Le politologue et juriste camerounais Moussa Njoya fait une analyse de la crise en cours au PCRN. Il donne raison à l'autorité administrative de Kribi qui a rapporté l'autorisation de manifestation qu'elle avait précédemment accordée au parti de Cabral Libii. Moussa Njoya accuse Maurice Kamto de n'avoir pas joué francs jeu lors de sa sortie sur cette affaire.
Quand j’ai annoncé que je devais faire un petit laïus sur la crise qui a cours actuellement au sein du PCRN, et qui oppose Cabral Libii à Robert Kona à propos de la présidence de leur parti, un ami des plus proches m’a fait savoir qu’il ne fallait que je le fasse ; justifiant son « conseil » par le fait qu’on ne doit percevoir chez moi « comme un tropisme anti-Cabral/anti-PCRN ».
Cette observation, venant surtout de quelqu’un qui est le plus souvent animé d’une grande rectitude morale, m’a littéralement pétrifié. Car, elle m’a permis de comprendre à quel point nous avons sacrifié l’intérêt général sur l’autel de nos petites considérations personnelles, nos préoccupations privées. En effet, c’est sur le lit de nos petits renoncements quotidiens à propos de certaines valeurs cardinales tel que le respect de la parole donnée ou tout simplement l’honnêteté, que repose le capharnaüm qui caractérise désormais notre société ; et dont nous aimons bien nous plaindre !
Non cher ami et frère ! Il ne s’agit nullement d’un quelconque tropisme anti-qui que ce soit, ou quoi que ce soit ! Il n’est question non plus d’un soi-disant acharnement ou ressentiment !
Il est juste question pour moi de rétablir certaines vérités SCIENTIFIQUES dans le seul souci de contribuer à mon modeste niveau à plus de probité et d’humanité, dans notre société si engluée dans l’immoralité généralisée !
Ceci étant dit, voici ce qui me semble essentiel, afin que l’on évite de déplacer le débat de fond sur les périphéries :
I- L’interdiction de manifestation publique du Sous-préfet de Kribi II est parfaitement légale et logique
Par décision n°039/D/L11-03/SP du 23 novembre 2023, le sous-préfet de l’arrondissement de Kribi II rapportait le récépissé de déclaration délivré par ses soins le 16 novembre 2023 pour la tenue d’une « manifestation publique dédiée au renouvellement du comité directeur et à l’élection du Président national du PCRN ».
Aussitôt, volée de bois vert et tollé général ! Des leaders d’opinion, et pas des moindres, sont montés au créneau pour condamner cet autre acte, cette autre manifestation et illustration de la « dictature reptilienne », et s’en prendre vertement au sous-préfet. Tandis que certains, et notamment les militants et responsables du PCRN proches de Cabral Libii n’ont pas hésité à soupçonner Robert Kona d’être manipulé par des forces tapis dans l’ombre, plus précisément les barons du RDPC ; et il s’en est cité des noms, allant de Grégoire Owona à Talba Malla, en passant par Jean Nkuete (Il faut dire que Cabral sait de quoi il parle en termes de négociations avec ceux-ci).
Mais à la réalité, la décision du sous-préfet est d’une légalité banale. En effet, celle-ci intervient suite à une lettre de Robert Kona datée du 23 novembre 2023, et dans laquelle il invite le sous-préfet à une « réévaluation » du récépissé de déclaration de manifestation qu’il a décerné à Cabral Libii pour le Congrès censé se tenir du 15 au 17 décembre prochain. Dans ce courrier, il évoque l’assignation de Cabral Libii et 7 autres personnes devant le TPI de Kaélé pour le 04 janvier 2024, des « risques pour la communauté et de l’Ordre publique », ainsi que la jurisprudence constante en pareille circonstance.
Il faut dire en toute vérité que les sorties des personnalités comme Maurice Kamto, Jean Michel Nintcheu ou encore Akere Muna ont été faites essentiellement pour des raisons purement politiciennes ; il fallait démontrer sa solidarité et faire bonne figure. Sinon, ils savent tous que la logique administrative est très claire en pareille circonstance : lorsqu’une partie d’une organisation conteste farouchement la tenue des assises ou la légitimité d’une partie de ses dirigeants, la posture administrative a toujours été d’interdire la manifestation ou la réunion. C’est ainsi que des réunions ou manifestations de la PRESBY ou même de certaine sections ou sous-sections du RDPC ont été interdites. Tout récemment encore, le 10 novembre dernier, le Préfet du Mfoundi interdisait une réunion d’une Loge Maçonnique, la Loge Prince hall, à Yaoundé, pour « risques de troubles à l’ordre public » du fait des dissensions internes qui la traversent ; alors qu’on présente les francs-maçons comme étant les « vrais propriétaires » du Cameroun.
En fait, la lettre de Robert Kona était sans ambages sur les risques encourus : il a bien parlé dans sa lettre du 23 novembre 2023, ainsi que son « Mémorandum d’urgence » signé avec plus d’une vingtaine de ses membres le 27 novembre 2023, du « RISQUE POUR LA COMMUNAUTE » !
Cabral Libii, rédacteur de l’ouvrage « Pour le libéralisme communautaire » (en tout cas c’est ce qu’il prétend), sait mieux que quiconque que le socle granitique de la majorité des partis politiques camerounais est tribal, communautaire ! Ce n’est pas un Sam Baka, après son chassement de l’UDC, qui dirait le contraire.
Ainsi, Robert Kona en évoquant les « risques pour la communauté », dit en des mots à peine couverts que ses « frères » et lui sont prêts à tout pour récupérer et défendre la propriété de « leur parti ».
Et j’ai été très amusé par l’argutie de Mme Féconde Noah qui, pour justifier qu’il n’y avait point de risque, a évoqué dans l’une de ses publications le fait que Robert Kona et ses partisans étaient à plus de 1.000 km de Kribi. Franchement, qui ignore que les membres de la communauté de Robert Kona se trouvent en nombre important dans toutes les villes du Cameroun ? Qui pourrait minimiser leur solidarité, et par ricochet leur « capacité de nuisance » le cas échéant ? En tout cas, les scènes de rixes quasi-quotidiennes dans les points de vente de « bilibili » donnent une petite impression de ce qu’ils sont prêts à faire pour défendre leur « frère » qu’ils estiment avoir été floué !
Donc, le sous-préfet, garant de l’ordre public, et face à ces « menaces » plus que précises de Robert Kona, s’appuyant sur « la communauté », ne pouvait faire autrement que d’interdire cette manifestation.
Et la loi 90/55 du 19 décembre 1990 régissant les réunions et manifestations publiques lui en donne pleinement le droit en son article 8(2).
II- La légalité du congrès du 11 mai 2019, et par conséquent la « Présidence » de Cabral Libii, est en soi fortement questionnable !
Dans une rengaine collective qui frise l’insolence et le mépris, les cadres du PCRN pro-Cabral excipent le fait qu’il y a eu un congrès, le 11 mai 2019 à Guidiguis, au cours duquel Cabral Libii a été porté à la tête du parti ; le tout en présence de Robert Kona et de certains membres fondateurs, notamment M. Massardine Albert Fleury, alors SG du parti.
Mieux, le Ministre de l’Administration territoriale, dans une correspondance datée du 19 aout 2019, aurait pris acte des « changements intervenus au sein du bureau national du PCRN », suite à une lettre de Cabral Libii à lui adressée le 13 mai 2019 à cet effet.
Bien plus, les cabralistes, pour appuyer le fait que leur leader est effectivement le président du PCRN, font savoir que tant Robert Kona que Massardine Albert, ont été investis lors des élections législatives et municipales par Cabral Libii.
Alors, je leur fais savoir ceci :
1- Le congrès du 11 mai 2019 risque grandement d’être nul et de nul effet dans la mesure où l’on ne saurait transformer une « réunion visant à préparer les prochaines échéances électorales », une « rencontre politique qui visait à fixer les modalités de collaboration entre le PCRN et son invité spécial en la personne de Monsieur Cabral Libii », comme le dit Robert Kona dans sa requête devant les juridictions, en un « Congrès ».
En effet, tout d’abord, lorsque vous faites une déclaration de manifestation publique, il est toujours mentionné à l’attention du « déclarant » que « l’intéressé s’engage à ne modifier ni l’objet, ni le lieu, ni l’itinéraire, ni l’heure, (…) sans autorisation préalable de l’Administration ». Par conséquent, un tel changement d’objet d’une « manifestation » ou d’une « réunion » publique l’expose tout simplement à la nullité. Quand on se dit juriste, c’est le minimum à savoir ! Et c’est bien conscients de cela que tous les communicants cabralistes se gardent de publier la fameuse « déclaration de manifestation », encore moins l’intégralité de la lettre de Cabral au Minat. Une publication partielle des documents, qui relève son aspect partial, et dénote une volonté de manipulation de l’opinion. Sinon, qu’elle était l’objet exacte de la « réunion » de Guidiguis telle que mentionnée dans le récépissé de déclaration de la « manifestation » du 11 mai 2019 ?
Bien plus, j’ai été heureux de voir Cabral exiger au parlement le respect des délais de dépôt du projet de loi de finances 15 jours avant le début de la session parlementaire. Alors, en juriste et législateur qu’il est, il doit savoir surement qu’on n’improvise pas un « congrès ». Même dans nos petites associations du quartier, et plus encore un parti politique, on ne saurait se lever un matin, et décider de la tenue d’un congrès devant déboucher au changement des organes dirigeants sans respecter un minimum de procédures. Tous les statuts des partis politiques prévoient au moins une convocation en bonne et due forme des membres longtemps à l’avance, avec précision de l’ordre de jour, comme cela est fait justement pour le prochain congrès de Kribi au demeurant ; en plus de quoi il y a des exigences en matière de quorum à atteindre pour la validité des délibérations, ainsi que des documents à remettre aux participants au préalable, afin d’assurer que leurs consentements soient « libres et éclairés ». On ne peut pas reprocher au Gouvernement de fonctionner par « embuscade », et adopter les mêmes méthodes roublardes et dolosives dans son organisation politique !
2- Le fait que le Minat prenne acte dans une lettre des changements dans votre formation politique » ne veut nullement dire que vous êtes à l’abri de tout tourment ultérieur. En effet, dans la réalité, le législateur et l’Administration confortent la toute-puissance des « président-fondateur » des partis politiques. Si la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990 portant sur la création des partis politiques en son article 5 (2) dispose que « Tout changement ou toute modification dans ces éléments ainsi que les pièces le constatant, doit être communiqué au Gouverneur territorialement compétent », non seulement elle ne précise pas qu’elle est effectivement la personnalité habilitée, le président entrant ou le sortant, à communiquer lesdits changements, mais en plus dans la pratique administrative, l’on demande le plus souvent que les modifications soient communiquées à l’initiative du « président-fondateur » accompagné des « membres-fondateurs ». Ainsi, la prise en compte des modifications dans les instances dirigeantes d’un parti politique ne tient qu’aussi longtemps que le « président-fondateur » et les « membres-fondateurs » ne les contestent pas ! Banda Kani, Hilaire Nzipang ou encore Jean Michel Nintcheu en savent quelque chose !
Pour faire un parallèle avec le secteur de l’immobilier : votre titre foncier demeure inattaquable tant que le propriétaire initial ne l’a pas contesté. Ne voyons-nous pas des titres fonciers délivré en bonne et due forme être annulés ?
Combien de fois de simples lettres de « prise d’acte » !
Ainsi, penser qu’on peut aisément se passer du « président-fondateur » au point de ne plus le prendre au téléphone, une fois la lettre du Minat reçue, c’est se tromper lourdement !
3- Dans le même sillage, le fait d’avoir procédé aux investitures ne garantit en rien la légitimité d’un président de parti politique. Car, non seulement la qualité de « mandataire » lors des élections n’a rien à voir avec la qualité de président de parti (Jean Nkuete qui coordonne les investitures au RDPC n’en est pas le Président national – et même un départemental d’un parti politique peut procéder aux investitures), mais en plus le fait de procéder aux investitures en tant que président national ne veut en aucun cas dire que cette qualité est entérinée. Bappoh Lippot a procédé à des investitures aux élections locales de 2020, cela n’a pas empêchée que la qualité de SG de l’UPC lui soit contestée et puis retirée par le tribunal administratif plus tard, au profit de Baleguel Nkot ! Cabral Libii qui est du Nyong et Kelle en sait un bon bout sur l’affaire !
4- Dans la même veine upéciste, Cabral Libii est bien au courant de la jurisprudence UPC C/ Elecam, lors du double scrutin de février 2020.
Alors que l’Administration, notamment le Minat et le Minfi, avait payé en 2019 les fonds de financements des partis politiques à la faction Baleguel Nkot, cela n’a pas empêché que le juge reconnaisse le droit de Bappoh Lipot à investir également des candidats ; et par conséquent de rejeter toutes les listes UPC où il y avait « double investitures des listes UPC ». D’ailleurs, bon nombre d’observateurs estiment que Cabral Libii et ses colistiers du Nyong et Kelle ne doivent leur élection qu’à cette élimination de « l’âme immortelle du peuple camerounais » sur tapis vert !
III- L’on ne saurait ériger la filouterie en mode de vie politique !
Au-delà de toutes ces considérations légales, réglementaires, administratives et judiciaires, il est avant tout question de moralité ! Et surtout d’humanité !
En voyant les conditions dans lesquelles Robert Kona vit, je n’ai pas pu m’empêcher de verser une larme. Ce « papa » vit dans une misère intenable ! Qu’est-ce que cela coûte à Cabral, qui roule désormais carrosse et mange très bien à sa faim (selon ses propres déclarations) grâce à l'investiture du PCRN, d’améliorer un tant soit peu les conditions de vie désastreuses de ce Monsieur qui aurait pu être son propre père ?
Et je ne demande pas au Sieur Libii de sacrifier un quelconque radis de son salaire mirobolant de député. Il s’agit tout simplement d’aller puiser dans les dizaines de millions de financements publics que produit le PCRN chaque année.
En effet, en application de la loi n°2000/015 du 19 décembre 2000 relative au financement des partis politiques et des campagnes électorales et des décrets d’application subséquents, le Minat met chaque année à la disposition des partis politiques environ un milliard et demi de financements publics.
Ainsi, selon les chiffres de 2020, chaque parti politique représenté à l’Assemblée nationale perçoit chaque année environ 1.338.000 francs par député élu ; et pour chaque liste ayant obtenu au moins 5%, le parti perçoit chaque année environ 1.515.000 francs. Tandis que chaque conseiller municipal rapporte environ 45.000 francs par an à son parti ; auquel s’ajoute plus d’un demi-million par an pour chaque liste ayant obtenu plus de 5% aux municipales.
Sur la base de ces chiffres, et en considération de la nouveauté du sénat et des conseils régionaux qui n’ont pas été pris en compte dans la loi de 2000, l’on peut aisément dire que le PCRN, parti créé en 2003 par Robert Kona, perçoit environ une quarantaine de millions par an, en guise de financements publics.
Que fait Cabral Libii de tout cet argent, en plus de son salaire et autres indemnités faramineuses de membre du bureau de l’Assemblée nationale ?
D’ailleurs, il faudra bien que l’ensemble des leaders des partis politiques, surtout d’opposition, nous donne les raisons de l’omerta et de l’opacité qui règne autour de la gestion de ces fonds, qui sont pourtant des deniers publics avec des affectations bien précises. On ne peut pas décrier la mal gouvernance du régime en place, et être incapable de la moindre transparence !
Est-ce trop demander à Cabral Libii de prendre une petite portion de ces dizaines de millions, pour subvenir aux modestes besoins de Robert Kona, fondateur du PCRN ? Ce qui est d’ailleurs prévu par la loi du 19 décembre 2000 en son article 4.
Le Cameroun va mal ! Les Camerounais vont très mal ! Et la mère de tous ces maux c’est l’avidité de leurs gouvernants, qui confine à l’extrême méchanceté. Tout pour eux, et rien pour les autres !
Hier c’était les étudiants de Yaoundé II-Soa, qui ont vu s’évaporer le capital et les ressources de « La boutique de l’étudiant ».
Ensuite, vint « Kora Fm », une radio qui s’était spécialisée dans le sport et le divertissement, qui a vu son capital et son matériel s’évaporer tout également ; l’obligeant à fermer.
Puis vint l’opération « Onze millions de citoyen » qui finît en lambeaux pour cause d’opacité aggravée autour des contributions populaires récoltées par le « Mouvement ».
Et quelques temps seulement après, l’on vit le Professeur Nkou Mvondo et son parti Univers, pleurer toutes les larmes de son corps, criant à la duperie, à la duplicité, à la fourberie, et à la cupidité exacerbée de son « fils » Cabral Libii, qui avait fait main basse sur la cagnotte électorale et ne le prenait plus au téléphone !
Chaque temps ! Chaque temps ! Diraient nos jeunes gens de nos quartiers !
Rendons-nous à l’évidence, il y a bien un sérieux problème de moralité quelque part !
En juriste, qu’il prétend être, Cabral Libii sait que l’affectio societatis, le désir de se mettre ensemble dans un contrat, participe largement du pacta sunt servanda, l’obligation du respect de la porale donnée et des engagements pris ; et que tout lucrum cessans, perte du profit ou gain escompté, justifie largement la rupture d’un contrat.
Alors, prendre des engagements, afin de convaincre un homme du troisième âge de vous céder son organisation, pour après ne pas tenir ses promesses et surtout afficher tout son mépris à son égard, est pire que du cynisme ! Il faudrait trouver un autre concept pour désigner et qualifier un tel niveau de méchanceté et d’inhumanité !
Et si les Camerounais veulent s’en accommoder, là ça serait bien grave ! Et nous n’aurions plus aucune raison de nous plaindre, et de nos gouvernants, et de notre condition. Car, comme qui dirait : « Toute Nation a le gouvernement qu’elle mérite » !