ambazonia. De plus, Sissiku et ses compagnons sont désormais érigés en martyr de la lutte anglophone. Cela renforce évidemment le sentiment d'injustice et la conviction que seule la voie armée pourra rendre la dignité réclamée à corps et à sang par les populations des régions anglophones du Cameroun.

3. Nouveau mandat d'arrêt contre les leaders sécessionnistes: une perte de temps

Ce 20 Juin 2018, lors de la publication du plan d’assistance humanitaire d’urgence pour les régions anglophones du Cameroun, le gouvernement a dévoilé une liste de noms de leaders séparatistes visés par un mandat d’arrêt international. Les leaders séparatistes indexés résident ou sont citoyens de pays tels que les USA, le Nigeria, la Belgique, la Norvège ou l’Afrique du Sud. Sur cette liste, seul le Nigeria a déjà exécuté un mandat d’arrêt émis par le Cameroun. Mais désormais, les perspectives de collaboration sont plus qu’incertaines. En effet, la détention secrète d’Ayuk Tabe a créé un tollé et entaché fortement la réputation d’impartialité de la justice Camerounaise.

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Amnesty International a sonné la charge en indiquant que la détention secrète du leader séparatiste n’est pas compatible avec les instruments juridiques du droit international et la législation nationale camerounaise qui exigent que le détenu ait un accès régulier à un avocat de même qu’un procès en bonne et due forme. De plus, l’avocat du leader sécessionniste, le Nigérian Abdul Oroh, a enfoncé le clou en affirmant que le gouvernement Camerounais est muet quand il demande de rencontrer son client. Si le Nigeria devient réticent à exécuter les mandats d’arrêts Camerounais, que dire des USA, de la Belgique ou de l’Afrique du Sud.

Dans le cas des USA, il n’existe aucun traité d’extradition entre ce pays et le Cameroun, rendant la procédure d’extradition impossible. Il en est de même pour la Belgique et l’Afrique du Sud. Ce 23 juin, selon le Consortium de la Société Civile Anglophone (CSCA), les leaders sécessionnistes auraient pour la première fois eu accès à des avocats dans leur lieu de détention à Yaoundé.Dans l'éventualité de la tenue d’un procès, des interrogations persistent sur les conditions de détention et le droit des accusés à un procès équitable au Cameroun. Face à cette impasse et le pourrissement progressif de la situation, toute décapitation du mouvement sécessionniste reste vaine, rendant de fait une solution politique incontournable.

Source: camer.be