Il n'y a pas que l'Europe qui fait face aux mouvements de populations. L'Afrique aussi a son lot de défis, et notamment le Cameroun. Récit.
Alors que le monde entier assiste impuissant à l'immense crise migratoire qui secoue l'Europe, les regards se détournent souvent des autres réfugiés, ceux qui se pressent dans des pays du continent africain, qui reste la première terre d'asile de la planète. Parmi eux, le Cameroun, qui accueille plusieurs centaines de milliers de naufragés de la guerre, victimes du conflit centrafricain ou nigérian voisins. Oubliée ou tout simplement ignorée, la gestion de cette crise silencieuse souffre aujourd'hui d'un manque cruel de moyens auquel les humanitaires doivent faire face.
En ce début du mois de septembre, les médias camerounais diffusent les désormais traditionnels reportages consacrés à la rentrée scolaire. Pourtant cette année, dans les grandes villes de Yaoundé et Douala, tout comme dans les régions de l'Est, de l'Adamaoua, du nord et de l'extrême nord, les envoyés spéciaux des grandes chaînes nationales se concentrent sur une rentrée bien particulière : celle de dizaines de milliers d'enfants réfugiés qui prennent le chemin de l'école.
Des refugiés de Centrafrique...
À l'écran s'affiche le visage de la jeune Adjidja, le visage délicatement entouré d'un voile de couleur, arborant une boucle dorée sur le nez. Elle est une naufragée de la guerre qui continue de sévir en Centrafrique, à quelques kilomètres de là. Elle fait partie des quelque 50 000 enfants réfugiés qui partageront désormais les bancs de l'école avec les petits Camerounais. Car dans ce pays d'Afrique centrale de 23 millions d'habitants, il faut désormais compter avec ces exilés venus de République centrafricaine à l'est, et du Nigeria au nord. Les premiers ont commencé à affluer il y a quatre ans déjà. En 2013, le passage éclair et violent à la tête du pays du groupe rebelle Séléka – composé en majorité de musulmans – a dégénéré en tueries intercommunautaires.
Suite à leur cantonnement par les forces internationales et au départ forcé de leur chef Michel Djotodia, ce fut au tour des milices chrétiennes « Anti-Balaka » de s'en prendre aux populations musulmanes : des représailles d'une violence rare de la part de populations qui avaient elles-mêmes subi d'effroyables exactions de la part des Séléka. En conséquence, depuis 2014, ce sont au total 233 000 réfugiés – principalement musulmans – qui ont passé la frontière camerounaise, une partie d'entre eux s'installant sur sept différents sites dont celui de Gado, et une autre s'intégrant à des villages aux alentours, et bénéficiant de l'accueil des populations locales, pourtant déjà en grande difficulté économique.
... mais du Nigeria aussi
Les seconds sont arrivés à partir de 2013 en provenance du nord-est du Nigeria, où divers groupes armés, dont la secte islamiste Boko-Haram, ont poussé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs villages face aux exactions. Boko Haram : ce sont eux qui avaient suscité l'émoi international en kidnappant 200 écolières dans la localité de Chibok. Eux encore qui continuent de défrayer la chronique, en n'hésitant pas à envoyer à la mort des petites filles, utilisées comme bombes humaines.
Affaibli par l'intervention des armées nigériane, camerounaise et tchadienne, le groupe armé n'en cesse pas moins de semer la terreur, réduisant pour l'instant l'espoir du retour. La plupart des refugiés – plus de 90 000 âmes – vivent dans le camp de Minawao, situé dans la région de l'extrême nord du Cameroun : une région qui comptait déjà, elle aussi, parmi les plus pauvres du pays, avant que la pression supplémentaire des réfugiés ne vienne s'exercer sur les populations locales.
Avec la rentrée des classes, les enfants refugiés ont aussi pris le chemin de l'école. © Xavier Bourgois/UNHCR
Selon une dernière estimation en août, Centrafricains et Nigérians confondus, ce sont plus de 320 000 personnes que le Cameroun, fidèle à une certaine tradition d'accueil, continue de protéger malgré une situation sociale et économique difficile. À ceux-là s'ajoutent les déplacés internes : des citoyens camerounais qui ont fui les violences à l'extrême nord du pays, où Boko Haram mène des incursions régulières : 236 000 personnes.
Une crise oubliée et une aide humanitaire en berne
Sur le site de Gado, dans la région de l'Est, quelques centaines d'hommes d'âge mûr écoutent poliment la délégation qui vient leur rendre visite : une importante délégation onusienne, mais aussi des pays donateurs comme la Suisse, le Royaume-Uni, la Corée ou l'Allemagne. Au moment où les hommes de Gado sont invités à prendre la parole, c'est une longue liste de doléances qui est récitée : les populations veulent plus de sécurité, de la lumière, moins de frais de scolarité, plus de nourriture, et par-dessus tout : quelque chose à faire.
Car depuis bientôt quatre ans, c'est bien l'oisiveté et le chômage qui pèsent le plus, en particulier chez les jeunes, contraints de passer leurs journées à attendre que le temps passe. Les revendications sont nombreuses. La discussion est longue. Assis en tailleur sur des tapis, les anciens caressent leurs barbes blanches en approuvant d'un signe de tête chaque nouvelle doléance des orateurs. Alors que la délégation continue sa visite du camp, des jeunes s'approchent timidement : « Monsieur, excusez-moi de vous déranger, vraiment, mais j'aurais un service à vous demander. » Ce n'est pas de l'argent qu'ils demandent, mais plutôt des livres d'anglais ou de la formation professionnelle.
Les populations locales apprécient de pouvoir présenter leurs doléances, au-delà du gouvernement, aux humanitaires onusiens et autres dont la présence attire l'attention sur la crise silencieuse qu'elles vivent. © Xavier Bourgois/UNHCR
Une crise humanitaire silencieuse
Pour la mission de l'ONU au Cameroun, qui appuie le gouvernement dans l'aide qu'il apporte aux réfugiés, cette discussion est une aubaine : il s'agit aujourd'hui de remettre sur le devant de la scène une crise humanitaire oubliée, et sous-financée. « Nous n'avons même pas atteint 20 % du budget nécessaire pour organiser une vraie réponse pour les populations réfugiées. Chaque jour, une nouvelle crise survient quelque part dans le monde, qui focalise l'attention ailleurs qu'ici », explique la coordonnatrice du système des Nations unies au Cameroun, Allegra Del Pilar, qui espère bien ressortir de cette opération en ayant convaincu ses donateurs potentiels.
Paradoxalement, la crise migratoire que vit le Cameroun, et l'arrivée massive de réfugiés dans les régions d'accueil pourraient bien représenter une chance pour les populations locales. Avec les réfugiés en effet, ce sont de nombreux acteurs humanitaires qui ont également débarqué dans la région, apportant des services et infrastructures jusqu'alors peu nombreux : maternités, écoles, adduction d'eau potable, programmes de nutrition, centres de santé, et même des programmes de reboisement dans une région menacée par la désertification.
Pour l'instant, personne ne sait combien de temps les réfugiés devront rester au Cameroun : si la situation nigériane tend à s'apaiser, la menace est loin d'être partie, comme en témoignent les réfugiés qui ont tenté de rentrer chez eux, avant de rebrousser chemin face au danger. Côté centrafricain, le regain de violences qui a secoué le pays ces derniers mois laisse craindre de nouveaux afflux de civils ayant perdu le peu qu'ils possédaient... loin des caméras.